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La synagogue B’nai Jacob et les Yidishe Folks Shuln

12 août 2019
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L’histoire du Mile End au XXe siècle est étroitement associée à celle de la communauté juive. Deux institutions, aux visées contrastées, y ont profondément laissé leur marque.

B'nai Jacob

Page couverture du Canadian Jewish Chronicle du 2 mai 1919 avec une illustration de la future synagogue
The Canadian Jewish Chronicle, 2 mai 1919.
Présente au centre-ville depuis 1886, la congrégation B’nai Jacob, formée de juifs russes et polonais, achète des terrains dans le Mile End en 1918. Elle veut construire l’une des plus grandes synagogues au Canada, mais aussi en faire le principal centre communautaire des juifs du Mile End.

Une synagogue de prestige pour les juifs du Mile End

Le 19 août 1921, la congrégation annonce que la nouvelle synagogue est enfin terminée et qu’elle sera accessible pour les fêtes solennelles. L’édifice qui ouvre alors ses portes est de style roman. Le minaret et le dôme qui étaient prévus à l’origine ont disparu, et les façades latérales sont plus modestes que dans le plan initial. Il n’en conserve pas moins, grâce à son toit ovale, une arche frontale massive. L’auteure d’un ouvrage sur les synagogues montréalaises, Sarah Ferdman Tauben, suggère que ce style, inspiré de synagogues françaises, veut créer un lien avec le caractère canadien-français du quartier environnant.

Les premières années sont difficiles, et il faudra une mobilisation de l’ensemble de la communauté juive montréalaise pour résoudre les problèmes financiers. « B’nai Jacob doit survivre », écrit en 1922 le Canadian Jewish Chronicle, non seulement comme synagogue, mais aussi comme centre communautaire pour protéger et promouvoir l’identité juive dans le nouveau quartier.

Synagogue B’nai Jacob

Photo ancienne d'une synagogue
Collection de Sara Ferdman Tauben

Cette vocation s’accomplit notamment grâce à la chorale et aux concerts. La synagogue est réputée pour son acoustique remarquable et ses chantres renommés, attirant un public fidèle. Sa chorale, formée de jeunes du quartier, a également une grande réputation. La B’nai Jacob Young People’s Society est particulièrement active. Le programme de la soirée du 27 décembre 1922 nous en fournit un exemple : elle commence par un exposé sur la situation des femmes en Russie soviétique. L’orateur invité soutient qu’elles y ont atteint une véritable égalité avec les hommes, grâce aux cuisines collectives et aux garderies créées par l’État. Madame Mary Fuerst chante ensuite quelques chansons, suivies par une lecture publique de la nouvelle L’ours d’Anton Tchekhov. Le tout se conclut par la prestation d’un trio à cordes.

Un autre choix que les écoles talmudiques

Collège Français

Photographie contemporaine d’un bâtiment de brique de trois étages.
Photo de Thomas Legeleux, Centre d'histoire de Montréal.
Bien que de multiples activités non religieuses se tiennent à la synagogue, des militants socialistes juifs veulent offrir une option laïque à l’enseignement religieux des écoles talmudiques. La résidence située au 5201, rue Waverly a ainsi abrité entre 1924 et 1941 une nouvelle succursale des Yidishe Folks Shuln (Écoles juives populaires). Ces écoles mettent l’accent sur la justice sociale, la culture yiddish et le sionisme, perçus comme valeurs essentielles de l’identité juive. Le succès est tel qu’un nouvel édifice, situé juste en face, au 5210, rue Waverly, est construit en 1941 pour abriter l’école.

Les travaux de construction de la nouvelle école commencent dès le mois de septembre 1940 et le nouvel édifice, conçu par l’architecte Max Kalman, ouvre ses portes pour la rentrée de septembre 1941. Cet intervalle très court, surtout dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale, s’explique par le fait que toute la communauté juive montréalaise s’est mobilisée : ériger cette nouvelle école est présenté comme une réponse à la barbarie nazie.

Le choix de l’emplacement de l’école n’est pas le fruit du hasard. Elle se trouve juste à côté de l’école primaire Fairmount, administrée par la Commission scolaire protestante. Même si plus de 80 % des élèves qui la fréquentent sont d’origine juive, presque tous les enseignants et la direction sont protestants. Lorsque les enfants ont terminé leur journée à l’école protestante, ils se rendent aux Folks Shuln pour suivre des cours d’hébreu, de yiddish, ainsi que d’histoire et de culture juives.

Déclin et nouvelle vocation

Collège Français

Photographie contemporaire d’un bâtiment abritant une école.
Photo de Thomas Legeleux, Centre d'histoire de Montréal.
Les Écoles juives populaires suivent la migration d’après-guerre vers les nouvelles banlieues : l’institution déménage à Snowdon, avenue Van Horne, en 1955. Elle y existe toujours, sous le nom de Jewish People’s & Peretz Schools (JPPS), après avoir fusionné avec une autre école progressiste, Peretz, en 1971. L’immeuble de la rue Waverly est occupé par un collège talmudique, Merkaz Hatorah, de 1957 à 1971. Le Collège Français, l’actuel occupant, l’achète en février 1972.

Quant à la synagogue B’nai Jacob, les effectifs de la congrégation baissent fortement pendant les années 1950, avec le départ de la communauté juive vers les nouvelles banlieues. En 1956, B’nai Jacob fusionne avec Chevra Kadisha, une autre congrégation du Mile End, qui a déjà déménagé à Snowdon. En avril 1964, le Collège Français achète l’édifice de l’avenue Fairmount et remplace la façade originale par une façade moderne. L’intérieur est complètement transformé pour abriter des salles de classe. L’acte de vente permettait au vendeur d’enlever tous les symboles religieux de l’édifice, y compris les caractères hébraïques sur la façade. Mais cela n’a pas été fait, ce qui a permis cette curieuse juxtaposition des vocations originale et contemporaine de l’édifice, un autre exemple de l’hybridité du Mile End.

Cet article est extrait des textes Synagogue B’nai Jacob et Yidishe Folks Shuln, rédigés par Yves Desjardins en 2016 et accessibles sur le site Internet de Mémoire du Mile End.

Référence bibliographique

FERDMAN TAUBEN, Sara. Traces of the Past. Montreal’s Early Synagogues, Montréal, Véhicule Press, 2011.