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Cultiver en ville : le jardinage communautaire à Montréal

21 septembre 2021
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Montréal compte l’un des plus importants programmes de jardins communautaires au monde. Nés d’initiatives citoyennes, ils permettent à des milliers de citoyens de cultiver un lopin de terre en ville.

C’est au milieu des années 1970 qu’apparaissent les premiers jardins communautaires montréalais. Alors que la désindustrialisation frappe les quartiers centraux de la ville, de nombreux terrains vacants sont investis par des groupes citoyens et communautaires qui entreprennent la transformation de ces espaces en potagers urbains.

Un premier jardin né d’un drame

Jardin communautaire Benny Farm

Quatre hommes âgés posent devant un très gros navet, près de parcelles dégarnies, entourées d’immeubles d’habitation.
Collection du MEM, fonds Benny Farm, photo d’Ella MacDonald, 2006-141-028-003
C’est dans le quartier Centre-Sud qu’est créé le tout premier jardin communautaire. En octobre 1974, une grève des pompiers entraîne une série d’incendies, souvent criminels, qui ravagent plusieurs bâtiments à travers le quartier et jettent à la rue de nombreuses familles. Ce triste épisode sera baptisé le « week-end rouge ». Avec à sa tête Mariette Verhelst, une mère de famille de six enfants, un groupe de citoyens éprouvés par ce drame réclame alors la transformation en jardin communautaire d’un quadrilatère entièrement anéanti, situé à l’angle des rues Alexandre-DeSève et La Fontaine, afin d’assurer ainsi leur sécurité alimentaire.

Favorable à cette requête, le conseil exécutif de la Ville déploie alors des ressources, que le Jardin botanique accepte de gérer, tandis que l’Office d’embellissement offre son soutien pour réaménager le terrain. Le jardin Centre-Sud prend ainsi forme. Si la Ville encadre la démarche, c’est le Comité social Centre-Sud, organisme communautaire du quartier, qui en assure la gestion, en plus d’offrir un animateur social aux jardiniers. Le terrain est cultivé dès l’été suivant.

Des jardins créés et animés par les résidants

Épluchette jardins Rosemont-Pie-IX 1990

Plusieurs dizaines de personnes sont rassemblées à côté des parcelles d’un jardin. Certaines sont attablées à une table à pique-nique, d’autres sont assises sur des chaises pliantes.
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 VM094-Y-1-15-D5509
La même année, l’administration municipale met sur pied son Programme municipal des jardins communautaires. Divers groupes de citoyens adressent alors des demandes pour la création de jardins communautaires. Celles-ci proviennent tant de regroupements de quartier que d’organisations communautaires, tels des ateliers d’éducation populaire, ou encore d’organismes chrétiens, tel le centre Good Shepherd impliqué auprès de personnes âgées. Les demandes sont déposées auprès de Pierre Bourque, alors horticulteur en chef au Jardin botanique, qui les transmet ensuite à Pierre Lorange, vice-président du conseil exécutif de la Ville et directeur de l’Office d’embellissement. En 1976, la Ville inaugure cinq nouveaux jardins. En 1981, on en dénombre 43.

Si les jardins sont officiellement créés par la Ville, celle-ci offre surtout un rôle d’appui aux groupes populaires, qui formulent les demandes et donnent ensuite leur propre orientation à chaque jardin. Certains jardins comprennent des sections ayant une vocation spécifique, par exemple des parcelles cultivées collectivement pour le maïs, d’autres destinées aux enfants, aux retraités ou encore à des membres de groupes coopératifs.

L’administration municipale n’intervient ainsi pas dans les dynamiques internes des jardins, se contentant de fournir des ressources et d’aménager les terrains selon les demandes qui lui sont adressées. La plupart des jardins sont gérés par un comité de citoyens qui attribue les jardinets et détermine le fonctionnement collectif, généralement lors d’une assemblée générale annuelle des membres. Les premiers jardins sont principalement animés par des femmes, et leurs membres sont généralement peu fortunés, résidant dans les quartiers défavorisés. De plus, les jardiniers sont régulièrement invités à participer à diverses activités communautaires, telles des épluchettes de blé d’Inde, afin de nouer des liens entre eux.

Le jardinage communautaire comme service municipal

Jardin Villeray 1981

Un homme arrose son jardinet et, à l’arrière-plan, quelques autres citoyens entretiennent leur jardin, à proximité de bâtiments urbains.
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 VM094-Y-1-06-D1247.
À mesure que les demandes en faveur de la création de jardins se multiplient, l’autonomie dont jouissaient les premiers jardins laisse peu à peu place à un interventionnisme grandissant de l’administration municipale. Dès 1977, le conseil exécutif élabore une première politique encadrant l’activité potagère. Le Jardin botanique administre dès lors le programme de soutien aux jardins communautaires. Est également formé le Comité conjoint des jardins communautaires. Composé d’employés du Jardin botanique, d’employés du Service des parcs et des responsables des jardins, il fixe certaines normes auxquelles les comités des jardins doivent désormais se conformer. La taille des jardinets est maintenant standardisée à 10 pieds sur 20. De plus, afin de limiter les risques d’introduction de maladies et d’insectes ravageurs, certaines cultures, tels la pomme de terre et le maïs, sont proscrites.

À partir du début des années 1980, le Jardin botanique et l’Office d’embellissement de la Ville aménagent de leur propre initiative des terrains de jardinage communautaire. Le premier à voir le jour est celui d’Hochelaga, situé dans la cour de l’École des métiers, au coin des rues Hochelaga et Davidson. Des jardins sont également aménagés sur le site occupé par l’ancienne pépinière municipale sur la rue Duquesne. La gestion de ces nouveaux jardins relève toutefois encore d’organismes locaux. Alors que le comité exécutif consacre un budget grandissant à la création de jardins communautaires, le Jardin botanique dresse une liste de règlements afin d’en encadrer le fonctionnement. Les jardiniers doivent résider à Montréal, s’engager à entretenir leur parcelle, en la désherbant, et les comités des jardins doivent tenir une liste de leurs membres.

Sous la gouverne du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), la Ville prend, à partir de la seconde moitié des années 1980, complètement en charge les potagers communautaires. La gestion des jardins est alors transférée à l’autorité du Service des sports et loisirs des arrondissements. Dès lors, les comités des jardins perdent le pouvoir d’attribuer des lots et de décider de leur fonctionnement interne. De plus, le rôle du Jardin botanique s’efface graduellement, se limitant d’abord à une gestion technique, pour ensuite disparaître complètement.

Le jardinage communautaire aujourd’hui

Jardins Workman 1976

Deux femmes et un homme raclent une parcelle d’un jardin. Un groupe de visiteurs est à l’arrière-plan.
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 VM094-Y-1-06-D0729
Afin d’inscrire les jardins communautaires dans les priorités municipales, leur gestion est déléguée en 1987 au Service des loisirs et du développement communautaire, nouvellement créé. Cette prise en charge laisse peu de marge de manœuvre aux groupes populaires. À partir de cette réforme, les jardins font partie des programmes municipaux et ne changeront plus de forme jusqu’à aujourd’hui.

Depuis les fusions municipales de 2002, la gestion du programme des jardins communautaires est assumée par chacun des arrondissements. Dix-huit arrondissements montréalais offrent à leurs citoyens la possibilité de cultiver un jardinet. Certains jardins bénéficient de la présence d’un animateur horticole, dispensant des conseils aux usagers. Alors qu’on en dénombrait 76 en 2002, on en compte aujourd’hui 97, couvrant une superficie de près de 25 hectares. Mais le nombre de parcelles offertes à la population ne répond pas à la demande. La popularité du jardinage communautaire est telle que, dans plusieurs arrondissements, des citoyens doivent s’inscrire sur une liste d’attente et patienter plusieurs années avant de se voir attribuer un jardinet.

Références bibliographiques

SAINT-HILAIRE-GRAVEL, Philippe. Fruits des institutions et récoltes populaires : Étude sur la portée sociale du jardinage communautaire à Montréal de 1909 à 1990, Mémoire (M.A.), UQAM, 2014, 114 p.

CULTIVE TA VILLE. « Histoire de l’agriculture à Montréal », dans Cultive ta ville.

DACLON BOUVIER, Nathalie. La dynamique sociale entourant les jardins communautaires : l’individu, le groupe et le jardin : le cas de Montréal, Mémoire (M.A.), INRS-Urbanisation, culture et société, 2001, 149 p.

LAURIN-DESJARDINS, Camille. « Les jardins communautaires de Montréal ont 40 ans », Journal Métro, 26 octobre 2016.

VILLE DE MONTRÉAL. « Jardins communautaires », dans Montréal