Seuls des documents témoignent encore de l’existence de la synagogue autrichienne et hongroise qui a abrité la congrégation Shaare Tefilah au début du XXe siècle dans le quartier Milton Parc.
Synagogue Shaare Tefilah
S’installant de plus en plus aux limites de la métropole, ces communautés contribuent à repousser les frontières de celle-ci. Néanmoins, il est possible de suivre le déplacement de ces immigrants en suivant l’érection des clochers, campaniles, dômes et temples aux quatre coins de la ville. C’est le cas, par exemple, pour la communauté juive de Montréal qui trouve dans le quartier Milton Parc un lieu où il fait bon vivre.
L’immigration juive à Montréal s’amorce après la Conquête de 1760, mais demeure somme toute relativement marginale. En effet, les premiers juifs, principalement sépharades, qui migrent vers la métropole le font surtout à partir des îles britanniques, se fondant ainsi dans la population anglophone qui s’enracine dans la ville. Les lieux de culte sont peu nombreux; les pratiquants se regroupant autour des quelques synagogues essaimées sur le territoire montréalais. C’est le cas, notamment, de la congrégation Shearith Israël. Toutefois, les choses changent au tournant du XXe siècle alors que des violences envers les juifs éclatent en Europe de l’Est poussant bon nombre de personnes à fuir. Plusieurs d’entre elles plient bagage vers Montréal.
De nouvelles communautés juives
Cette vague d’immigration change considérablement le visage de la métropole, en à peine quelques décennies. En 1901, 7600 personnes sont de confession juive à Montréal. Dix ans plus tard, en 1911, elles sont 30 000, et 60 000 en 1931. Si les premiers juifs à Montréal se fondent dans la masse de l’immigration britannique, il n’en va pas de même pour les nouveaux arrivants qui proviennent d’une myriade de nations est-européennes. Moins fortunés et parlant le yiddish, qui devient la troisième langue parlée à Montréal après le français et l’anglais, ils s’installent d’abord près du port puis remontent tranquillement vers le nord, sur l’actuel Plateau Mont-Royal, en suivant l’axe du boulevard Saint-Laurent. Pour la plupart, ils travaillent dans l’industrie textile et dans le commerce de détail. Chaque communauté fonde sa synagogue où les ressortissants d’une même région peuvent pratiquer le culte avec leurs compatriotes exilés.
C’est le cas de la congrégation Shaare Tefilah (termes signifiant « les portes de la prière ») qui accueille probablement ses membres dès la fin du XIXe siècle. Associée à la communauté austro-hongroise de Montréal, ce n’est toutefois qu’au cours de la première décennie du XXe siècle qu’elle a pignon sur rue et ouvre les portes de sa synagogue au coin des rues Milton et Clark. Lorsqu’elle est inaugurée, cette synagogue se trouve bien loin du quartier juif traditionnel de Montréal, plus au sud, autour de l’intersection de la rue Saint-Urbain et de ce qui est devenu le boulevard René-Lévesque. Le secteur autour de la synagogue devient rapidement marqué, au cours du XXe siècle, par sa diversité ethnolinguistique qui témoigne du développement démographique et urbain de Montréal.
Toujours plus au nord
Synagogue Shaare Tefilah - plan assurance
Le bâtiment abritant la synagogue est de facture simple et épurée sauf pour les rayons de soleil stylisés qui ornent le sommet de la façade principale. Les étoiles de David bien visibles sur la façade rappellent la fonction du lieu. L’intérieur est typique d’une synagogue orthodoxe avec des espaces séparés pour les hommes et les femmes alors que le point focal est le sanctuaire composé de la bimah (une plate-forme sur laquelle est lue la Torah) et de l’aron kodesh (arche) où sont conservés les rouleaux de la Torah. Fait à noter, bien que la balustrade de la galerie en « U » où sont assises les femmes soit recouverte d’un tissu vert, les pratiquantes ne sont pas cachées derrière un rideau ou une quelconque voilure, démontrant ainsi leur inclusion dans la vie de la synagogue.
Les synagogues montréalaises poussent au rythme de la fondation de congrégations et elles sont plusieurs dizaines actives pendant l’entre-deux-guerres. Shaare Telifah, quant à elle, n’est utilisée par la communauté juive que pendant quelques années puisqu’elle cesse d’être un lieu de culte vers le milieu des années 1920, ou dans les années 1930 au plus tard. La congrégation est à ce moment amalgamée avec d’autres, pour former la grande communauté Shomrim Laboker qui existe depuis 1914.
L’édifice de la synagogue est grandement réaménagé et le site accueille le bâtiment du cinéma Élysée dans les années 1950 qui sera lui aussi démoli au début de la décennie 1990. En 2021, c’est un immeuble de bureaux moderne qui occupe l’espace, toute trace du passé religieux ayant été effacée.
Merci à Richard Phaneuf et à Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture de cet article.
ANCTIL, Pierre. Saint-Laurent : la Main de Montréal, Québec, Septentrion, 2002, 112 p., coll. « Essais canadiens ».
ANCTIL, Pierre, et Ira ROBINSON. Les communautés juives de Montréal. Histoire et enjeux contemporains, Québec, Septentrion, 2010, 275 p.
FERDMAN TAUBEN, Sara. Aspirations and Adaptations : Immigrant Synagogues of Montreal, 1880s–1945, Mémoire (M.A.) (études judaïques), Université Concordia, 2004, 159 p.
KING, Jo. From the Ghetto to the Main : The Story of the Jews of Montreal, Montréal, Montreal Jewish Publication Society, 2003, 353 p.