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La Maison d’Haïti, 45 ans d’histoire

20 février 2018

Au début des années 1970, des milliers d’Haïtiens quittent leur île pour rejoindre celle de Montréal. Certains sont reçus par un organisme d’accueil et d’aide émergent, à l’avenir prometteur.

Maison d’Haïti - rue Lajeunesse

Façade d'une maison à deux étages où se trouve la Maison d’Haïti en 1981
Archives de la Maison d’Haïti
Les années 1970 marquent la naissance des premières formes d’organisations communautaires ayant pour objectif de doter les Montréalais d’origine haïtienne de structures capables de les représenter, de les défendre et de maintenir un lien avec Haïti. C’est le début de la constitution de la communauté haïtienne à proprement parler qui jetait les bases de son enracinement au Québec. La Maison d’Haïti et le Bureau de la communauté chrétienne des Haïtiens de Montréal en furent les points de départ.

Retour en arrière

Maison d’Haïti - carnaval

Groupe de personnes, hommes, femmes et enfants, dansant dans une grande salle
Archives de la Maison d’Haïti

La majorité de la première vague d’immigrants haïtiens s’installe à Montréal entre 1967 et 1977. Nous l’appellerons l’exode des cerveaux, terme qui illustre bien le départ de ces milliers de professionnels, force vive du pays, fuyant la dictature et la sauvage répression qui s’abattait sur elle. Une perte sèche pour Haïti. La plupart de ces nouveaux arrivants ne subiront aucun déclassement de leur diplôme, et leurs compétences seront reconnues immédiatement. Il faut dire que, durant toute la décennie 1960, le Québec met en place de nouvelles institutions et a terriblement besoin de professionnels francophones. Cela tombait bien.

L’année 1971 est marquée par la mort du dictateur Duvalier en Haïti, aussitôt remplacé par son fils qui hérite du titre de son père comme « président à vie ». C’est l’exode des bras qui débute. Au Québec, le besoin de main-d’œuvre est très fort et, cette fois, on demande des ouvriers spécialisés ou non. Cette nouvelle catégorie d’immigrants haïtiens va rencontrer des écueils que ceux des années 1960 n’ont même pas imaginés. Ils sont moins scolarisés et moins qualifiés, ils occupent des emplois dans les secteurs manufacturiers et de service.

Haïti devient, durant deux décennies, le premier pays fournisseur d’immigrants pour le Québec, principalement pour Montréal.

La Maison d’Haïti

Maison d’Haïti - enfants

Groupe d'enfants et deux adultes prennent la pose
Archives de la Maison d’Haïti
Été 1972 : un groupe de jeunes étudiants haïtiens imagine un projet afin d’offrir des services d’accueil, d’accompagnement, d’aide à l’établissement et d’interprétation à une population haïtienne fraichement débarquée à Montréal. L’année suivante, Charles Dehoux, Nirva Casséus et Pierre Normil deviennent les trois signataires de l’association que nous connaissons désormais sous le nom de Maison d’Haïti. En plus des fondateurs officiels, il faut mentionner Ernst Gresseau, Max Chancy et Adeline Magloire Chancy qui ont laissé leurs marques, imprimant les valeurs de démocratie, de solidarité, d’ouverture et de partage. Ces trois personnalités, accompagnées d’une équipe de jeunes militants tout aussi « allumés », ont littéralement forgé l’ADN de la Maison d’Haïti dont seront porteuses les générations futures. Mentionnons aussi Célitard Toussaint qui en fut la directrice durant plus de 30 ans.

Installée dans un petit bureau du YMCA de l’avenue du Parc, la Maison d’Haïti a répondu immédiatement aux besoins de ces immigrants qui déferlaient sur Montréal. Cette première forme d’organisation communautaire était aussi liée aux mouvements politiques de lutte contre la dictature en Haïti et pour les droits sociaux des communautés noires en Amérique du Nord.

Ancrage territorial

Maison d’Haïti - femmes

Trois femmes assises tenant une assiette lors d'une rencontre
Archives de la Maison d’Haïti
En 1983, le quartier Saint-Michel devient son port d’attache, une forte population d’origine haïtienne ayant choisi de s’y installer. L’organisme s’installe dans une ancienne école, au 8833 boulevard Saint-Michel. Le quartier est alors poussiéreux et peu accueillant. Son environnement est défiguré par deux anciennes carrières, qui servent de lieu de dépôt des ordures et de neige, et par l’autoroute Métropolitaine aux voies rapides surélevées et bruyantes. Saint-Michel se transformera et s’humanisera peu à peu grâce à la présence de nombreuses familles et au travail des organisations communautaires et des institutions qui s’y implantent. Finalement, un grand chantier de revitalisation piloté par la table de concertation Vivre Saint-Michel en santé, auquel la Maison d’Haïti participe activement, changera pour de bon l’avenir du quartier.

Braver les tempêtes

Maison d’Haïti - enfants

Cours de danse pour des enfants
Archives de la Maison d’Haïti
Pendant plus de 40 ans, la Maison d’Haïti a été actrice et témoin des transformations de la communauté haïtienne au Québec. Puis, consciente que le grand mouvement de retour au pays dont rêvait la première génération ne se ferait pas, elle s’est attelée à répondre aux besoins de ses membres, en favorisant l’intégration et en valorisant leur présence et leur apport à la société québécoise. Le travail de la Maison d’Haïti témoigne de la vie même de la communauté haïtienne au Québec et rend compte de son implication dans des dossiers difficiles, voire explosifs, tant pour les Haïtiens que pour la société québécoise : droits des travailleurs, analphabétisme, racisme et discrimination, tensions dans l’industrie du taxi, égalité hommes-femmes, profilage racial, etc.

Bien que demeurant l’organisme phare de la communauté haïtienne, la Maison d’Haïti accueille des familles originaires de tous les coins de la planète, des personnes venues chercher asile et avenir dans un quartier Saint-Michel, en pleine transformation, qui les reçoit avec générosité. En effet, depuis 2001, la composition de la population immigrante de Saint-Michel se modifie pour devenir de moins en moins italienne et de plus en plus diversifiée. La Maison d’Haïti cherche à s’adapter à toutes les nuances et complexités des diverses communautés qui font tranquillement leur nid au Québec.

Nouvelle adresse

Maison d’Haïti

Vue extérieure de l'édifice de la Maison d’Haïti
Archives de la Maison d’Haïti
La Maison d’Haïti est, dans les années 2010, à un tournant important de son développement, et c’est justement cette maturité qui lui a permis de mobiliser tous les acteurs de la société québécoise et de la communauté autour d’un rêve de construire une nouvelle Maison d’Haïti. L’organisme acquiert le terrain correspondant à la cour de l’école qu’il occupe depuis plus de 30 ans. Y est édifiée une Maison d’Haïti belle, accueillante, spacieuse et lumineuse qui témoigne des 70 ans de présence de la communauté haïtienne au Québec. Une Maison d’Haïti qui participe à la revitalisation du quartier Saint-Michel en offrant aux communautés qu’elle sert des locaux à la mesure de leurs aspirations sociales et culturelles.

Avec son redéploiement dans un nouvel édifice en juillet 2016, la Maison d’Haïti possède désormais des locaux mieux adaptés à ses activités qui permettent la mise à contribution de plus de personnel et de bénévoles. Cet espace offre aussi aux habitants de Saint-Michel une vitrine culturelle grâce au tout nouveau Centre des Arts de la Maison d’Haïti, une contribution venant combler un déficit d’infrastructures et d’espaces de diffusion, amplement constaté par l’ensemble des citoyens.

Regard vers l’avenir

Tant que le quartier abritera des personnes vulnérables, fragiles, en difficulté, des citoyens dont les enfants héritent des mêmes difficultés, exclus sociaux, en butte au racisme, peu scolarisés, sous-payés, la Maison d’Haïti les accompagnera, afin qu’ils prennent parole et posent des gestes citoyens. Mais elle ne travaille pas seule. De concert avec les organisations et institutions du quartier, elle met en place des projets inclusifs, dont toute la population bénéficie. Actions souvent peu visibles, mais combien essentielles.

Qui peut prédire ce que sera la Maison d’Haïti dans les années à venir? Sans être aussi visionnaire que ses bâtisseurs, il est permis d’imaginer qu’elle maintiendra le cap, jouant un rôle de plus en plus déterminant dans son milieu. L’inclusion économique et sociale de trois générations de Québécois d’origine haïtienne et des populations fragilisées du quartier sera évidemment au cœur de ses préoccupations, tout comme la quête d’une place dans le paysage culturel québécois pour que se développe une culture métissée qui ne sera ni marginale ni ethnique, mais bel et bien québécoise.

Cet article est une adaptation de deux textes de Marjorie Villefranche :

« La Maison d’Haïti, 36 ans d’histoire », publié dans l’ouvrage Le Saint-Michel des Haïtiens (2012).

« Partir pour rester. L’immigration haïtienne au Québec », publié dans l’ouvrage Histoires d’immigrations au Québec (2012).

Références bibliographiques

BENJAMIN, Frantz (dir.). Le Saint-Michel des Haïtiens, Montréal, Les éditions du CIDIHCA, 2012, 188 p.

FONTAINE, Julie. La petite histoire de Saint-Michel. De la campagne à la ville. 1699-1968, [En ligne], Ville de Montréal, 2008.
http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/ARROND_VSP_FR/MEDIA/DOC... (Consulté le 20 novembre 2017)

VILLEFRANCHE, Marjorie. « Partir pour rester. L’immigration haïtienne au Québec », dans Guy BERTHIAUME et al., Histoires d’immigrations au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 145-161.