Criminalisés et réprimés dès la colonisation, les rapports homosexuels sont cantonnés à l’espace privé. Vers 1900, divers lieux de drague homosexuelle, parfois très fréquentés, émergent à Montréal.
Parc La Fontaine, premier quart du XXe siècle
La culture homosexuelle qui prend progressivement forme au tournant du siècle à Montréal est d’abord exclusivement masculine. Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour qu’une culture lesbienne émerge à son tour. Bien que ces rapports soient criminalisés et passibles de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, un nombre croissant d’hommes bravent les risques d’arrestation. Si les hommes de la bourgeoisie disposent plus facilement d’espaces pour vivre discrètement leur sexualité, la promiscuité des logements ouvriers conduit plusieurs hommes de milieux populaires à chercher dans l’espace public non seulement des lieux de rencontre, mais également des lieux propices aux échanges sexuels.
L’anonymat offert par les quartiers centraux représente ainsi un attrait indéniable pour les hommes en quête d’un partenaire sexuel du même sexe. Connu pour sa vie nocturne trépidante et ses nombreuses activités illicites, le secteur du Red Light apparaît comme un environnement privilégié pour ce type de rencontres. Au début du siècle, les nombreux cinémas populaires qui se multiplient, principalement le long du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sainte-Catherine, figurent parmi les lieux de drague les plus prisés. L’obscurité des salles offre une liberté ailleurs interdite.
Des pièges efficaces
Théâtre Royal
À l’instar des autres grandes villes occidentales de la même époque, certains squares et parcs montréalais constituent également de hauts lieux de drague homosexuelle. Les parcs du Mont-Royal et La Fontaine et les squares Viger et Dominion (aujourd’hui square Dorchester) sont sans conteste les plus fréquentés. Si les parcs du Mont-Royal et La Fontaine constituent au début du XXe siècle des sites prisés, ils sont également des lieux d’aventures sexuelles entre hommes et femmes alors que les squares Viger et Dominion attirent majoritairement la gent masculine. En 1912, un constable ayant surpris deux hommes au square Viger affirme qu’une « véritable épidémie » d’actes sexuels sévit dans ce lieu depuis quelques années. En plus d’être des lieux d’échanges sexuels, la nuit tombée, les squares et les parcs facilitent aussi les premiers contacts menant à une relation intime, dans un appartement ou une chambre d’hôtel. Les codes sont connus : il suffit de demander une allumette ou d’emprunter la pipe d’un promeneur pour établir le contact.
Le piégeage est une tactique souvent utilisée par la police. À partir du milieu des années 1910, les statistiques montrent une hausse des arrestations au square Dominion, qui devient, pendant les années 1920, le principal lieu de rencontre homosexuelle de la ville. Au cours de cette décennie, au moins 25 hommes sont ainsi piégés par des agents doubles dans le square ou ses environs immédiats.
Arrestations et drague homosexuelle en croissance
Gare Windsor - carte postale
Alors que la drague homosexuelle dans les lieux publics de la ville est un phénomène encore rare à la fin du XIXe siècle, celle-ci connaît une expansion fulgurante au cours des années 1900 et 1910. Certains squares, parcs, cinémas et toilettes publiques développent une réputation de lieux de rencontre homosexuelle et, en dépit de la surveillance policière et des arrestations fréquentes, attirent un nombre croissant d’hommes à la recherche de partenaires sexuels. Puis, à partir des années 1920, mais surtout des années 1930, de premiers bars seront investis par une clientèle homosexuelle, parfois sous la protection de tenanciers tolérants. Concentrés principalement le long des rues Stanley et Peel, à deux pas du square Dominion, ces bars jetteront les bases de la culture gaie montréalaise qui se déploiera au milieu du siècle.
DAGENAIS, Dominic. Culture urbaine et homosexualité : pratiques et identités homosexuelles à Montréal, 1880-1929. Thèse (Ph. D.), Université du Québec à Montréal Montréal, 2017, 403 p. [En ligne] (Consulté le 3 mai 2018)
https://archipel.uqam.ca/11036/