Depuis les années 1960, la musique latino-américaine s’est épanouie à Montréal. Riche de multiples origines, influences et fusions, elle a créé un pont entre les populations immigrantes et d’accueil.
Abordons l’histoire de la musique latino-américaine et de ses adeptes à Montréal, levons le voile sur les artistes les plus remarquables, les milieux dans lesquels ils ont évolué et leurs activités artistiques. Nous découvrirons ainsi le rôle joué par la musique dans le rapprochement entre la société québécoise et les Latino-Américains ainsi que les contributions de ces derniers à l’enrichissement de la culture du Québec par la fusion des rythmes latino-américains, locaux ou venus d’ailleurs.
1960-1980, le commencement
Les débuts de la musique latino-américaine à Montréal remontent aux années 1960. Les premiers musiciens latino-américains qui s’y sont fait remarquer ont été les frères Merci et Cuco Gonzalez. Originaires de Matanzas, à Cuba, ils étaient accompagnés dans leurs représentations par des artistes natifs d’Haïti. Le genre musical qu’ils interprétaient était le boléro. En 1967, dans le cadre d’Expo 67, est arrivé à Montréal José Armando Torres, plus connu dans le milieu musical sous le nom de Joé Armando. Il était alors directeur d’un ensemble de musique colombienne, l’Orquesta Colombia Cumbia, qui rassemblait des musiciens parmi les plus représentatifs de l’époque en Colombie. Le succès du groupe à l’exposition universelle lui a permis de décrocher un contrat au club Le Tropicana de Montréal et de donner d’autres performances dans différentes villes de la province. Selon José Armando Torres, Montréal était à cette époque l’un des centres d’ébullition de la vie culturelle en Amérique du Nord, et cela l’a incité à y élire domicile. Aujourd’hui, il est reconnu comme l’une des principales références pour les nouveaux groupes de musique latino-américaine à Montréal.À la fin des années 1970 et durant les années 1980, la musique latino-américaine la plus en vogue à Montréal a été le tango. L’auteure Claudine Audet affirme que, depuis cette époque, Montréal et New York sont en compétition pour le titre de capitale nord-américaine du tango. Selon Gerardo Sanchez, danseur et directeur artistique de la compagnie de danse Tango Libre, la métropole québécoise est considérée comme « la quatrième capitale internationale du tango après Buenos Aires, Amsterdam et Berlin ».
Les années 1980, les premiers métissages
Au début des années 1980, des musiciens venant de Cuba ont commencé à jouer de la musique traditionnelle cubaine à Montréal. C’est le cas de Lazaro Rene et de son frère. L’engouement généré par cette musique parmi les multiples amateurs de musique du monde au Québec a amené un grand nombre de Montréalais à apprendre cette musique et les danses cubaines. Plusieurs personnes d’ici sont parties à Cuba pour étudier sa musique et sa culture musicale. Cet intérêt et la présence à Montréal d’ensembles de salsa ont motivé certains producteurs et promoteurs musicaux québécois à mettre en avant la salsa à Montréal et à organiser des spectacles consacrés à cette musique. Ceci a contribué à dynamiser le rapprochement interculturel de Montréalais issus de différents horizons autour de la musique latino-américaine.
La décennie 1980 est caractérisée par un grand fait culturel, la création d’ensembles musicaux constitués par des musiciens d’origines québécoise et latino-américaine. De cet événement a résulté le premier métissage entre la musique d’ici et de là-bas. Depuis le début des années 1970, la promotion et la diffusion de la musique latino-américaine à Montréal ont principalement été assurées par Radio Centre-Ville, les clubs et les fêtes privées. À cette époque, avec l’arrivée de la vague des réfugiés chiliens, cette station de radio retransmettait surtout la nouvelle chanson du Chili, mais aussi la salsa et d’autres genres de musique populaire, particulièrement de la musique pour danser.
Les années 1990, la diversification musicale
Jorge Ross et son orchestre Pambiche
Cependant, à la fin des années 1990 et au début des années 2000 a commencé la disparition de la plupart de ces ensembles musicaux, car l’implantation des technologies numériques a provoqué la crise des groupes constitués de plus d’une demi-douzaine de musiciens, car certains instruments de musique ont été remplacés par des appareils électroniques. Cette crise a touché davantage les ensembles de musique instrumentale caribéenne qui sont devenus peu rentables économiquement. Le manque de rentabilité et la difficulté de vivre de leur art éprouvée par les musiciens ont été les principales raisons de la dissolution de la plupart de ces ensembles montréalais. Durant ces années, les genres de musique latino-américaine les plus en vogue à Montréal ont été la salsa, le merengue, la cumbia et la bachata.
À cette époque, les discothèques sont devenues les principaux lieux de diffusion de la musique latino-américaine, suivies par le Festival international de jazz, les fêtes privées et les fêtes de célébration de l’indépendance des pays latino-américains. De 1994 à 1996, un autre espace de transmission a été le programme Télé-Ritmo V, ainsi que certains journaux qui publiaient des chroniques sur l’actualité de la musique latino-américaine à Montréal. Parmi les musiciens les plus remarquables de cette période, on compte Jorge « Papo » Ross, un saxophoniste venu de République dominicaine, compositeur et chanteur de merengue, salsa et latin jazz, et Carlos Placeres, un troubadour, compositeur et interprète d’origine cubaine, connu pour avoir donné à la trova cubana une dimension contemporaine. Parmi les entrepreneurs qui ont fait la promotion de la musique d’Amérique latine durant cette période, deux se sont démarqués : Edgardo Linares et Andrés Mendoza, de la firme Antara Productions.
Depuis les années 2000, une période de grandes transformations
Alexander Betancourt [Ramon Chicharron]
Dans cette nouvelle génération, certains se sont taillé une place sur la scène musicale montréalaise. On retient les noms de : Boogat, Mamselle Ruiz, Bïa Krieger, Tomás Jensen, Guipi Orchestra, Roberto López, Ramón-Chicha-Ron, Los Viejha, Bumaranga et Jesús Cantero, entre autres. Il est important de noter que l’activité créative de cette génération a été marquée par la fusion des rythmes et des genres musicaux, processus dans lequel chaque musicien a apporté la culture de son pays de naissance et a essayé de fusionner sa musique et son rythme avec ceux d’artistes d’autres nationalités.
Bumaranga
La reconnaissance
École de danse San Tropez
Certains groupes musicaux d’origine latino-américaine ont gagné les Syli d’Or de la Musique du Monde décernés par le Festival International Nuits d’Afrique, notamment : Proyecto Iré en 2016, avec son travail sur la musique cubaine; Akawui, chanteur-compositeur chilien, en 2015; Bumaranga en 2013, avec des rythmes afro-colombiens; Cuban Martinez Show en 2011, avec sa fusion de la musique cubaine traditionnelle et du jazz. Les Syli d’Argent ont été obtenus également par Los Viejha, en 2015, et par Raíces Caña y Son, en 2013.
Enfin, la musique latino-américaine continue d’attirer l’attention de la société québécoise, qui s’intéresse à la musique des tropiques pour sa luminosité, sa chaleur, son rythme et son ambiance festive. Depuis les années 2000, les festivals d’été sont devenus un des espaces les plus privilégiés par les musiciens latino-américains pour faire entendre leur musique, car ils sont fréquentés par un public de multiples origines ethniques. De plus, depuis les années 1990, plusieurs écoles de danse se sont créées. C’est le cas de l’école San Tropez, qui a été l’une des pionnières. Pour stimuler la diffusion de la musique et des danses latino-américaines à Montréal, on organise fréquemment des concours. Chaque année depuis 2004, la Montreal Salsa Convention organise un festival, dont les spectacles et les ateliers de salsa sont les principales activités. Des festivals de percussion ont également été mis sur pied. Ainsi, la musique est devenue une des passerelles les plus importantes dans le rapprochement entre les Latino-Américains de Montréal et les gens d’autres cultures.
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Entretiens avec des personnes du milieu artistique de diverses origines, établies à Montréal : Joé Armando (musicien d’origine colombienne), Carlos Placeres (musicien d’origine cubaine), Jorge « Papo » Ros (musicien d’origine dominicaine), Mamselle Ruiz (chanteuse d’origine mexicaine), Bïa Krieger (chanteuse d’origine brésilienne), Alexander Betancourt [Ramon Chicharron] (musicien d’origine colombienne) et Yoel Dias (musicien d’origine cubaine). Deux personnes impliquées dans le milieu artistique ont également été interviewées : les Montréalais Marie-Claude Roy (promotrice artistique) et Yves Bernard (chroniqueur, spécialiste des musiques métissées).