Des moments symboliques ont marqué l’histoire du taxi à Montréal. Ils permettent de comprendre les transformations de cette industrie et illustrent l’évolution du métier de chauffeur.
« Pour les gens de l’industrie du taxi qui travaillent dans la métropole, pris entre les moments d’espoir et les moments d’abattement, c’est, depuis plus de cent ans, le jour de la marmotte. » ― Jean-Philippe Warren, Histoire du taxi à Montréal
Taxi - permis conducteur 1952
L’histoire du taxi repose en grande partie sur l’émission de permis autorisant les travailleurs autonomes de l’industrie du taxi à exploiter leur véhicule comme gagne-pain. Ce métier est structuré par des stratégies d’affaires visant à réguler l’environnement du chauffeur qu’il soit propriétaire (détenteur de plus d’un permis ou d’un seul pour lui-même), chauffeur à temps plein, occasionnel ou à temps partiel. Depuis le commencement, ces travailleurs doivent réagir aux fluctuations des règles émises par les compagnies ou le gouvernement, souvent hors de leur contrôle : augmentation ou limite du nombre de permis émis (quotas), perte ou hausse de leur valeur, tentative de monopole, concurrence, réglementations, déréglementations, charges administratives, etc.
Arrivée du taxi à Montréal
Taxi - station Imperial
Inspirés par les célèbres yellow cabs (« taxis jaunes ») que John D. Hertz a lancés à Chicago en 1907, les frères Bramson fondent la Bramson’s Auto-Service à Montréal autour de 1915. Ils adoptent le taximètre de la Yellow Cab Company de Chicago en 1921, avant d’importer son modèle de franchises indépendantes en 1925. L’entreprise devient alors publiquement la Yellow Cab Company de Montréal, communément appelée « Taxis jaunes ». Le parc grimpe alors à 275 automobiles, en faisant la plus importante de la métropole et la cinquième en Amérique. Leurs voitures sont reconnues pour leurs services de prestige, leur apparence élégante, leur confort et leur sécurité. En 1926, l’entreprise fusionne avec sa principale rivale, Kennedy Taxi, pour devenir la Consolidated Cab. Dès lors, la nouvelle entité contrôle la moitié des permis d’exploitation de l’industrie du taxi montréalais. Malgré cela, elle n’arrive pas à gérer sa croissance rapide et est incapable de rivaliser avec les autres petites compagnies pour conserver ses droits d’exclusivité. Elle déclare faillite en 1927.
Une organisation alternative se distingue cependant dans le paysage urbain pour concurrencer les frères Bramson : l’association de services Diamond est fondée en 1922 en tant que coopérative, partant du constat qu’elle n’est pas obligée de posséder l’exclusivité d’un parc de taxis et de le gérer pour affronter son compétiteur. L’originalité du modèle d’affaires de cette nouvelle entité va même à l’encontre de la norme monopolistique établie jusque-là. Elle décide plutôt d’agir comme un courtier de services pour les chauffeurs. Elle offre aux 70 membres propriétaires indépendants, ayant fait front commun contre les frères Bramson, des services similaires à ceux fournis par ces derniers (centre de répartition d’appels téléphoniques, postes d’attente dans la ville, campagnes publicitaires) en retour d’une cotisation mensuelle.
Pendant les années qui suivent la création de Diamond, le nombre de permis augmente et atteint soudainement 3000 en 1929. À cause de cette forte concurrence, les chauffeurs de taxi doivent travailler de nombreuses heures pour survivre. D’autres, n’étant pas en mesure de payer leur permis, font faillite au moment du krach boursier qui survient la même année. À la fin de la crise économique, il ne reste plus que 1500 permis de taxis à Montréal, puis ils dégringolent à 800 en 1931.
Grève du taxi
Taxi - Manifestation 1936
Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale réduit le nombre de taxis et fait passer l’industrie sous le contrôle du gouvernement fédéral. Pendant ce temps, les chauffeurs font de bonnes affaires, mais les clients se plaignent d’un manque de voitures. À la fin de la guerre, des permis sont octroyés aux soldats qui reviennent du front, ils créent la compagnie Vétérans qui dure 65 ans. La Ville décide de ne plus imposer de quotas de permis, ce qui provoque un nouveau cycle d’instabilité et la dégradation des conditions de travail des chauffeurs. Comme les hommes désertent le métier, des femmes font leurs débuts au volant des taxis durant les années 1950 et créent l’émoi.
Émeute de Murray Hill
Taxi - 31 octobre 1968
Ils veulent exprimer leur colère avec plus de mordant pour se faire entendre auprès des autorités municipales et contester le statu quo. Ainsi, les chauffeurs prennent la compagnie Murray Hill pour cible, car elle « symbolise tout ce qui semble aller mal dans la société québécoise ». Des manifestations éclatent contre le monopole lucratif des services de limousines et d’autobus nolisés que la compagnie détient et exploite entre la ville et l’aéroport Dorval (actuel aéroport international Montréal-Trudeau). Le 7 octobre 1969, c’est la « nuit de la terreur : les chauffeurs saccagent le garage de Murray Hill et pillent le centre-ville ».
Selon Jean-Philippe Warren, entre les années 1970 et 1990, « la composition ethnique de la population des chauffeurs montréalais bascule complètement ». Plus de la moitié provient des minorités ethniques ou racisées. Arrivés au tournant des années 1980, les Québécois d’origine haïtienne intégrant l’industrie du taxi sont particulièrement stigmatisés en raison de leur couleur de peau. Ils font face à de grands défis. Il faut dire que, depuis la guerre, les chauffeurs de taxi sont habités par la crainte qu’on leur vole leur emploi. La période de récession qui sévit dans les années 1980 accroît ce stress. La société prend conscience de l’ampleur du phénomène, car les chauffeurs noirs se mobilisent pour casser les préjugés à leur endroit. Les associations de taxis favorisent enfin leur intégration vers 1992.
Professionnalisation du métier
Taxi - Boul. Saint-Laurent, années 1950
Un des plus importants catalyseurs de changement dans l’histoire de l’industrie du taxi au XXIe siècle est l’émergence d’Uber. Au moment où l’industrie du taxi accède à une forme d’équilibre du marché entre l’offre et la demande (quotas de permis), tout vole en éclat avec l’entrée massive d’UberX en 2014. Le choc a l’effet d’un tsunami. Le Syndicat des Métallos, qui défend les intérêts des chauffeurs et des propriétaires de taxis depuis la fin des années 1980, multiplie les représentations auprès du gouvernement du Québec, alléguant que ce service de covoiturage illégal affecte ses revenus et baisse la valeur des permis. Le gouvernement est d’abord enclin à protéger l’industrie du taxi, mais la bataille s’étire et il fait volte-face. Il impose la Loi 17 abolissant le système de permis pour les chauffeurs de taxi, mais encadrant désormais toutes les compagnies numériques comme Uber. En 2019, l’industrie intente un recours collectif contre le gouvernement pour avoir dépossédé les titulaires de leur permis. En 2024, la Cour supérieure statue sur la perte financière encourue par l’industrie et impose à Québec de verser plus de 143 millions de dollars aux propriétaires de taxi.
BERGERON, Johane. « Taxi! Témoins de la cité! », Projet d’exposition sur les chauffeurs de taxi, Rapport de stage, projet de recherche-action, Mémoire (M.A. en muséologie), Université du Québec à Montréal, août 2017, 119 p.
FAVREAU, François-Alexis. « Perte de valeur des permis de taxis : Québec devra verser plus de 143 millions $ », Radio-Canada Info, 21 juin 2024.
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« Organe vital de la métropole : les taxis de Montréal ont 108 ans d’histoire! », Taxi Le Journal, Bureau du taxi de Montréal, hiver 2016, volume 23, no 4, p. 18.