Afrodescendant montréalais, David Shelton a eu une brillante carrière comme pompier-chef aux opérations. Ce battant animé par un vif sens de l’entraide a lutté pour l’inclusion sur plusieurs fronts.
Cet article fait partie d’une série de quatre rédigés dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs pour reconnaître le travail des employés et employées afrodescendants de la Ville de Montréal. Le Réseau d’action des employées et employés noirs de la Ville de Montréal honore ainsi quatre personnes qui ont œuvré pour la Ville et qui ont laissé d’importants legs.
En février 2023, David Shelton a rencontré la productrice Marie-Denise Douyon. Cette entrevue et les relectures de David Shelton ont nourri la rédaction de cet article. L’entrevue est associée à ce texte sous forme de capsule vidéo.
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« Quand vous êtes le premier d’une communauté dans un groupe homogène, vous portez une double responsabilité. Vous devez donner le meilleur de vous-même car vous portez la charge de toute une communauté. Vous devez, ainsi, être celui qui ouvre les portes pour les autres. » ― David Shelton
David Shelton
Alors qu’il est très jeune, le caractère altruiste de David Shelton se révèle et se traduit en des gestes tout naturels d’entraide. Dès l’âge de neuf ans, il commence à prêter main-forte à ses voisins en exécutant de menues tâches telles que la tonte de pelouse, la distribution de journaux ou le ramassage de feuilles mortes. Cet élan inné de fraternité démontre déjà sa profonde générosité et sa volonté d’apporter sa contribution dans le monde. Autre fait marquant de l’enfance, il grandit dans une famille qui accueille des étudiants étrangers, cette démarche plus ou moins anodine explique néanmoins une envie de rencontrer l’autre dans sa vie d’adulte. Ses premières années ont façonné son esprit d’ouverture à la diversité culturelle.
Dès le primaire, David Shelton s’intéresse aux activités physiques, intérêt croissant qui se transformera en une passion pour les sports, et plus particulièrement pour le football américain et le baseball. Jeune adulte, il croise dans une salle de sport un pompier qui éveillera en lui le désir du métier. Dans les années 1980, il étudie la biologie à Marygrove College et Wayne State University. En 1988 il est embauché comme pompier au Detroit Fire Department et commence son entrainement au centre de formation, où il obtiendra un diplôme du National Fire Protection Association et sera lauréat de sa promotion. Ce corps de métier lui permet d’avoir un rapport direct avec les personnes expérimentant des situations difficiles et de conjuguer au quotidien des élans de fraternité, d’entraide et d’humanisme.
De son adhésion au scoutisme à son implication en tant que membre d’équipes sportives dans les années 1960 et 1970 et en tant que membre de clubs universitaires, d’associations étudiantes et de la prestigieuse fraternité afro-américaine Alpha Phi Alpha dans les années 1980, le désir de mener des actions communautaires et sociales a toujours nourri son parcours de jeunesse, et perdure jusqu’à nos jours.
Montréal, de nouvelles perspectives
Les années passent et David Shelton sent grandir en lui un désir de découverte et un besoin d’élargir ses horizons. Cette quête d’exploration le mènera au début des années 1990 au Québec où il élit domicile en s’établissant à Montréal.
S’exiler comporte certains défis de taille, entre autres l’employabilité en tant que pompier et l’apprentissage d’une langue nouvelle, le français, qu’il maîtrisera parfaitement au cours des années. David Shelton n’est pas homme à se décourager et il se met résolument en quête d’emploi. En 1992, il obtient, après plusieurs tentatives infructueuses, un poste au Service incendie de Pointe-Claire, devenant ainsi l’un des premiers pompiers afrodescendants au Québec.
L’implication de David Shelton se manifeste bien au-delà de ses fonctions de pompier. Dès son arrivée, il s’engage dans l’Association de la communauté noire de Notre-Dame-de-Grâce, comme membre bénévole puis comme membre du conseil d’administration. Après avoir déménagé dans la Petite-Bourgogne à la fin des années 1990, il travaille, entre autres, avec l’organisme Youth in Motion.
Au début de l’année 2020, il s’implique à la revitalisation du Negro Community Centre (NCC), le premier centre communautaire noir à Montréal ayant une mission culturelle, économique et un devoir de mémoire. Fondé en 1927, le NCC a été le centre de la communauté noire de Montréal pendant plus d’un demi-siècle. Il abritait autrefois plusieurs programmes d’aide, parmi lesquels la distribution de plus de 100 repas par jour pour les écoliers, l’accès à une coopérative de crédit et le soutien à de nombreuses activités sportives, artistiques et éducatives. Ces initiatives ont permis à Montréal et au Canada d’accueillir certaines de leurs plus grandes vedettes, dont Oscar Peterson, Oliver Jones, l’honorable juge Juanita Westmoreland-Traoré, Marlene Jennings, députée libérale de Notre-Dame-de-Grâce–Lachine de 1997 à 2011, et plusieurs autres citoyens et citoyennes de la communauté afrodescendante qui ont œuvré dans l’ombre et de manière significative.
Durant plus de deux années, en tant que président du comité exécutif du Revive Negro Community Centre / Centre for Canadians of African Descent, David Shelton s’est également impliqué dans des rencontres, rassemblements et autres actions sociales liés à la mission de cet organisme.
Les défis d’un pionnier
Dans les années suivantes, à cause d’une fusion municipale, David Shelton intègre le corps des pompiers de Montréal au sein du Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) et gravit plusieurs échelons. Il occupera le poste d’instructeur, deviendra ensuite lieutenant, capitaine et, finalement, sera le premier afrodescendant à obtenir le grade de chef aux opérations. Tout au long de son parcours, il participe à plusieurs opérations d’envergure dans plusieurs casernes, dont la caserne 10 de la rue Saint-Mathieu, la caserne 5 de la rue Ontario, caserne reconnue comme l’une des plus importantes et classée parmi les plus actives d’Amérique du Nord, la caserne 23 de Saint-Henri et la caserne 25 de la rue Drummond.
Tout au long de sa carrière, David Shelton entretient des relations étroites et de franche camaraderie avec de nombreux collègues. Ayant à cœur le rapprochement des personnes et la conscientisation face à la discrimination, il s’attèlera avec méthode et patience à sensibiliser certains de ses confrères. Lorsque le mot en « N » surgit dans certaines conversations, sous forme de boutades ou d’expressions teintées dans le langage courant, David Shelton redresse la situation avec tact et doigté. Au moment opportun, il discute en toute discrétion avec la personne concernée et, muni d’un dictionnaire Larousse de poche, il souligne le caractère dégradant de ce mot, en montrant sa définition. Conscient de son rôle de représentant des communautés afrodescendantes et des répercussions de ses agissements sur les membres de celles-ci, David Shelton se doit, dit-il, d’avoir un comportement aussi exemplaire que possible.
La lutte pour promouvoir l’inclusion et pour enrayer les stéréotypes et les préjugés est l’un des combats incessants de David Shelton. Il entreprend des actions de sensibilisation aux problématiques liées à la diversité et œuvre pour encourager le SIM à découvrir les talents cachés dans les communautés culturelles et chez les femmes. Dans ce combat pour faire évoluer les mentalités à l’intérieur du corps des pompiers, David Shelton trouvera en Alberto Syllion, pompier, et Anik St-Pierre, enseignante en techniques de sécurité incendie au collège Montmorency, des alliés idéaux. Tous trois s’investissent à travers des programmes d’éducation et de sensibilisation afin de servir la cause de l’inclusion.
Selon David Shelton, le tort le plus important fut la déshumanisation des peuples indigènes et africains et l’assujettissement des femmes. Prendre conscience de notre humanité commune lui semble le remède qui libérera notre véritable potentiel en tant que société. Le devoir de mémoire mène vers un chemin de construction et permet ainsi d’avancer.
« Avoir le privilège d’être présent et de venir en aide avec ses collègues lors de drames et de tragédies humaines, d’apporter du réconfort, de sauver des vies de citoyens montréalais en détresse ou dans le besoin a été un honneur! […] Entre rêves et réalités, il y a des milliers de petits pas […] J’ose croire que dans ma carrière à la Ville j’ai fait des pas, nous avons fait ensemble des pas […] et ceux qui nous suivent auront, eux aussi à faire des pas. » ― David Shelton
Après une trentaine d’années de service, David Shelton prend sa retraite le 19 janvier 2022, laissant derrière lui un modèle d’inclusion, d’humanité et de dévouement au sein d’un Montréal qu’il chérit.