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Le procès de Marie-Josèphe-Angélique

07 novembre 2016

En 1734, l’esclave Angélique est accusée d’avoir incendié Montréal. Les documents d’archives permettent de reconstituer son procès et son exécution. Ils laissent cependant planer de nombreux doutes.

Dès le lendemain de l’incendie du 10 avril 1734, une rumeur circule dans la ville. L’esclave Marie-Manon a dit qu’Angélique avait l’intention de faire brûler la maison de sa maîtresse.

La rumeur a-t-elle dit vrai? Les archives du procès permettent d’en douter, car Angélique ne s’est pas sauvée. Elle est demeurée sur place pour aider sa maîtresse, la veuve Francheville. Arrêtée et jetée en prison, Angélique clame haut et fort son innocence. Est-elle innocente? Si oui, qui est coupable? Ou serait-ce un accident? Il y a matière à faire enquête.

Les autorités appliquent l’Ordonnance criminelle de 1670 qui règle les procédures et poursuivent Angélique pour incendiat (crime de mettre volontairement le feu à la propriété d’autrui). Son procès débute le 12 avril et durera six semaines. Une vingtaine de Montréalais, des marchands, des fonctionnaires, des domestiques, des esclaves, et même des enfants, vont témoigner au procès. Aucun n’a vu le geste reproché à Angélique, mais leurs propos vont conduire l’esclave à la potence.

L’arrestation

Cachot

Illustration d'un cachot
Centre d'histoire de Montréal.
Le 11 avril 1734, les huissiers Jean-Baptiste Decoste et Nicolas Marchand, accompagnés de mousquetaires, arrêtent Angélique dans le jardin de l’Hôtel-Dieu. Elle s’y est réfugiée après le sinistre avec des dizaines de Montréalais pour y passer une première nuit froide. Elle est conduite aux prisons royales de Montréal, rue Notre-Dame. Selon la requête du procureur du roi, il est de « commune renommée » que le feu a été causé par Angélique, dite « la négresse ». Pour ajouter foi à cette rumeur, plusieurs se rappellent que le dimanche 22 février, elle a tenté de s’enfuir en Nouvelle-Angleterre avec Claude Thibault, un ancien engagé de la maison Francheville. Thibault est d’ailleurs aussi visé par cette requête d’arrestation. On le cherchera dans les jours suivants, on le fera assigner par un « cri public ». Mais il demeurera introuvable.

Angélique est donc arrêtée sur une simple rumeur, comme la loi le permet, suivant une « preuve par commune renommée » ou par « clameur publique ». Sans avoir rien vu, plusieurs vont répéter cette histoire devant le tribunal :

« Je connais la négresse, elle est mauvaise! » − Marguerite César dite Lagardelette

« J’ai aussi entendu dire, depuis l’incendie, qu’elle avait dit à la panis qu’elle ne coucherait pas dans sa maison. » − Marguerite de Couagne

« Tout ce que je sais, c’est par la rumeur. Ma panis m’a dit, que la négresse avait dit que sa maîtresse ne coucherait pas dans sa maison. » − François Bérey des Essars

« Je n’ai pas vu la négresse mettre le feu, mais dès que j’ai vu le feu, j’ai su que c’était elle. » − Jeanne Tailhandier dite Labaume

« J’ai seulement entendu la rumeur de Marie-Manon, qui a dit à la veuve Francheville, que sa négresse lui avait dit, que sa maîtresse ne coucherait pas dans sa maison. » − Jacques-Hippolyte Leber de Senneville

« Marie-Manon m’a dit que c’est la négresse qui a mis le feu parce qu’elle lui a dit que sa maîtresse ne coucherait pas dans sa maison. » − Jeanne Nafrechou

L’interrogation

Juge Pierre Raimbault

Illustration du juge Pierre Raimbault
Une école montréalaise pour tous.
L’accusée doit se défendre seule car les avocats sont interdits en Nouvelle-France. Elle est interrogée dès le lendemain de son emprisonnement, le 12 avril 1734, par le juge Pierre Raimbault, conseiller du roi et lieutenant général civil et criminel de la juridiction royale de Montréal. Sont aussi présents le greffier de la Cour, l’huissier audiencier et le concierge de la prison. Il y aura quatre interrogatoires, sans compter ceux sur la sellette et celui au moment de la torture. Dans les quatre interrogatoires, Angélique maintient qu’elle n’a pas mis le feu. Dans le premier, lorsque le juge lui demande si elle a dit à la panis (l’esclave autochtone Marie-Manon) du sieur Bérey des Essars que sa maîtresse et elle ne coucheraient pas chez elles, l’accusée dira que c’est faux, qu’il aurait fallu qu’elle soit possedé du diable si elle l’avait fait. Le procureur du roi n’assiste pas aux interrogatoires, mais le greffier lui transmet une copie des questions et des réponses. Car c’est le procureur qui décide des étapes subséquentes.

La déposition

Les témoins sont entendus secrètement et séparément, comme il se doit. Même des enfants en dessous de l’âge de puberté peuvent témoigner si le juge le désire. Angélique n’a aucune connaissance de leur identité et de leur témoignage. Tous, ou presque, reprennent la rumeur transmise par l’esclave Marie-Manon.

Le juge Raimbault entendra ainsi les témoins suivants les 14 et 15 avril :
⎯ Étienne Volant Radisson, 69 ans, colonel de la milice de Montréal;
⎯ Thérèse de Couagne, 36 ans, veuve et propriétaire d’Angélique;
⎯ Marguerite de Couagne, 10 ans, nièce de Thérèse de Couagne;
⎯ Marie-Manon, environ 15 ans, esclave autochtone de François Bérey des Essars;
⎯ Charlotte Trottier Desrivières, 10 ans, petite-fille du juge et amie de Marguerite de Couagne;
⎯ Jacques-Hippolyte Leber de Senneville, 15 ans, écuyer;
⎯ Marguerite César dite Lagardelette, 53 ans, domestique et blanchisseuse;
⎯ Jeanne Tailhandier dite Labaume, 41 ans, veuve d’un notaire et épouse d’un marchand;
⎯ Marie-Louise Poirier dite Lafleur, 28 ans, domestique;
⎯ Marie-Josèphe Bizet, environ 18 ou 20 ans, domestique chez un armurier;
⎯ Jean-Joseph Boudard dit Laflamendiere, dans la quarantaine, chirurgien à l’Hôtel-Dieu;
⎯ Françoise Geoffrion, 52 ans, veuve.

Aucune de ces personnes n’a vu Angélique mettre le feu. Le juge reprendra les interrogatoires le 1er mai, avec Louis Langlois dit Traversy, 33 ans, et son épouse Marie-Françoise Thomelet, employés de Thérèse de Couagne dans sa ferme de la côte Saint-Michel. Puis il interroge Alexis Lemoine Monière, 53 ans, marchand et beau-frère de Thérèse de Couagne, Ignace Gamelin, 35 ans, marchand, Catherine Custeau, 25 ans, domestique chez Alexis Lemoine Monière, Jacques Jalleteau, environ 21 ans et aussi domestique chez Alexis Lemoine Monière, et Jeanne Nafrechoux, 40 ans, épouse de François Bérey des Essars.

Le récolement

Chaque témoin doit se présenter une deuxième fois devant le juge pour procéder au récolement. Le greffier relit leur déposition. Le témoin peut alors simplement confirmer que ce qu’il a dit est la vérité, ou il peut ajouter ou enlever des informations. La plupart ne feront que confirmer leur témoignage. Marie-Manon fera ajouter : « […] lorsque la négresse regardait du côté de la couverture de la maison des Francheville, elle allait se mettre contre le mur de la cour de l’hôpital, de l’autre côté de la rue. Et il y avait aussi un soldat malade, qui avait la main enveloppée, à la porte de l’hôpital, qui a pu voir la négresse aussi bien que moi. »

La confrontation

Marie-Manon

Illustration de Marie-Manon, esclave amérindienne de François Bérey des Essars
Une école montréalaise pour tous.
Le procureur du roi choisit certains témoins qu’il désire confronter à l’accusée dans l’espoir de la faire avouer. C’est à cette étape du procès que l’accusée découvre le visage de ceux et celles qui ont témoigné contre elle et ce qu’ils ont dit. Entre le 12 mai et le 4 juin, Angélique fera face tour à tour à Marie-Manon, à Marguerite César dite Lagardelette, à Françoise Geoffrion, à Marie-Louise Poirier dite Lafleur, à Louis Langlois dit Traversy, à Marie-Françoise Thomelet, à Charlotte Trottier Desrivières, à Étienne Volant Radisson, à Jean-Joseph Boudard dit Laflamandière, à Marguerite de Couagne et à Thérèse de Couagne. Lorsqu’Angélique entend le témoignage de Marie-Manon, elle répond : « Tu n’es qu’une malheureuse, une menteuse et une indigne! Je n’ai pas dit que ma maîtresse ne coucherait pas dans sa maison! Je ne suis pas allée de l’autre côté de la rue regarder vers le toit de la maison! Tu es indigne et misérable de dire de telles faussetés! Vers cinq heures, je jouais avec toi à sauter, à savoir laquelle traverserait le mieux la rue. » Marie-Manon rétorque : « C’est vrai que j’ai essayé de traverser la rue en sautant, mais c’est après ça que je t’ai vue contre la cour de l’hôpital, et tu regardais vers le toit de la maison. Quand je t’ai vue, j’étais en train de tourner la broche dans la salle de mon maître, et toi tu étais vis-à-vis la fenêtre de l’autre côté de la rue. Et quand quelqu’un a crié “Au feu!”, tu parlais à un homme à la porte de l’hôpital! »

Un témoin-surprise

Amable Lemoine Monière

Illustration de la petite Amable Lemoine Monière
Une école montréalaise pour tous.
Six semaines après le début du procès, personne n’a encore affirmé avoir vu Angélique mettre le feu. Soudain, le 26 mai, à 17 heures, le marchand Alexis Lemoine Monière, beau-frère de la veuve Francheville, se présente chez le juge Raimbault. Il est accompagné d’Amable, sa fille de 5 ans. Cette enfant aurait quelque chose d’important à dire : « Le jour de l’incendie, pendant qu’on jouait, j’ai vu la négresse prendre du feu sur une pelle et monter au grenier. » Voilà enfin le témoin tant attendu! Son récolement est prévu pour le lendemain matin. Amable n’a rien à ajouter. Ce même matin, Angélique est mise en présence d’Amable pour une confrontation. Lorsqu’elle entend le témoignage d’Amable, Angélique s’exclame : « Mais elle ment! Il faut que quelqu’un lui ait dit de dire cela! Ma petite Amable, viens ici auprès de moi, et dis-moi qui t’a dit de dire cela? Je te donnerai un morceau de sucre. » Précisons qu’Angélique et Amable se connaissent bien, puisqu’Angélique a habité à quelques reprises chez les Lemoine Monière. Amable répètera : « Oui, tu es montée en haut pendant que les petites filles jouaient. »

La sellette

Malgré la déposition du témoin-surprise, Angélique refuse toujours d’admettre sa culpabilité. Le juge et ses quatre conseillers, des notaires dont deux ont perdu leur demeure dans l’incendie, procèdent alors à deux interrogatoires sur la sellette, un tout petit banc en bois, très bas sur pieds, pour impressionner l’accusée et la faire craquer. Le premier a lieu la même journée que la confrontation avec Amable. Pour Angélique, c’est le 53e jour d’emprisonnement et le 5e interrogatoire. Le juge tient à la main une liste de questions, toutes plus précises les unes que les autres. Elles ont pour but d’affirmer une fois pour toute la culpabilité de l’esclave.

LE JUGE. − Qui est venu à la maison le jour de l’incendie?

ANGÉLIQUE. − Je n’ai vu personne parce que j’ai passé presque tout l’après-midi à courir dans les jardins à chercher de la salade de pissenlits.

LE JUGE. − Pourquoi dis-tu que le feu a pris dans le grenier mais qu’il n’y avait pas de feu dans la cheminée, alors qu’une autre fois, tu as dit ne pas savoir à quel endroit le feu a pris?

ANGÉLIQUE. − Je ne sais pas si le feu a pris par dehors ou par dedans! Et j’ai bien pu dire qu’il n’y avait pas de feu dans les cheminées, puisqu’il n’y avait que deux ou trois petits tisons dans l’une et un peu de braise dans l’autre!

LE JUGE. − Pourquoi mens-tu? Tu nous as dit le 3 mai que tu étais montée au grenier avec Volant Radisson le soir de l’incendie!

ANGÉLIQUE. − Je ne suis pas allée chez le sieur Radisson et je ne suis pas montée avec lui, ni dans l’escalier, ni dans le grenier! Je ne sais pas s’il est monté au grenier. Je ne l’ai pas vu. Je n’ai même vu personne monter dans le grenier avec des seaux! J’ai seulement entendu demander de l’eau. Lorsque le feu s’est déclaré, j’étais sur le pas de la porte et je parlais au soldat Latreille, qui était de l’autre côté de la rue à la porte de l’Hôtel-Dieu. Je me suis avancée dans la rue seulement lorsqu’il a crié « Au feu! »

La sentence

Opinion juridique de Jean-Baptiste Adhémar - Marie-Josèphe-Angélique

Document d'archives de Jean-Baptiste Adhémar sur la sentence qui devrait être donnée à Marie-Josèphe-Angélique
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre de Montréal.
Les conseillers rendent leur jugement le 4 juin, après le deuxième interrogatoire sur la sellette, en se basant sur tous les documents du procès. Voici la transcription de leurs jugements :

Jean-Baptiste Adhémar dit Saint-Martin, 45 ans, notaire royal :

« Mon avis est que la dite négresse soit condamnée à faire amende honorable, la torche au poing, ensuite le poing coupé, brûlée toute vive, préalablement appliquée à la question ordinaire et extraordinaire pour savoir ses complices. Ce jour d’hui, 4 juin 1734. Adhémar »

Nicolas-Auguste Guillet de Chaumont, environ 39 ans, sergent devenu notaire :

« Je trouve l’accusée bien et dûment coupable d’avoir mis le feu chez Mademoiselle Francheville. Pour réparation de quoi, mon avis est qu’elle fasse amende honorable la torche au poing que l’on lui coupera devant la Cathédrale de cette ville. Et ensuite, la jeter au feu toute vive, préalablement appliquée à la question ordinaire et extraordinaire pour déclarer les complices. Fait à Montréal, le 4 juin 1734. Chaumont »

Charles-René Gaudron de Chèvremont, 32 ans, ancien secrétaire du gouverneur devenu notaire :

« Après avoir mûrement examiné toute la procédure faite contre l’accusée, je trouve que la dite accusée est suffisamment atteinte et convaincue d’avoir mis le feu à la maison de la demoiselle veuve Francheville ce qui a causé l’incendie d’une partie de la ville. Pour réparation de quoi, mon avis est qu’elle soit condamnée à faire amende honorable, le poing coupé, jetée au feu toute vive dans l’endroit le plus commode de cette ville et préalablement appliquée à la question ordinaire et extraordinaire pour avoir révélation de ses complices, et qu’il soit sursis au jugement du nommé Thibault jusqu’à ce que la dite accusée ait eu la question. Fait à Montréal, le 4 juin 1734. De Chevremont »

François Lepailleur dit Laferté, marchand de fourrures devenu notaire :

« Je trouve que l’accusée est dûment convaincue du crime dont on l’accuse; pour réparation duquel mon avis est qu’elle soit condamnée à faire amende honorable à la porte de l’église; à avoir le poing coupé ensuite brûlée vive, préalablement appliquée à la question pour avoir révélation de ses complices; à Montréal, ce quatrième jour de juin mille sept cent trente quatre. F Pailleur »

Le juge compose la sentence définitive cette même journée. Sur l’avis de ses conseillers, il condamne Angélique à être torturée pour la forcer à dénoncer ses complices. Ensuite, elle sera conduite par le bourreau, Mathieu Léveillé, un esclave noir, dans une charrette à déchets et portera un écriteau mentionnant « INCENDIAIRE ». Devant l’église, elle fera amende honorable : nue tête et à genoux, elle déclarera avoir mis le feu et demandera pardon à Dieu, au roi et à la justice. Elle aura ensuite le poing coupé, puis sera conduite sur la place publique où elle sera attachée à un poteau avec une chaîne de fer. Elle sera brûlée vive et ses cendres seront jetées aux vents.

L’appel

Comme l’exige la Loi criminelle de 1670 dans le cas d’une sentence de mort, le procureur du roi fait appel de la sentence au nom d’Angélique. Une copie de tous les documents du procès est préparée. Le procureur, accompagné d’Angélique, se présente à Québec devant le Conseil supérieur.

Le samedi 12 juin 1734, le Conseil confirme la culpabilité de l’accusée mais rejette la sentence du juge et de ses quatre conseillers. Oui, Angélique sera exécutée, mais elle n’aura pas à être transportée dans une charrette à déchets, ni mutilée, ni attachée avec une chaîne de fer, ni brûlée vive. Elle sera cependant soumise à la torture parce qu’elle refuse de reconnaître sa culpabilité.

La torture

Supplice des brodequins (détail)

Le supplice des brodequins
Paul-Louis Jacob. Paul Lacroix (Bibliophile Jacob). XVIIIe siècle : institutions, usages et Costumes, France 1700-1789. Paris, Firmin-Didot frères, 1875.
La justice française est très stricte. Angélique refuse d’admettre son crime, elle est donc condamnée à la torture. Le juge a choisi les brodequins. C’est un esclave de la Martinique, surnommé Mathieu Léveillé, qui sert de bourreau.

Quatre planches de chêne, le bois le plus dur, sont placées verticalement de chaque côté des jambes. Les planches dépassent le genou de quatre doigts environ. Les jambes sont fortement attachées ensemble par des cordes au-dessous des genoux et au-dessus des chevilles de l’accusée.

L’accusée subit la « question ordinaire et extraordinaire ». Quatre questions lui sont posées lors de la « question ordinaire » et quatre lors de la « question extraordinaire ». À chaque question, des coups de maillet sont appliqués sur une pointe de bois insérée près des genoux puis près des chevilles. Les os d’Angélique craquent et se brisent.

Sous la torture, Angélique cède et crie : « C’est moi, avec un réchaud, personne ne me l’a conseillé, c’est une pensée, une mauvaise pensée qui m’est venue. »

L’exécution

Le bourreau

Illustration du bourreau
Centre d’histoire de Montréal.

Les condamnés subissent leurs sentences publiquement. La justice française croit que la peur est la meilleure prévention du crime. Les mises à mort sont publiques et annoncées plusieurs jours à l’avance.

D’après le rapport officiel de l’exécution et les recherches archivistiques entreprises par l’historienne Denyse Beaugrand-Champagne, Angélique a été exécutée à l’intersection des rues De Vaudreuil et Saint-Paul. Les détails de l’exécution ont été reconstitués à partir des archives du procès et de documents d’époque sur la justice française.

Ces informations ont été reprises pour une allocution prononcée devant Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean, Gouverneure générale du Canada, lors d’un hommage à Marie-Josèphe-Angélique à la Maison Parent-Roback et lors du lancement du site Web La Torture et la vérité. Angélique et l’incendie de Montréal, au Centre d’histoire de Montréal, le 7 avril 2005. En voici un extrait :

« Le 21 juin 1734, la foule rassemblée rue Saint-Paul regarde le bourreau et Angélique grimpés au haut de l’échelle appuyée contre la potence. Le tambour roule. On essaie de voir le visage d’Angélique une dernière fois. La foule retient son souffle, plusieurs font un signe de croix, et le bourreau la pousse dans le vide. Le corps se débat pendant la seconde de silence que la scène provoque. Le bourreau s’agrippe ensuite au bras de la potence et frappe à pieds joints sur les mains liées de la condamnée et lui assène des coups de genoux à la poitrine. La foule exulte.

Le corps sans vie se balance au bout de la corde, laissé bien à la vue de la foule pendant que le bourreau prend la torche que lui tend un mousquetaire et met le feu au grand bûcher. Le corps de l’esclave est alors détaché et tombe au sol avec un bruit sourd. La foule se rapproche pour mieux voir. Le bourreau traîne le corps par les pieds comme le cadavre d’un chien mort et le jette au milieu des flammes dans une explosion d’étincelles. Certains crient leur joie, non pas tant à cause de la scène mais par défoulement après ces quelques heures d’un mélange d’excitation, de tension, de peur et d’effroi. D’autres auraient préféré la voir brûler vive alors que certains préfèrent garder le silence. On aura brûlé son corps et laissé ses cendres aux quatre vents dans l’espoir d’en effacer à tout jamais la mémoire. »

Épilogue

Les évènements de 1734 ont ressurgi du passé au début du XXe siècle. En 1925, le journal montréalais La Patrie publiait un long reportage sur le destin d’Angélique. En 1960, l’historien Marcel Trudel révélait dans un ouvrage pionnier l’existence de l’esclavage en Nouvelle-France. C’est surtout depuis les années 1990 que le procès d’Angélique a inspiré récits, chroniques et romans avant de faire l’objet d’une étude historique et archivistique.

Pour plusieurs auteurs, Angélique est coupable d’avoir causé l’incendie dans un geste de révolte contre sa maîtresse. Pour cette raison, elle est considérée comme la première à s’être révoltée contre son statut d’esclave en Amérique du Nord. Pour d’autres, elle est innocente et a servi bien malgré elle de bouc émissaire.

Son histoire a-t-elle livré tous ses secrets?

Cet article est une version remaniée de textes de l’exposition Qui a mis le feu à Montréal? 1734. Le procès d’Angélique, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 11 octobre 2006 au 30 décembre 2008.