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La communauté haïtienne à Montréal

02 juin 2016

La présence affirmée de Haïtiens dans le paysage montréalais, culturel ou politique, est le signe d’une communauté nombreuse et dynamique, implantée dans la métropole depuis plusieurs décennies.

La présence haïtienne à Montréal est plus ancienne qu’on ne le croit généralement. Dès les années 1930, quelques dizaines de jeunes étudiants haïtiens séjournent dans la métropole.

Mais l’histoire de l’immigration haïtienne au Québec commence véritablement avec le renversement du président Élie Lescot, en 1946, et surtout après l’installation en 1957 du régime répressif du docteur président François Duvalier, dit Papa Doc. Depuis, les bouleversements politiques, économiques, et même géologiques, de cette île, qu’on nomma jadis « la perle des Antilles », n’ont cessé de chasser loin de ses rives, ses fils et ses filles par milliers jusqu’à celles de notre île métropole.

En 2011, la communauté des quelque 111 000 Montréalais et Montréalaises d’origine haïtienne offre la diversité d’une véritable société : diversité d’opinions politiques, de statuts socioéconomiques, d’instruction, de travail et même de langue. Leur place dans le quotidien et l’imaginaire de la métropole est remarquable.

Jeunesse dorée

Haïtiens - 1958

. Frantz Voltaire, directeur du CIDIHCA, avec les membres de sa famille à l’Oratoire Saint-Joseph en 1958
Archives du CIDIHCA
Dans les années 1940 et au début des années 1950, c’est individuellement et en petit nombre que les Haïtiens choisissent Montréal. Des jeunes appartenant aux élites haïtiennes sont envoyés par leurs parents pour étudier dans les meilleures institutions de la ville. La présence en Haïti de communautés religieuses québécoises et de certaines institutions, comme la Royal Bank ou la compagnie d’assurance Sun Life, facilitent les contacts.

La plupart retournent ensuite en Haïti. Certains restent ici, comme Max Dorsinville, venu à Montréal pour étudier au Collège Saint-Laurent et devenu par la suite écrivain, ou Édouard Wooley, ténor détenteur d’un doctorat en musique et un des fondateurs en 1948 du Studio d’art lyrique à Montréal. D’autres, comme Jean Bolté, étudiant en administration, retournent en Haïti après leurs études pour revenir ensuite à l’arrivée de Duvalier au pouvoir.

Un exil d’île en île

La dictature de François Duvalier, à partir de 1957, pousse des activistes politiques, des intellectuels, des artistes et des professionnels francophones et créoles à s’installer dans l’île de Montréal. Les pieds dans la neige et la tête en Haïti, « Montréalais le jour et Haïtiens la nuit », ils arrivent en pleine Révolution tranquille. La petite communauté de 500 personnes en 1967 compte déjà plus de 3700 personnes en 1971. Les professionnels sont accueillis à bras ouverts au moment où les systèmes publics de santé et d’éducation se forment.

Haïtiens - Anthony Phelps

Anthony Phelps et un autre homme assis à l'extérieur
Archives du CIDIHCA
Pour ces milliers d’exilés, la communauté de langue avec les Québécois facilite les contacts. Anthony Phelps, avec la publication du recueil de poésie Mon Pays que voici, devient le chantre des Haïtiens d’ici. Les artistes et écrivains haïtiens comme Serge Legagneur et Gérard Étienne sympathisent avec les Québécois Gaston Miron et Nicole Brossard. Le café Le Perchoir d’Haïti, ouvert dans les années 1960, devient rapidement leur lieu de rencontre, tout comme La Case à Rhum et La Casa Pedro.

Mais il n’y a pas que l’écrit et la parole pour se rencontrer. Les Montréalais et Montréalaises découvrent dans la frénésie les musiques de Joe Trouillot, Kesner Hall, Nono Lamy et Guy Durosier.

Montréal, ville refuge

La deuxième vague d’immigration des années 1970 est plus forte. Populaire et créole, elle est en grande partie composée de travailleurs non spécialisés et de leurs familles. Avec l’ouverture, en 1978, d’un vol direct entre Port-au-Prince et Montréal, des réfugiés haïtiens arrivent aussi dans la métropole québécoise. Haïti devient le pays d’où viennent le plus d’immigrants au Québec, avec 14,7 % de l’immigration.

Haïtiens - Édouard Anglade

Édouard Anglade, premier policier noir du Service de police de la Ville de Montréal, et une collègue.
Archives du CIDIHCA
L’intégration se complique, des problèmes apparaissent, en même temps que naissent les premières organisations communautaires pour y faire face : la Maison d’Haïti, fondée en 1972 par des étudiants universitaires dans le cadre d’un projet d’initiative locale, et le Bureau de la communauté chrétienne des Haïtiens de Montréal, aussi fondé en 1972, par les prêtres catholiques Paul Dejean, Karl Lévêque et Joseph Augustin. Dans les années 1970, la mobilisation générale des organismes haïtiens contre la déportation d’immigrants illégaux haïtiens témoigne d’un militantisme nouveau au sein de la communauté. Signe des temps, Édouard Anglade devient en 1974 le premier policier noir de la Communauté urbaine de Montréal.

La création de maisons d’édition comme Nouvelle Optique, de revues comme le collectif Paroles, de la maison de production de disques Caliban, de la Société de recherche et de diffusion de la musique haïtienne, la mise sur pied de l’émission La Voix d’Haïti à Radio Centre-Ville et la formation de groupes féministes sont autant de signes d’une vie intellectuelle florissante au sein de la communauté en pleine formation.

Vivre, enfin

Haïtiens - cabane à sucre

Enfants de la Maison d’Haïti à la cabane à sucre
Archives du CIDIHCA
Un accord entre les gouvernements québécois et canadien, l’accord Cullen-Couture, normalise, en 1978, la situation des immigrants illégaux. Plusieurs Haïtiens régularisent ainsi leur statut au Québec et peuvent enfin envisager y refaire leur vie. Cela dynamise la vie communautaire. Des leaders émergent. Des luttes s’organisent, comme celle qui dénonce en 1982 le racisme qui sévit dans le milieu des chauffeurs de taxi.

En 1986, le régime Duvalier s’écroule. Le fils de Papa Doc, Jean-Claude Duvalier, s’enfuit. L’espoir renaît avec l’élection de Jean-Bertrand Aristide. Plusieurs Montréalais d’origine haïtienne retournent à Haïti, rêvant de contribuer à son développement.

Même si les immigrants haïtiens doivent maintenant obtenir un visa pour venir au Canada, c’est une nouvelle vague de plus de 10 000 personnes, composée de professionnels, d’artistes et d’étudiants, qui viennent s’installer à Montréal jusqu’à la fin des années 1990. Les quartiers Saint-Michel et Montréal-Nord deviennent des petites patries haïtiennes où l’on parle, mange et danse créole. Des commerces s’ouvrent sur les rues Jarry, Bélanger, Fleury, Saint-Michel et dans le quartier Rivière-des-Prairies. Les boîtes de nuit résonnent au son du kompa.

Les Haïtiens arrivés jeunes ou nés ici se métissent culturellement, parlent français avec l’accent québécois, apportent de nouvelles valeurs et de nouvelles musiques. De crises familiales en crises sociales, ces jeunes gens vivent les tensions provoquées par l’intégration, mais aussi des réussites remarquables et remarquées par toute la société québécoise.

Terminus Montréal

Haïtiens - salon du livre

Joséphine Bacon, écrivaine autochtone, avec des écrivains haïtiens au Salon du Livre de Montréal.
Archives du CIDIHCA
La présence affirmée des Haïtiens à la fin des années 1990 dans le paysage montréalais provoque des sentiments contradictoires. On admire la lectrice de nouvelles Michaëlle Jean, future gouverneure générale du Canada. De même, Montréal devient l’un des principaux centres de publication de la littérature haïtienne, avec les écrivains Émile Ollivier et Dany Laferrière en tête d’affiche. C’est aussi l’époque où le public montréalais applaudit les exploits sportifs de l’athlète Bruny Surin. Mais, au même moment, on craint le phénomène des gangs de rue qui apparaît dans le quartier Saint-Michel et d’autres secteurs de la ville. Les Haïtiens, comme bien des Montréalais, migrent vers Laval et les banlieues. Montréal se transforme et ses quartiers avec elle.

2010 : Montréal solidaire

Haïtiens - séisme

Les Montréalais de toutes origines commémorent le 5e anniversaire du tremblement de terre en Haïti
Archives du CIDIHCA
Le 12 janvier 2010, un tremblement de terre en Haïti se ressent jusqu’à Montréal. Le mois suivant, un programme spécial de parrainage humanitaire est mis en place par le gouvernement du Québec. Entre 2010 et 2015, près de 5500 personnes sont accueillies, pendant que d’autres arrivent via les voies régulières de l’immigration. Une mobilisation historique se met en place pour répondre aux familles touchées et aux sinistrés qui trouvent refuge dans la métropole et partout dans la province. La communauté haïtienne de Montréal est soulevée d’un élan de solidarité qui va bien au-delà des limites de l’île. C’est tout le Québec qui subit le choc avec, en première ligne, les 119 000 Québécois d’origine haïtienne.

Ce texte est en partie tirée de l’exposition Tèt ansanm, tous ensemble – Présences haïtiennes d’ici, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 19 mai au 5 septembre 2004. Il a été mis à jour en 2017. 

Références bibliographiques

GOUVERNEMENT DU QUEBEC, Consultation publique 2016. La planification de l’immigration au Québec pour la période 2017-2019. L’immigration au Québec. Le rôle du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion et de ses partenaires, Montréal, Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, 2016, p. 59.

GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. DIRECTION DE LA RECHERCHE ET DE L’ANALYSE PROSPECTIVE DU MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION, DE LA DIVERSITÉ ET DE L’INCLUSION. Portrait statistique de la population d’origine ethnique haïtienne au Québec en 2011, 2014. [En ligne] (Consulté le 13 mars 2017).
http://www.quebecinterculturel.gouv.qc.ca/publications/fr/diversite-ethn...

VILLEFRANCHE, Marjorie. « Partir pour rester. L’immigration haïtienne au Québec », dans Guy BERTHIAUME et al., Histoires d’immigrations au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 145-161.