L’histoire des « lieux d’amusement » montréalais illustre l’instauration d’une industrie du spectacle particulièrement dynamique et changeante, à l’image d’un public curieux et sensible aux audaces.
Théâtre - Théâtre Strand, 1915
Montréal avait une curieuse caractéristique. Ville majoritairement francophone, elle faisait néanmoins partie du vaste réseau de tournées nord-américaines dont le centre était New York et, plus précisément, Broadway. Par son importance démographique, Montréal avait le statut de one-week-stand dans le circuit des tournées, c’est-à-dire que les troupes séjournaient une semaine dans la ville, y présentant leur spectacle six jours d’affilée, parfois deux fois par jour. Ce statut permettait à la ville de recevoir les plus grosses productions de Broadway. Les grands théâtres de Montréal disposaient de tout l’équipement et de l’espace requis pour de tels spectacles. Ainsi, les spectateurs ont pu assister à des courses de chevaux (sur tapis roulants), à des effondrements et des explosions, à des naufrages et des combats. Ils ont même vu passer des trains et des avions sur scène!
Montréal, ville branchée
Théâtre - affiche d'un spectacle
L’intégration de Montréal au marché du théâtre nord-américain permettait ainsi au public local de suivre et de vivre les derniers développements du théâtre occidental. Montréal était une ville branchée! Mais cette intégration posait de graves problèmes. En assistant fréquemment, et en grand nombre, à des spectacles américains, les francophones montréalais participaient à leur propre assimilation linguistique. À la fin du XIXe siècle, cette situation devenait suffisamment alarmante pour que les forces vives de la collectivité francophone mettent tout en œuvre pour favoriser l’éclosion d’une activité théâtrale professionnelle francophone à Montréal. En l’espace de quelques années, des dizaines de scènes francophones, animées par des artistes européens et canadiens-français ont ainsi vu le jour sur Saint-Laurent et dans la partie francophone de la ville. Les deux plus célèbres d’entre elles sont celles du Monument-National et du Théâtre National.
Succès du cinématographe
La fin du XIXe siècle connaît d’autres bouleversements dont les répercussions sur le patrimoine bâti sont considérables. Quand, en 1896, le cinématographe émigre en Amérique, Montréal est l’une des premières villes du continent à en faire l’expérience. Et quelle expérience! Les Montréalais apprécient tellement le nouvel « art » que des entrepreneurs ne tardent pas à investir dans la construction de vastes salles spécialisées, conçues pour la projection des « vues animées ». Alors qu’à Paris, Londres et New York, le cinéma était encore présenté dans des espaces modestes, aménagés pour la circonstance, Montréal s’ouvrait à l’ère des « scopes » ― le Ouimetoscope, le National Biograph, le Nationoscope ―, véritables précurseurs des movie palaces qui, 10 ans plus tard, allaient émerger en nombre dans le paysage urbain d’Amérique. Montréal était ainsi la première ville du monde à posséder des salles de cinéma de plus de 1000 sièges!
Avec la première vague d’immigrants juifs, apparurent des salles de théâtre yiddish. Tout à côté se multipliaient les scènes bilingues, parfois trilingues (yiddish), où se mêlaient indifféremment des francophones, des anglophones et des allophones, amateurs de spectacles drôles et légers, parfois érotiques. Le boulevard Saint-Laurent devenait ainsi le lieu privilégié du burlesque montréalais.
Prospérité du spectacle montréalais
Théâtre - National Biographe
Une chose est indéniable. Ce qui survit de l’activité théâtrale et cinématographique de la période 1895-1915 ne rend guère compte de la remarquable vitalité de l’époque qui a fait de Montréal une métropole si singulière!
Cet article est paru dans le numéro 39 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008. Il a été rédigé par Jean-Marc Larrue et Jean-Pierre Sirois.