Au milieu du XXe siècle, Le Chaînon a œuvré pour prévenir la déchéance des jeunes filles. Il a notamment accueilli, dans les gares et le port de Montréal, les nouvelles citadines démunies.
De 1938 à 1951, l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection (Le Chaînon depuis 1978) offre le service d’accueil aux gares et au port de Montréal. Le but est de sauvegarder l’âme des jeunes filles, de placer ces dernières, de les orienter et de les réadapter à une vie normale et chrétienne.
Contrer de possibles fléaux, en amont
« Nous sommes là jour et nuit afin de prendre sous notre protection toutes les jeunes filles qui ne connaissent pas Montréal. Nous faisons ainsi concurrence à ces individus louches qui sournoisement font la traite des blanches sur une haute échelle dans les gares, les ports et tous les endroits publics de notre grande ville. » — Yvonne Maisonneuve, fondatrice, 1940
Protection de la jeune fille
C’est dans le contexte de cette panique morale que fut créée en 1897, l’Association catholique internationale des œuvres de la protection de la jeune fille, à Fribourg, en Suisse. Approuvé par les autorités ecclésiastiques, le réseau de cette œuvre catholique et sociale s’étend rapidement de la Russie aux États-Unis, puis jusqu’en Amérique du Sud et en Afrique. En 1938, la fondatrice du Chaînon, Yvonne Maisonneuve, devient la fondatrice-directrice de la filiale au Canada. L’association internationale est alors active dans 36 pays. À Montréal, l’œuvre est connue sous le nom de « Protection de la jeune fille » et vise à offrir un service d’accueil rassurant et préventif à toutes les jeunes filles seules et pauvres, sans distinction de nationalité ou de religion. L’objectif est d’agir en amont des dangers, de prévenir les déchéances plutôt que de les guérir. L’œuvre vise donc à faire concurrence aux individus louches en ne laissant pas de jeunes filles succomber aux tentations de toutes sortes, puis devoir être hébergées par les maisons du Bon-Pasteur ou de la Miséricorde.
Propagande pour la sauvegarde de la jeune fille
Protection de la jeune fille 2
Ensuite, pour que les jeunes filles soient épaulées dans leur décision, des publications paraissent dans les journaux ruraux et de nombreuses pancartes portant le nom et l’adresse de la Maison d’accueil sont installées dans les paroisses des campagnes, les églises, les bureaux de poste et les gares. En ville, l’équipe d’Yvonne Maisonneuve déploie une somme de travail tout aussi considérable, notamment l’écriture de maintes lettres demandant des permissions de circulation et de libre accès aux ports et aux gares et celles d’afficher des pancartes. Les affiches sont installées à tous les endroits où l’on imagine qu’une jeune fille pourrait rechercher une protection ou en avoir besoin : toilettes des dames dans les gares, hangars des ports, restaurants, hôpitaux, stations de police, foyers, refuges, places publiques ainsi qu’orphelinats.
Un service d’accueil pour les voyageuses francophones
« Nous avons été averties qu’une jeune fille de la campagne arrivait en ville. Nous sommes allées à sa rencontre à l’arrivée du train et comme elle n’avait pas de parents à Montréal, nous l’avons dirigée à notre Association. » — Une représentante aux gares, 1942
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Pour assurer le service des gares et, le cas échéant, sortir les jeunes filles du pétrin, des conseillères dévouées et bien formées effectuent à tour de rôle des heures de garde aux kiosques, jour et nuit. Puisque l’œuvre charitable fonctionne par les dons reçus grâce à la Providence, ce sont les Associées, les femmes engagées et bénévoles de l’équipe de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, qui procurent le service et, en dernier recours seulement, des salariées sont engagées. Les conseillères se doivent d’être courtoises, réservées, de faire preuve de discrétion, car ce qui se passe et se dit au kiosque doit rester privé. Elles doivent également bien connaître les différents services à l’intérieur des gares, les rues de la ville, les œuvres catholiques et être en mesure de fournir les adresses des restaurants, refuges, gîtes, pensions, hôtels et foyers sécuritaires et recommandables. Finalement, il n’est pas question de laisser partir une jeune fille sans garantie qu’elle est en sécurité, les conseillères vérifient donc au téléphone les disponibilités dans ces endroits. Et quand elles sont prévenues de l’arrivée d’une jeune fille, elles vont l’accueillir directement à la descente du train. De plus, les conseillères sont présentes sporadiquement dans les ports et, grâce à l’octroi d’un libre accès, elles se font un devoir d’accueillir et de diriger en sécurité les jeunes filles à l’arrivée des principaux bateaux venant surtout de Gaspésie et de Beauce.
Le service des gares s’étend également aux filles de la ville et à toutes personnes dans le besoin. Parfois, il s’agit de simplement prêter assistance aux personnes âgées en les conduisant à leur train ou taxi ou en leur trouvant un gîte dans les maisons de secours. Les pauvres femmes séparées de leur mari ayant plusieurs enfants sont orientées à l’Aide à la femme ou à l’Assistance publique. Des personnes plus démunies peuvent également être amenées par les agents de police et, si nécessaire, elles sont confiées à la Cour juvénile.
La Maison d’accueil et le service de placement
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Malgré tous les bénéfices et l’aide apportée à de nombreuses jeunes filles par le service aux gares et aux ports, il soulève certaines questions. Le nombre de bénévoles nécessaires aux kiosques disperse le travail des Associées et le coût des petits salaires met une pression sur le budget déjà très maigre de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection. De surcroît, le service implique l’obligation d’accueillir des membres de l’Église ou des bénéficiaires plus âgées, ce qui détourne l’objectif principal de l’œuvre d’Yvonne Maisonneuve de ne servir que les personnes les plus démunies et sans ressource. Ces motifs font en sorte que c’est avec soulagement qu’est accueilli, le 1er novembre 1951, le transfert des postes d’accueil aux gares aux Équipières sociales, une association fondée en 1941 par Marie-Jeannette Bertrand, docteure en sciences sociales. Le groupe, composé de jeunes laïques, s’occupe de diverses œuvres sociales catholiques.