Placé dans la chapelle dont le balcon servait de potence, le prie-Dieu conservé au Centre d’histoire était l’un des derniers objets utilisés par les condamnés à mort exécutés à la prison de Bordeaux.
L’objet
Prie-Dieu
Nous ne connaissons pas la date de fabrication du prie-Dieu de la collection du Centre d’histoire et nous ne savons pas, non plus, s’il a été spécifiquement fabriqué pour la prison ou s’il provient d’une autre institution. Comme il est de conception traditionnelle, sa fabrication peut dater de la première moitié du XXe siècle ou tout aussi bien remonter à la fin du XIXe siècle. Il n’y a aucune marque ou inscription qui pourrait nous aider à le dater plus précisément. Seul un historien qui aurait la patience de faire des recherches dans les registres des achats et des entrées de matériel dans la prison, sur des décennies, pourrait, peut-être, répondre à cette question…
La peine de mort au Canada
Dès les débuts de la colonie, sous le Régime français, puis anglais, la peine de mort était appliquée dans les cas considérés les plus graves. Mais ce n’est qu’en 1859 que la peine de mort est inscrite officiellement dans le Code criminel canadien. À l’époque, les effractions punies de cette façon sont « le meurtre; le viol; la trahison; l’administration de poison ou l’infliction de blessures dans l’intention de commettre un meurtre; les mauvais traitements illégaux infligés à une personne du sexe féminin âgée de moins de dix ans; la sodomie et la bestialité; le vol qualifié avec infliction de blessures; le vol avec effraction et voies de fait; le crime d’incendie; faire couler un navire; et donner un signal trompeur mettant en danger un navire ».
Au Canada, seule la pendaison était autorisée comme forme d’exécution. On considérait que c’était la meilleure méthode pour une mort rapide et sans souffrance, car elle était causée par dislocation des vertèbres. D’autres pays ont préféré des méthodes différentes, comme le peloton d’exécution (Chine), la chaise électrique, la chambre à gaz ou l’injection létale (États-Unis), ou la guillotine (France).
Graduellement, des voix se sont élevées contre cette peine, jugée inhumaine et sans effet dissuasif et, petit à petit, le nombre d’effractions passibles de la peine capitale a diminué. En 1869, ce sont le meurtre, la trahison et le viol qui peuvent encore valoir une telle condamnation. Les juges, aussi, optent de plus en plus souvent pour la prison à perpétuité.
La peine de mort est abolie du Code criminel en 1976 par un vote très serré mais, dans les faits, il n’y en avait plus eu depuis 1962. Les derniers exécutés au Canada étaient un voleur qui avait tué des policiers et un malfrat qui avait supprimé un indicateur et un témoin; ils ont été pendus au même moment à la prison de Don Jail, près de Toronto. Au Québec, la dernière personne exécutée l’a été en 1960, à la prison de Bordeaux. Il s’agissait d’Ernest Côté, qui avait tué un gérant de banque lors d’un vol à main armée.
En 1987, un projet de loi privé a tenté de rétablir la peine capitale, mais il a été rejeté par la Chambre des Communes, à 148 voix contre 127. Il y aura eu, entre 1867 et 1971, un total de 1481 condamnations à la peine de mort au Canada. 710 ont été exécutées (697 hommes et 13 femmes) et le reste a été commué en peine de prison à perpétuité.
Le rituel de la peine de mort à la prison de Bordeaux
Prie-Dieu - ancienne potence
Les préparatifs de l’exécution sont réglés dans les moindres détails. Celle-ci avait toujours lieu un vendredi, afin de rappeler la crucifixion des deux larrons, des voleurs qui avaient été exécutés en même temps que le Christ.
Trois jours avant l’exécution, le prisonnier était transféré dans une cellule particulière, placée près de la chapelle qui, elle, donnait directement sur le balcon faisant office de potence. À partir de ce moment, il était sous la surveillance constante d’un infirmier.
Le jeudi, la veille de l’exécution, le bourreau venait rencontrer le condamné afin de prendre ses mesures (son poids, le tour de son cou), car il devait déterminer la bonne longueur de corde qu’il allait lui-même tresser. Il était très important que le bourreau s’acquitte parfaitement de cette tâche afin que l’exécution soit « propre », sans souffrances inutiles. Il fallait que les vertèbres se sectionnent d’un seul coup, sinon c’était la mort par suffocation ou encore la décapitation.
Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux)
Si cette question vous intéresse et si vous désirez voir des images des lieux, deux reportages des archives de Radio-Canada sont à votre disposition. Un reportage de René Lévesque date de 1960, donc une année avant la dernière exécution au Canada. On peut y voir des images de la cellule des condamnés à mort, de la chapelle et du balcon de la prison de Bordeaux. Nous pouvons même apercevoir brièvement le prie-Dieu. Un autre reportage date de 1987, au moment du débat autour du projet de loi privé voulant réintroduire la peine de mort dans le Code criminel canadien. On peut y voir des images plus récentes des lieux ainsi qu’entendre le témoignage de celui qui a été l’infirmier lors des deux dernières exécutions.
Le lieu
Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux)
C’est la plus grande prison du Québec, avec une capacité maximale (mais parfois dépassée) de 1357 détenus. De nos jours, il s’agit d’hommes en attente de procès ou condamnés à deux années ou moins de prison.
Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux)
La prison de Bordeaux a hébergé de célèbres détenus comme Jacques Mesrine, Lucien Rivard et Richard Blass, et a connu quelques évasions.
Nom : Prie-Dieu
Numéro d’inventaire : 2013.1-2
Matériau(x) : Bois; métal
Dimensions : 87,5 cm x 68 cm x 51 cm
Année ou période : Fin du XIXe ou début du XXe siècle
Inscription : Il n’y a aucune inscription sur l’objet.
Sur le reçu de vente qui l’accompagne, on peut lire : Prison de Montréal 800 boul. Gouin Ouest Montréal P. Q. […] Le 3 mai 1982 […] 1 prie-dieu […].
Au verso du reçu apparaît une note manuscrite : Prie-Dieu de la chambre des condamnés à mort à l’angle de l’infirmerie près du centre.
Le docteur Jean F. Labrosse est le responsable des services de santé de l’établissement de détention de Montréal de 1980 à 1986. Il a acheté le prie-Dieu le 3 mai 1982, lors de rénovations de la chapelle de la prison. À sa mort, sa sœur, Françoise Labrosse Decoste en a hérité et elle l’a donné au Centre d’histoire de Montréal.