En 1984, une école du Plateau devient un lieu d’ancrage culturel et politique pour la communauté lesbienne. Cet effervescent laboratoire social appuie ainsi une forme de résistance.
Photographie par Suzanne Girard

Dans les années 1980, une grande majorité des lesbiennes francophones habite et déambule sur les rues du Plateau-Mont-Royal. Pour une raison surtout financière : les loyers des appartements et des locaux commerciaux sont modiques. En effet, le Plateau-Mont-Royal ne connaît pas encore les rénovictions qui surgissent à la fin des années 1990. À cette époque, ce quartier devient donc un espace politico-urbain que nous fréquentons assidûment, comme l’affirme Danielle Boutet : « […] sur ce bout de la rue St-Denis […], il y a la plus grande concentration de lesbiennes par mètre carré au Québec, même que le soir, sur ce bout de rue, parmi d’autres passants, je crois bien que nous sommes majoritaires. »
C’est dans cette effervescence que les artistes Suzanne Boisvert, Martine Chagnon et Myriam Saad louent en 1984 le rez-de-chaussée d’une école désaffectée, située au 2025 de la rue Gilford. Cette initiative marquera le coup d’envoi d’une aventure qui attirera des milliers de lesbiennes durant les 10 années de son existence. Chapeauté par la collective Arts et Gestes des femmes de Montréal, ce lieu permet le tissage d’une communauté lesbienne aux multiples facettes. En fait, l’architecture même du bâtiment facilite grandement une distribution aérée des emplacements et déplacements, avec des salles de classe distinctes et un grand gymnase favorisant les rencontres communautaires. Ce dynamisme du lieu et l’implication des locataires permanentes et ponctuelles qui en assurent la gestion permettent d’expérimenter un espace autrement que sur un mode consumériste.
Une diversité de groupes et individues permanents
Affiche Archives Traces

Et cette communauté intelligible n’aurait jamais vu le jour sans celles qui ont amorcé ce projet et insufflé une dimension magique à l’école Gilford. En effet, de nombreuses artistes pratiquent et partagent leur art en plus d’œuvrer à la gestion du lieu en tant que locataires permanentes. En 1984, la Chorale lesbienne, composée initialement d’amies, attire 25 membres qui se regroupent autour d’un projet aussi festif que militant. Quant au Salon des Tribades, mis en place à l’automne 1984 et composé d’artistes multidisciplinaires, il travaille un art expérimental dédié au continuum lesbien, tout en privilégiant des performances qui abattent les frontières entre actrices et spectatrices. Suzanne Boisvert explique ainsi la nature de son engagement : « Devenir une artiste a été un choix d’ordre philosophique et politique. Stratégique. C’était la seule façon pour moi de réinventer mon monde et d’avoir une prise sur ce monde. Cela a été un acte de résistance. » L’école soutient donc une résistance lesbienne que des engagements ponctuels vont aussi alimenter.
Les participations occasionnelles
Affiche

Les discussions vont bon train à l’école Gilford, notamment lors des brunchs politiques qui s’y tiennent tous les dimanches. Sur un mode plus pragmatique, la ligue d’impôts aide et conseille les contribuables lesbiennes. Le groupe des AA participe aussi à ce mouvement collectif. Du côté des événements, les journées de visibilité lesbiennes se déroulent à l’école dans les années 1980 et 1990, et notons les innombrables soirées de danse et de spectacles qui servent au financement autant des groupes que du lieu proprement dit.
La fin d’une décennie exaltante
Spectacle Musique urbaines à l'école Gilford

Mais il faut le dire haut et fort : ce que les lesbiennes montréalaises ont accompli à l’école Gilford relève à coup sûr d’un acte performatif de résistance. En effet, elles ont collectivement œuvré pendant 10 ans pour s’approprier un espace urbain, s’octroyer en quelque sorte un droit à la ville, pour se donner la liberté de faire leur école buissonnière!
École Gilford

BOISVERT, Suzanne. « Questions d’art et de politique », Des Tribades-Trajets, no 2, décembre 1988, p. 29-35
BOISVERT, Suzanne, et Danielle BOUTET. « Le projet Gilford : mémoires vives d’une pratique artistique et politique », dans Demczuk, Irène, et Frank W. Remiggi, Sortir de l’ombre, Histoires des communautés lesbienne et gaie de Montréal, Montréal, VLB, 1998, p. 313-336.
BOUTET, Danielle. « Le bar Lilith », Ça s’attrape!!, no 2, mars 1983, p. 1.