Éminent chirurgien connu pour son rôle primordial dans la diffusion de l’antisepsie au Canada, sir Thomas George Roddick fut également un égyptophile averti. Il a fait un généreux don à Montréal.
Né le 30 juillet 1846 à Harbour Grave à Terre-Neuve, Thomas George Roddick se destine très jeune à la médecine. De 14 à 18 ans, il assiste deux médecins (les docteurs S. Muir et C. H. Renouf) dans leurs consultations pendant ses temps libres et ses vacances. Ces expériences orientent définitivement le jeune Roddick vers des études médicales qu’il souhaite suivre en Écosse. En route vers l’Europe, T. G. Roddick s’arrête à Montréal durant l’été 1864 sur l’invitation du docteur G. E. Fenwick, professeur à l’Université McGill.
Un médecin précurseur
Thomas George Roddick en 1900
Le 29 juin, un événement tragique transforme la destinée du Terre-Neuvien alors que G. E. Fenwick l’amène porter secours aux nombreuses victimes d’un grave accident ferroviaire près de Saint-Hilaire. Le flegme de T. G. Roddick impressionne G. E. Fenwick qui le convainc de rester à Montréal et l’introduit à l’Université McGill, où le jeune homme obtient brillamment son diplôme de médecine en 1868. De 1868 à 1890, T. G. Roddick gravit habilement tous les échelons, devenant chirurgien au Montreal General Hospital (en 1875) et professeur de chirurgie à l’Université McGill (en 1890).
Parallèlement à ses fonctions, T. G. Roddick perfectionne et modernise sa pratique médicale. Constatant avec effroi que les nombreuses infections postopératoires déciment la moitié de ses patients, il part étudier à Édimbourg de 1872 à 1877 les méthodes antiseptiques mises au point par le professeur Joseph Lister, le père de l’antisepsie. Grâce aux connaissances acquises en Écosse et à leur application stricte à Montréal, T. G. Roddick réduit la mortalité postopératoire de 50 à 3,2 %. Dès lors, il milite vigoureusement pour généraliser cette pratique auprès de tous les hôpitaux canadiens.
La carrière médicale de T. G. Roddick est largement reconnue et récompensée par de nombreux prix, dont le titre de chevalier reçu à Londres en 1914 des mains du roi George V. Membre de nombreux comités médicaux et d’organismes hospitaliers, il devient le doyen de la Faculté de médecine de McGill (1901-1907) et le président de la commission médicale de l’Hôpital Royal Victoria (1901-1917). Il combat activement pour éradiquer la tuberculose ravageant Montréal à plusieurs reprises et bataille avec ses pairs pour introduire une norme nationale visant la formation des médecins au Canada (loi Roddick, 1912). Devenu un homme puissant et renommé, le chirurgien se lance également en politique et est élu deux fois pour le parti conservateur dans la circonscription fédérale montréalaise de Saint-Antoine (1896-1904).
Un milicien voyageur
Momie musée Redpath
Les compétences médicales de T. G. Roddick l’amènent à participer à plusieurs opérations militaires. En 1870, il rejoint l’expédition milicienne commandée par lord G. J. Wolseley contre la rébellion des Métis de la Rivière-Rouge (actuel Manitoba). Il commande ensuite une unité de milice montréalaise, dénommée la University Company of the First (Prince of Wales’s) Regiment of Volunteer Rifles et formée par des étudiants de McGill encadrés par plusieurs professeurs. Il participe comme médecin attaché à cette unité à la deuxième campagne contre le soulèvement des Métis dans les Territoires du Nord-Ouest au printemps 1885. Les connaissances médicales de T. G. Roddick, devenu l’adjoint du médecin principal de l’expédition, autant que celles de ses confrères et de ses subalternes, limitent grandement les pertes humaines durant ce conflit.
Après la perte de sa première épouse, Urelia Marion Fraser McKinnon, en 1890, et malgré des fonctions particulièrement prenantes, Roddick s’accorde quelque temps pour voyager. Contrairement de ce qui est parfois avancé, T. G. Roddick ne participe pas à la Guerre anglo-égyptienne (1882) ou à l’expédition du Nil (1884-1885). Mais au printemps 1895, il fait notamment un séjour en Égypte avec un ami proche, le promoteur ferroviaire sir Robert Gillespie Reid (1842-1908). Souffrant, ce dernier a besoin d’un accompagnement aussi médical qu’amical dans son périple nilotique.
L’inconnue du Fayoum
Portail Roddick
De ses aventures égyptiennes, T. G. Roddick rapporte quelques souvenirs, dont une momie offerte en mai 1895 au musée Redpath de l’Université McGill. Selon toute vraisemblance, la momie a été découverte sur le site d’Hawara dans l’oasis du Fayoum située à une centaine de kilomètres du Caire. Contrairement aux nombreuses momies arrivant en Occident au XIXe siècle, et étonnement en regard de la profession de chirurgien de son propriétaire, la momie de Roddick échappe aux scalpels des scientifiques. Elle bénéficie même d’un des premiers examens radiographiques, en septembre 1897, ce qui permet d’identifier, sous les bandelettes, le corps d’une femme.
Après le décès du chirurgien, le 20 février 1923, sa seconde épouse, Amy Redpath Roddick, fait don à l’Université McGill d’un portail d’entrée monumental d’inspiration néo-classique. Construit en 1924, il est toujours visible au croisement des voies Sherbrooke et McGill College. Pendant longtemps, une des traditions de la Faculté de médecine de McGill fut le passage des jeunes diplômés sous le portail Roddick à la fin de leur formation.
Au-delà de son inestimable apport médical, qui sauva la vie de plusieurs millions de Canadiens, T. G. Roddick a légué une précieuse momie, témoin muet de l’engagement d’un Montréalais dans des aventures égyptiennes, lointaines et méconnues.
En 2011, la momie offerte par T. G. Roddick au musée Redpath de l’Université McGill fut examinée avec des techniques modernes non invasives. Les résultats démontrent que la jeune femme momifiée vécut durant la période romaine de l’Égypte ancienne (de 30 av. J.-C. à 476 apr. J.-C.) et décéda entre 18 et 24 ans. Son masque en cartonnage stylisé et doré, les techniques de momification soignées et l’état excellent du corps supposent son appartenance à une classe sociale élevée. Malgré plusieurs hypothèses, la cause du décès reste incertaine. L’imagerie 3D a permis de reproduire la coiffure de la défunte étonnamment moderne. Son chignon sophistiqué tressé était en vogue au IIe siècle de notre ère dans l’Empire romain, période durant laquelle vécut probablement la défunte. En 2013, la science médicolégale, associée à la tomodensitométrie, a permis de reconstituer le visage de cette femme, visible aujourd’hui sous la forme d’un buste reposant à proximité de la momie au musée Redpath.
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