En 1967, Judy Rebick, jeune étudiante, héberge deux groupes de rock emblématiques de la contreculture. Invités à visiter l’Exposition de Montréal, ils s’en désintéressent complètement.
Dans le cadre de son exposition Explosion 67. Terre des jeunes, soulignant le 50e anniversaire d’Expo 67, le Centre d’histoire de Montréal a lancé un appel à tous. C’est à cette occasion que le Centre d’histoire a interviewé Judy Rebick.
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Judy Rebick, journaliste et activiste vivant à Toronto, était étudiante à l’Université McGill dans les années 1960. Elle avait 21 ans en 1967 mais, faisant partie de la contreculture politique et culturelle, elle a porté peu d’intérêt à l’Expo 67, dont elle se souvient à peine.
À l’époque, Judy était une militante radicale en relation avec un homme plus âgé, Roger, un anglophone appartenant à la scène bohémienne de Montréal. Dans son cercle social, la consommation de drogues, notamment du haschich et du LSD, était courante. Judy Rebick évoluait dans le milieu underground et artistique. La musique avait une grande part dans la révolution culturelle. Elle répandait les idées contestataires tandis que les musiciens se radicalisaient et devenaient iconiques.
Plongeant dans ses souvenirs, Judy Rebick livre une anecdote marquante et originale, illustrant à la fois la vie des militants de la contreculture et leur rapport à Expo 67.
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Judy Rebick
« Salut, mon nom c’est Larry. Je suis le gérant de tournée de Jefferson Airplane et de The Greateful Dead », s’est-il présenté, et il a ajouté : « On aimerait dormir chez vous pour quelques nuits, parce qu’on est de passage pour l’Expo. » Paul Krassner nous avait parlé de Larry et il nous avait paru sympathique.
Quelques mois plus tôt, on avait fait connaissance avec Krassner, l’éditeur de la célèbre revue new-yorkaise The Realist, qui publiait des textes satiriques, cinglants et sans filtre. Krassner était pour plusieurs d’entre nous une figure mythique. Roger avait été invité dans sa chambre d’hôtel. Je l’avais accompagné, mais j’étais restée assise dans un coin et sans rien dire. C’était un comportement habituel pour une femme, donc personne ne s’en est préoccupé. Charmé par Roger, Krassner a ensuite recommandé à tous les gens qu’il connaissait qui prévoyaient se rendre à Montréal d’aller à sa rencontre.
Accueillir deux groupes rock très célèbres
Judy Rebick
Roger s’intéressait peu aux célébrités. Mais il était quand même excité. Jefferson Airplane était un des plus grands groupes rock du moment. C’était comme si Haight Ashbury débarquait dans notre appartement. C’est pratiquement impossible aujourd’hui de comprendre ce qui a pu faire en sorte que deux groupes rock très célèbres débarquent ainsi chez des gens, mais c’était les années 1960. Seule Grace Slick, de Jefferson Airplane, a dormi à l’hôtel. « Elle fait toujours ça », nous a dit avec exaspération un autre membre du groupe.
Fondateurs de la scène de San Francisco
Judy Rebick - Groupes de jeunes
Je ne connaissais rien de The Greateful Dead, pourtant ce sont eux qui m’ont le plus intéressée. Jerry Garcia avait toujours une guitare à son cou. Il s’exerçait sans cesse. Sa copine, qui avait adopté le nom de Moutain Girl, était très grande. Ils avaient un bébé nommé Sunrise, qui les accompagnait. Garcia était le philosophe du groupe, et je me rappelle que, quand je m’assoyais avec eux, c’était toujours lui qui parlait le plus. Les membres du groupe avaient l’air d’être de bons amis. Garcia et Pig Pen avaient souvent de longues discussions sur divers sujets. J’ai appris plus tard que Mountain Girl était membre des Merry Pranksters. C’est probablement une des personnes les plus « gelées » que j’ai connues dans ma vie. Dans la cuisine, elle me disait : « J’aimerais aller en Chine », sans qu’il y ait de lien avec quoi que ce soit. Elle disait : « Imagine, tout le monde est chinois », et les autres répondaient : « Cool. »
L’Expo ne nous intéressait pas
Judy Rebick
Par contre, les deux groupes ont été des invités super. Ils apportaient plein de bonne nourriture et, au moment de partir, ils ont nettoyé tout l’appartement. Je suppose que ça faisait partie de l’éthique du mode de vie communautaire auquel ils avaient adhéré. Je crois que je n’ai jamais eu de meilleurs invités.
Baigner dans leur univers
Le lendemain, ils se rendaient, cette fois avec quelques voitures, à la ferme de Timothy Leary. Ils m’ont invitée à les accompagner. Je m’apprêtais à monter dans une des voitures quand j’ai constaté qu’ils étaient tous sur l’acide, y compris les conducteurs. « Klaxonnez quand vous arriverez à la frontière », plaisantait l’un d’entre eux. C’est alors que j’ai décidé de finalement rester à la maison. Un de mes rares regrets dans ma vie est de ne pas avoir pris part à ce voyage. Visiter la ferme de Timothy Leary en 1967 avec The Greateful Dead aurait probablement été l’un des événements les plus sensationnels de ma vie. Mais peut-être que c’était ça le problème : c’était plaisant de baigner dans leur univers pour quelques jours, mais j’étais réticente à l’intégrer pleinement. Ma vie était déjà passablement survoltée, je n’étais pas certaine que je pouvais en prendre davantage, et j’avais sans doute raison.
La vie de débauche de Roger affectait de plus en plus la mienne. L’année suivante, je n’étais plus à Montréal. J’ai quitté la ville pour m’éloigner de lui.
Judy Rebick, 2016