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En ondes avec Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain!

28 février 2020
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Dans les années 1930, deux activistes montréalaises sont à la tête de nouvelles émissions radiophoniques consacrées aux droits des femmes. Leur message est entendu aux quatre coins de la province!

Thérèse Casgrain

Photo noir et blanc de quatre femmes assises autour d’une table, un micro est posé au milieu de la table.
BAnQ Vieux-Montréal. Fonds Conrad Poirier. P48,S1,P23134.
Si la radio est une affaire d’hommes à ses débuts, les femmes y gagnent rapidement une place significative. C’est d’ailleurs une Montréalaise, Dorothy Lutton, qui prend le micro pour le tout premier concert diffusé en direct à la radio au Canada! D’autres chanteuses, musiciennes et comédiennes de renom seront entendues sur les ondes des radios montréalaises dans les années 1920. Outre ces pionnières, un nombre grandissant de femmes vont aussi s’illustrer dans le monde radiophonique en tant que journalistes, présentatrices, analystes, techniciennes et réalisatrices au courant de la décennie suivante.

Deux Montréalaises sortent du lot : Idola Saint-Jean, fondatrice de l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec (1927), et Thérèse Casgrain, fondatrice de la Ligue des droits de la femme (1929). À la tête de nouvelles émissions radiophoniques engagées, ces deux militantes vont utiliser la radio comme porte-voix pour leurs revendications féministes. Ce média apparaît comme le moyen idéal de faire prendre conscience aux auditrices de leurs droits. La tâche est immense à l’époque : il faut non seulement convaincre les hommes, mais aussi bon nombre de femmes, des bienfaits du féminisme. Ces émissions vont atteindre un large public et vraisemblablement, à en juger par les lettres d’auditeurs et auditrices envoyées à l’époque, vont alimenter de nombreux débats d’idées au sein même des foyers.

L’actualité féminine

Idola Saint-Jean

Photo en médaillon d’une jeune femme dans la page d’une revue.
BAnQ. Notice 0002747242.
« C’est un nouveau champ d’action qui s’ouvre pour la femme qui petit à petit prend sa place dans tous les domaines de l’activité. Nous nous rendons compte de la valeur de ce forum aérien que nous devons au poste C.H.L.P. et au journal La Patrie. » Ainsi était décrite l’émission radiophonique bilingue L’Actualité féminine dans le texte de son inauguration de 1932.

Le 4 juin 1932, l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec organise un thé d’inauguration pour sa nouvelle émission radiophonique appelée L’actualité féminine (ou Feminine Actuality en anglais). Le tout se déroule à l’hôtel Windsor, au coin des voies Peel et Dorchester (aujourd’hui René-Lévesque). Le nouveau programme, bilingue, tente de joindre les femmes de tous les horizons afin de les informer sur les enjeux qui les concernent et de les encourager à s’impliquer.

Diffusée sur les ondes de CHLP (la radio du journal La Patrie), puis plus tard sur les ondes de CKAC, l’émission n’est dirigée par nulle autre qu’Idola Saint-Jean. Née à Montréal en 1880, Idola Saint-Jean mène toute sa vie un rude combat pour faire adopter le droit de vote des femmes. Depuis 1922, les femmes de toutes les provinces canadiennes, sauf le Québec, détiennent ce droit démocratique fondamental. Bon nombre des causeries de L’Actualité féminine y sont consacrées, dénonçant la timidité des députés québécois à instaurer une mesure qui a déjà cours partout au Canada et dans plusieurs autres pays.

L’actualité féminine va aussi s’attaquer à des questions houleuses comme l’équité salariale et le statut de la femme mariée, mineure aux yeux de la loi. L’émission, en ondes pendant la crise économique, traite aussi fréquemment de la condition des femmes ouvrières et de leur droit au travail, souvent remis en question par les politiciens de l’époque. En 1935, le député de Montréal-Dorion Joseph-Achille Francœur propose par exemple de limiter les droits de travailler des femmes pour permettre à plus d’hommes d’être embauchés dans les compagnies. Sur les ondes de L’actualité féminine, en 1935, on s’insurge : « La femme, par ses efforts, son assiduité et son esprit de devoir, a gagné sa place dans le monde du travail. Notre province, qui est la seule où la femme ne vote pas, où par conséquent elle ne compte pas, est aussi la seule à tenter une législature aussi injuste. »

Ainsi, l’auditoire reçoit à travers l’émission une éducation politique et civique. L’influence de ce « forum aérien » est ressentie bien loin, jusque dans les salles de classe. Toujours en 1935, trois jeunes auditrices, étudiantes à l’Académie du Sacré-Cœur de Magog, adressent une lettre à Idola Saint-Jean lui demandant conseil pour répondre à leur enseignante. Mesdemoiselles Patricia Ling, Géraldine Langlois et Marcelle Courville écrivent alors : « Bien que nous soyons trop jeunes pour voter, le droit électoral des femmes nous intéresse beaucoup. Notre maîtresse a l’opinion bien arrêtée qu’il est dangereux pour les femmes de voter car cela les conduirait à l’émancipation. Bien que nous ne soyons pas du tout de cet avis, nous n’avons pas d’arguments très solides à lui opposer. Nous vous serions bien reconnaissantes de nous renseigner. »

Fémina avec Thérèse Casgrain

Femina radio

Un groupe de trois femmes et trois hommes assis autour d’une table dans un studio de radio.
BAnQ Vieux-Montréal. Fonds Conrad Poirier. P48,S1,P22991.
Thérèse Casgrain, née en 1896 et décédée en 1981 à Montréal, est l’une des figures les plus marquantes de l’histoire du féminisme au Québec. Première femme à devenir chef d’un parti politique au Canada, elle est au centre des revendications féministes des années 1930 et 1940 et, comme Idola Saint-Jean, elle utilise la radio pour joindre le plus grand nombre de femmes possible.

Le 27 septembre 1937, elle prend le micro sur les ondes de CBF pour une nouvelle émission qui va marquer le paysage radiophonique montréalais pendant plus de 30 ans : Fémina. Le programme, bien que similaire à celui de L’actualité féminine sur le plan des sujets et des objectifs, comporte une approche différente pour étendre la conscience politique et civique de ses auditeurs et auditrices. On y présente des sketches engagés, qui sont discutés par la suite à travers des causeries, des entrevues ou des débats d’idées. Ce format novateur permet de traiter avec humour l’actualité politique et les questions liées aux droits des femmes.

Plusieurs grands noms du milieu artistique y participent. Robert Choquette, célèbre romancier de l’époque, signe par exemple dès les débuts de l’émission une série de sketches à travers lesquels des notions juridiques liées à la vie des femmes sont expliquées. Jovette Bernier, autre grande auteure, écrit également bon nombre de textes humoristiques marqués par les préoccupations féministes du temps. Des comédiennes de renom, comme Juliette Béliveau, y tiennent un rôle important.

Des avancées majeures

Laissez voter maman!

Affiche bilingue montrant dans le haut cinq bébés dont un tient une bannière disant « Laissez voter maman! » et dans la partie du bas les raisons pour lesquelles la femme devrait voter.
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 BM014-4-D02.
En 1940, alors que la Seconde Guerre mondiale vient d’éclater, les femmes québécoises obtiennent enfin le droit de vote. Mais sortiront-elles l’exercer le jour venu? Le travail n’est pas fini! Dans un sketch de Fémina, en 1941, on encourage les femmes à aller s’inscrire et à obtenir leur carte d’électrice pour l’élection complémentaire de Montréal-Saint-Jacques. L’exercice de la démocratie, soutient-on, peut empêcher des personnages comme Adolf Hitler de prendre le pouvoir! Le tout se termine avec une chanson humoristique dans laquelle Juliette Béliveau entonne les paroles : « J’veux donner mon nom pour voter, j’veux choisir un bon député! »

Les émissions radiophoniques de Thérèse Casgrain et d’Idola Saint-Jean sont un essentiel outil d’éducation pour leurs auditrices qui, souvent à cette époque, sont bien peu informées de leurs droits juridiques et de leur pouvoir au sein de la société. Les débats qui s’y tiennent font changer les mentalités à une vitesse jusqu’alors inédite. L’idée que la radio est un moyen de propager la connaissance se concrétise. Une auditrice de l’émission de Thérèse Casgrain lui écrit à la fin des années 1930 : « Une femme intelligente n’a plus besoin de la ville, aujourd’hui, pour cultiver son esprit; la radio y pourvoit! »

Merci à Alain Dufour de la Société québécoise des collectionneurs de radios anciens d’avoir contribué à la vérification du contenu de cet article.

Judith Jasmin et Michelle Tisseyre, véritables pionnières

Judith Jasmin (1916-1972) fait ses débuts sur les ondes de CKAC comme comédienne dans le radioroman La Pension Velder. Elle anime par la suite de nombreuses émissions, avant d’adopter le métier de reporter et de correspondante à l’étranger, au sein du Service international de Radio-Canada. C’est la première femme au Québec à s’illustrer dans le journalisme politique!

Michelle Tisseyre (1918-2014) est quant à elle engagée à Radio-Canada dès 1941. Elle est la première femme à présenter le radiojournal (ancêtre du téléjournal) sur les ondes. En 1944, elle réussit un véritable exploit : obtenir une entrevue avec Manuel Avila Camacho, le président du Mexique de l’époque! Michelle Tisseyre s’illustre par la suite à la télévision, en créant et animant le premier talk-show au pays, Rendez-vous avec Michelle.

Références bibliographiques

FORGET, Nicolle. Thérèse Casgrain : la gauchiste en collier de perles, Montréal, Fides, 2013, 534 p.

LEGRIS, Renée. Histoire des genres dramatiques à la radio québécoise : sketch, radioroman, radiothéâtre 1923-2008, Québec, Septentrion, 2011, 495 p.

PAGÉ, Pierre. Histoire de la radio au Québec : information, éducation culture, Montréal, Fides, 2007, 488 p.