En 1983, quatre Montréalaises organisent un fonds archivistique lesbien. Sous plusieurs formes, leur association militante combattra toujours l’oubli de toutes les histoires des lesbiennes.
Affiche 40 ans

Les archives lesbiennes contiennent des milliers de documents et d’objets qui racontent la présence des lesbiennes, leurs luttes, leurs vies, autant dans leur quotidienneté que dans les moments collectifs les plus marquants de leur histoire. Au fil des ans, les militantes se sont assurées que les riches collections ne soient pas perdues ou dispersées au gré d’un itinéraire parfois hasardeux. De la sorte, nous avons toujours récupéré la mise pour mieux rebondir sur nos pieds et continuer notre chemin!
En 1983, quatre amies créent à Montréal les Archives lesbiennes Traces. En s’inscrivant dans la volonté internationale de construire une mémoire collective pour les lesbiennes, Bernice Mae Butler, Danielle Charest, Anne Michaud et Zaïda Radja commencent à organiser un fonds archivistique qui tissera au cours du temps le récit de la présence lesbienne au monde. C’est dans l’appartement de Bernice Mae et de Zaïda que s’amorce alors un ouvrage rigoureux de récolte et de classement.
Les archives au gré du temps
Archives Traces 1983
![Affiche annonçant l’ouverture officielle des Archives lesbiennes Traces le jeudi 14 avril [1983].](https://ville.montreal.qc.ca/memoiresdesmontrealais/sites/default/files/styles/chm-blog-album-article-switcher/public/affiche_ouverture_archives_traces_1983_violette.jpg?itok=Xs_-1Stl)
En 1986, sous l’égide d’un deuxième collectif, les archives Traces s’installent à l’école Gilford, un des lieux de l’effervescence lesbienne des années 1980. Ce collectif continue le travail d’archivage des collections, qu’un répertoire sommaire publicise en 1987. Il faut dire que cette époque favorise l’acquisition de multiples documents. Interviewée par Fallon Rouillier, Danielle Chagnon, membre du deuxième collectif, en fait le constat : « […] tout ce qu’on pouvait trouver sur les lesbiennes, qu’on soit d’accord ou non avec [le contenu], on voulait l’avoir. On voulait le garder, le préserver pour qu’il y ait une pluralité de voix. » Ainsi diversifiées, les ressources documentaires témoignent d’une solide mobilisation qui s’imprime alors sur papier ou carton. Mais, en 1994, l’école Gilford ferme ses portes, obligeant Traces à refaire ses boîtes.
Les collections seront précieusement conservées dans des appartements privés jusqu’à ce qu’elles soient abritées, en 2001, au Centre communautaire LGBTQ+. Ayant le privilège d’occuper un local au Centre, les archives se réorganisent, notamment sous la férule d’un troisième collectif. Puis, en 2017, les Archives lesbiennes du Québec sont constituées en personne morale comme organisme sans but lucratif. En 2023, elles s’installent à la Cité-des-Hospitalières située sur le Plateau Mont-Royal. En fait, ce quartier « regorge de beaux souvenirs », comme le souligne Laure Neuville : « Avant que le Village ne devienne le quartier de la communauté LGBTQ+, plusieurs espaces communautaires créés par et pour les lesbiennes se trouvaient sur le Plateau […]. » L’organisme y poursuit son action. Ainsi, depuis quelques années, il s’attelle activement à diversifier ses collections, à les classer, notamment en créant des fichiers informatiques, pour mieux répondre aux demandes qui lui sont faites.
La mémoire de nos collections
Revue Long Time Coming

Par exemple, notre collection de périodiques, qui compte plusieurs centaines de titres publiés sur les scènes nationale et internationale, dispose du premier numéro de Long Time Coming, datant de 1973, dans lequel est affirmé : « Women who are liberating themselves are a threat to the society. Lesbians have always been a threat to heterosexual cultures. » [« Les femmes qui se libèrent sont une menace pour la société. Les lesbiennes ont toujours été une menace pour les cultures hétérosexuelles. »]
Il fallait donc que les minoritaires pensent et agissent en regroupant leurs forces. C’est dans cette optique que Traces, dès 1986, contacte les collectifs lesbiens pour acquérir leurs documents internes, rarement accessibles, et pourtant indispensables à la compréhension de l’histoire des lesbiennes. Aussi avons-nous déchiffré et classé ces dossiers affiliés à des groupes politiques, culturels ou sociaux, pour dérouler le fil de leurs parcours. Hormis ces groupes, les archives se sont tournées vers les fonds personnels. En effet, chaque vie lesbienne est non seulement unique, mais elle est aussi riche d’un vécu pluridimensionnel qui raconte maintes histoires, qu’elles soient familiales, sentimentales ou professionnelles… Nous avons d’ailleurs colligé tout au long des années des dossiers thématiques alimentés par diverses sources pour approfondir davantage la connaissance de ces réalités lesbiennes, qu’un corpus d’ouvrages explore aussi dans ses multiples dimensions.
Cette connaissance, d’autres types de langage y participent, notamment les documents iconographiques. Les images, comme des affiches, des photos ou des cartes postales, enrichissent nos collections. Et pour élargir encore plus nos perspectives, nous disposons d’objets, tels des macarons, des bannières, des tee-shirts ou des cartons d’allumettes, qui témoignent matériellement des vies des lesbiennes. Certains souvenirs s’énoncent même de vive voix quand ils surgissent des entrevues radiophoniques ou personnelles que nous avons collectées… Or, tous ces langages crouleraient sous la poussière, s’ils n’étaient pas consultés durant les permanences que nous assurons toutes les semaines ou s’ils n’étaient pas actualisés lors d’événements que nous organisons.
Les archives en actions
Kiosque Archives lesbiennes du Québec

Depuis 1983, nous n’avons de cesse de provoquer ce dialogue intergénérationnel en organisant des événements communautaires. Par exemple, nous avons mis à l’honneur les chorales lesbiennes, fêté nos 40 ans d’existence, réfléchi aux amours lesbiennes depuis l’Antiquité, rendu hommage à l’artiste Diane Trépanière, préparé des lancements de livres, exposé la biographie de la militante Johanne Coulombe, pour ne citer que les réalisations les plus récentes.
Certes, la mission des archives est d’acquérir, traiter, conserver et transmettre les fonds documentaires sur le lesbianisme. Mais expérimenter ces fonds est essentiel pour rester vigilantes, et plus que jamais résistantes, aujourd’hui et demain, à l’oubli de toutes les histoires des lesbiennes.
MICHAUD, Anne. « Les archives Traces : Première collective des archives lesbiennes de Montréal (1982-1983). Te souviens-tu? », site internet des Archives lesbiennes du Québec, 2023.
ROUILLIER, Fallon. Conserver et transmettre les mémoires : l’histoire des archives Traces lesbiennes de Montréal (1983-1994), Mémoire (M.A.), Université du Québec à Montréal, 2025, 221 p.
NEUVILLE, Laure. « Les Archives lesbiennes du Québec célèbrent leur 40e anniversaire », communiqué de presse, 2023.
Jackie. « Changes Coming Down », Long Time Coming, 1973, vol. 1, no 1, p. 5-6.