Le 1er août 1834, dans le port de Montréal, on célèbre la mise en vigueur de la Loi de l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques. On trinque à la santé de l’Empire!
Port 1830 - Sproule
Ce petit nombre pourrait laisser croire que l’esclavage a été un phénomène isolé dans l’histoire canadienne. Malheureusement non. Environ 4000 personnes, Premières Nations et Noirs, sont réduites à l’asservissement entre les débuts de la Nouvelle-France et l’adoption de la loi de 1834. Reste que l’économie de cette colonie du Nord n’a jamais dépendu de la traite humaine. Aussi, le mouvement abolitionniste y est puissant dès le XVIIIe siècle. Résultat : peu de gens y sont encore esclaves dans les années 1830. Il n’en demeure pas moins que cette nouvelle législation représente une victoire importante pour les défenseurs de la cause. Parmi eux, plusieurs Afro-Montréalais se démarquent.
Les Afros-Montréalais du début du XIXe siècle
Serveur noir sur le bateau à vapeur «British America »
Même si leur nombre demeure limité (environ une centaine en 1840), leur implication dans la cité est indéniable, particulièrement pour les causes abolitionniste et antiraciste. Alexander Grant fait partie des figures marquantes de cette époque. Arrivé de New York en 1830, il tente de faire sa place comme entrepreneur et acteur politique.
Pour en finir avec l’esclavage
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Bien évidemment, ce n’est pas la prise de position de quelques abolitionnistes qui fait bouger le Parlement britannique. D’autres facteurs expliquent l’adoption de cette loi, dont la résistance des Africains asservis, les menaces de révolte et une concurrence mondiale accrue qui fragilisent un système économique basé sur l’exploitation humaine.
Célébrons la victoire
Marché Sainte-Anne vers 1839
La face cachée de l’émancipation
L’adoption de la Loi de l’abolition de l’esclavage est sans contredit une victoire, mais la bataille est loin d’être gagnée. Cette nouvelle législation comporte des contraintes difficiles à digérer pour les abolitionnistes. Les esclaves âgés de plus de six ans doivent demeurer apprentis pour encore quatre à six années. C’est seulement après cette période qu’ils seront libres. Des indemnisations sont versées aux propriétaires, mais aucune somme n’est attribuée aux personnes exploitées…
Même libérés, les Noirs sont toujours les victimes d’un racisme ambiant et persistant. À Montréal, Alexander Grant continue ses sorties publiques pour dénoncer les injustices et les incohérences du système britannique. En mai 1834, dans une lettre parue dans The Vindicator, il remarque que les Noirs ne bénéficient pas de tous les droits et privilèges des citoyens britanniques : « […] such as serving on Juries &c. but wich, from some unexplained cause, have not been extended to us. » [« […] certains tels que, notamment, siéger dans un jury, ne [leur] ont pas été accordés, pour des raisons inexpliquées. »]
Le jour de l’Émancipation à Montréal et au Canada
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Le jour de l’Émancipation est souligné à travers les villes canadiennes par des centaines voire des milliers de personnes. Prières, défilés, marches militaires, festins et discours : la commémoration prend des formes variées et se poursuit au XXe siècle. Au début des années 2000 à Montréal, la Universal Negro Improvement Association (UNIA) cherche à garder cette mémoire vivante en organisant un événement spécial pour le jour de l’Émancipation, tel que le rapporte l’article « A Celebration of Freedom » du Montreal Gazette du 1er août 2009.
Arrivé à Montréal à 29 ans, Alexander Grant profite de la vitalité commerciale de cette ville portuaire pour se tailler une place comme entrepreneur. « Économie et élégance » promet fièrement Grant « from New York » [« de New York »] aux clients potentiels de son service de buanderie (en 1830). C’est probablement la première annonce faite par un Noir dans un journal de Montréal, remarque l’historien Frank Mackey. Grant, qui sera aussi perruquier et coiffeur, établit son commerce dans la rue Saint-Paul, près de la rue Saint-Pierre. Ces affaires semblent bien rouler puisqu’ils engagent plusieurs employées et apprentis, souvent de jeunes hommes blancs bilingues.
Ses activités comme militant et entrepreneur sont brusquement interrompues en 1838. Lors d’un « accident déplorable » à cheval, l’activiste perd la vie. Dans l’article de L’Ami du peuple, du 22 août 1838, on ajoute : « M. Grant était un homme de couleur, mais respectable et de très bonne conduite. » Ce « mais » maladroit au cœur de l’éloge de Grant révèle le type de préjugés dont les Montréalaises et Montréalais noirs pouvaient être l’objet. Le parcours de Grant nous rappelle l’histoire, trop souvent méconnue, des Afro-Montréalais venus s’établir dans la ville au XIXe siècle et le courage dont elles et ils ont dû faire preuve pour, malgré le racisme, s’y tailler une place.
BESSIÈRES, Arnaud. La contribution des Noirs au Québec : quatre siècles d’une histoire partagée, Les publications du Québec, Québec, 2012, 173 p.
HENRY, Natasha L. Emancipation Day, Celebrating Freedom in Canada, Natural Heritage Books, Toronto, 2010, 282 p.
HENRY, Natasha L. « Abolition de l’esclavage, loi de 1833 », [En ligne], Encyclopédie canadienne, 29 janvier 2015.
http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/abolition-de-lesclavage-...
The Vindicator, mai 1834, extrait tiré de MACKEY, Frank. « Messing with Dragons ». Dans Black Then: Blacks and Montreal, 1780s-1880s, chapitre 18, Montréal, McGill-Queens University Press, 2004, p. 89-106.
L’Ami du peuple, 22 août 1838, BAnQ, cité par MACKEY, Frank. « Messing with Dragons ». Dans Black Then: Blacks and Montreal, 1780s-1880s, chapitre 18, Montréal, McGill-Queens University Press, 2004, p. 104-105.
MACKEY, Frank. L’esclavage et les Noirs à Montréal, 1760-1840, Montréal, Hurtubise, 2013, 672 p.