En 1973, le Centre des femmes de Montréal ouvre ses portes pour offrir des services en adéquation avec les demandes des femmes. Depuis 1976, il occupe une maison emblématique de Milton Parc.
Centre des femmes de Montréal
Au début de cette décennie, quelques femmes publient dans la rubrique féministe d’un journal « alternatif » au centre-ville de Montréal. Parmi elles se trouvent les deux fondatrices du Centre, Mona Forrest et Jackie Manthorne. Leurs articles suscitent un vif intérêt auprès des lectrices et le téléphone ne dérougit pas. Débordées de demandes de renseignements sur les droits des femmes et sur les ressources d’aides disponibles, elles sont convaincues de la nécessité d’offrir un service de soutien permanent aux Montréalaises. En 1973, grâce à une petite subvention locale, elles créent le Centre d’information et de référence pour femmes / Women’s Information and Referral Center (CIRF).
Par des femmes pour des femmes
Centre des femmes de Montréal 1979
En janvier 1975, le Centre est incorporé et ouvre officiellement ses portes au 3595, rue Saint-Urbain, dans un bâtiment alors propriété de l’Hôpital Sainte-Jeanne-D’Arc. Cet établissement de santé, d’abord connu sous le nom « d’Hôpital français », rachète vers 1925 l’édifice du Maternity Hospital, construit en 1903 au coin des rues Saint-Urbain et Prince-Arthur. Servant notamment d’école d’infirmière, l’hôpital possède également des résidences sur la rue Saint-Urbain (dont le 3595) où logent des étudiantes et des infirmières jusqu’à la fin des années 1960.
Mona Forrest et Jackie Manthorne, qui habitent d’ailleurs dans le quartier Milton Parc, choisissent d’y installer le CIRF pour plusieurs raisons. D’une part, le Centre profite de la proximité avec l’Université McGill, car plusieurs étudiantes en droit et en travail social de l’université sont bénévoles au Centre. D’autre part, dès le début de son fonctionnement, l’organisme est très sollicité par des femmes immigrantes, notamment celles de la communauté portugaise. Ainsi, se trouver dans un secteur central, multiethnique et proche du quartier portugais facilite l’accès aux immigrantes. Finalement, les deux fondatrices décident d’occuper la maison de la rue Saint-Urbain parce qu’elles la savent en danger de démolition et souhaitent la préserver.
Sauvée de la démolition
Centre des femmes de Montréal 1987
Ce bâtiment aurait été construit entre 1856 et 1857. De type pavillonnaire, il perd son toit à versants en 1883 qui est remplacé par une toiture mansardée, toujours visible en 2021. Au fil du temps, la maison est successivement agrandie par ses différents résidants. Une cuisine est ajoutée au cours de la seconde moitié du XIXe siècle ainsi qu’une annexe au nord entre 1902 et 1907. Cette dernière servira de bibliothèque au notaire Victor Morin, l’un des occupants les plus connus de la maison. Il est probablement celui qui a habité le plus longtemps à cette adresse. Il y pose ses valises avec sa famille en 1911, après avoir acheté la demeure de Trefflé Berthiaume, figure du milieu journalistique, et y vit jusqu’en 1950. Au moment où le CIRF y déménage, la résidence est toujours la propriété de l’Hôpital Sainte-Jeanne-d’Arc.
La vingtaine de femmes déterminées continuent leur travail en occupant cette autre résidence et en tentant aussi de l’acquérir. Le contexte leur sera finalement favorable. En effet, au tournant des années 1980, des centaines de maisons du quartier Milton Parc sont sauvées de la démolition et transformées en coopératives d’habitations grâce à une mobilisation citoyenne de plus de 20 ans. Les yeux des défenseurs du patrimoine sont rivés sur Milton Parc. Le CIRF est donc soutenu par des personnalités publiques et des organismes locaux. Finalement, la société d’habitation du Québec conclut la vente de l’édifice en 1983 au montant de 52 000 dollars. C’est ainsi que l’ancienne maison de Victor Morin devient officiellement la maison des femmes. En 1985, le nom de Centre des femmes de Montréal/Women’s Centre of Montréal est adopté. Les dernières modifications sont apportées par le Centre : en 1984, une annexe est ajoutée là où se trouvaient initialement les écuries et, en 2005, le bâtiment est agrandi pour faire place aux activités croissantes de l’organisme. Cette expansion représentait la réalisation d’un rêve que chérissait, depuis 11 ans, la directrice générale du Centre des femmes de Montréal, Johanne Bélisle. Elle a d’ailleurs valu à la Fondation du Centre et au cabinet d’architecture Nomade une mention dans le cadre du prix Orange, décerné par Sauvons Montréal, pour l’attention particulière portée aux considérations architecturales dans l’élaboration de ce projet.
Perpétuer la mission
Centre des femmes de Montréal 2019
Le Centre agit donc en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion des femmes, la violence conjugale et les abus sexuels; d’aide à l’intégration et à l’accompagnement des nouvelles arrivantes et des femmes autochtones vivant en milieu urbain; de soutien à l’intégration au marché du travail; d’aide aux mères et à leurs enfants de moins de cinq ans et d’éducation populaire. Que ce soit pour suivre un cours de francisation, participer à un atelier, rencontrer une conseillère en emploi, récolter un panier de denrées ou simplement demander un renseignement, les femmes qui passent la porte du 3585 seront toujours accueillies.
Opérant au niveau régional, le Centre siège à des tables de concertation montréalaises concernant les droits des femmes autochtones et la violence faite aux femmes. Il est également très ancré dans son quartier. Il participe de manière active à deux tables de concertation du quartier, la Corporation de développement communautaire du Plateau-Mont-Royal et la table de concertation Peter McGill. Plus récemment, le Centre s’implique auprès de la Communauté Saint-Urbain qui milite depuis 2017 pour la préservation de la vocation sociale et publique du complexe de l’Hôtel-Dieu.
Ainsi, depuis 1983, le Centre des femmes de Montréal a pris sa place dans la maison de la rue Saint-Urbain en tant que propriétaire dans le quartier Milton Parc et dans le cœur de nombreuses Montréalaises. Johanne Bélisle nous confie ce qu’elle garde en mémoire de ses années comme travailleuse sociale puis comme directrice générale de l’organisme : « En 34 ans de présence ici, au Centre, j’ai eu à rencontrer des femmes avec différents parcours. Des femmes brisées, qui ont rebâti leur confiance. Des femmes courageuses qui ont gravi les échelons. Des familles complètement déstabilisées qui se sont reconstruit une vie ici, au Québec. C’est un privilège de côtoyer ces femmes qui, malgré une détresse momentanée, ont vraiment une volonté sincère d’améliorer leurs conditions de vie. Leur courage, leur détermination sont une source d’inspiration pour nous. »
L’autrice remercie Johanne Bélisle pour l’entretien accordé en juillet 2021 et pour la relecture de cet article. Elle remercie aussi Richard Phaneuf et Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture.
Victor Morin
Victor Morin, Maskoutain d’origine, est connu à la fois pour son travail dans le milieu notarial et pour son implication dans la vie culturelle et historique du Québec. On lui doit le Code Morin, ouvrage procédural qui permet de tenir des assemblées délibérantes ordonnées et démocratiques. Il fonde également l’Association du notariat canadien en 1917. De plus, il participe à la politique montréalaise alors qu’il contribue, entre autres, à l’établissement de la bibliothèque municipale de Montréal au début des années 1910.
L’une de ses grandes passions demeure l’histoire et la mise en valeur de celle-ci. Au fil des années, il sera membre de plusieurs associations faisant la promotion de l’histoire et du patrimoine, notamment la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, la Société d’archéologie et de numismatique de Montréal et la Société historique de Montréal. Il est l’homme derrière l’implantation d’une pratique commémorative pour souligner la fondation de la métropole au début du XXe siècle. Il est aussi reconnu pour son militantisme pour la préservation du Château Ramezay. Il est également l’un des membres fondateurs de la Société des Dix.
Victor Morin décède en 1960 après une vie professionnelle et personnelle particulièrement prolifique qui lui a d’ailleurs valu le surnom de « président des présidents » en hommage à son implication dynamique dans plusieurs groupes et associations.