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Le Plan des commissaires

19 mars 2018
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Parcourant la rue McGill, peu de passants savent qu’ils suivent le tracé de fortifications du XVIIIe siècle, dont la démolition est due à un vaste chambardement planifié par trois commissaires.

Plan 1758

Carte anglaise montrant les fortifications et l’organisation des rues à la fin du Régime français.
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 BM005-3-D03-P005.
1801. Un nouveau siècle commence! Montréal, qui roule maintenant au rythme galopant des affaires, s’en réjouit. Les guerres et les privations du XVIIIe siècle semblent reléguées au passé : les magasins de la rue Saint-Paul débordent d’importations britanniques et les marchands ont mille projets. Dans cette ville jeune comme jamais, les fortifications ont fait leur temps. Commencée en 1717 et achevée en 1744, l’édification des murs de pierre visait à protéger la ville en cas de guerre avec l’Angleterre, ce qui n’empêcha pas les troupes britanniques d’y entrer en septembre 1760. Un officier anglais, le capitaine John Knox, estime alors les fortifications comme « mean and inconsiderable », parfaitement inutiles. Quinze ans plus tard, une brève invasion américaine du Québec confirme ce jugement : l’armée anglaise abandonne Montréal, jugée indéfendable, pour se replier et défendre avec succès Québec.

Des murs de pierre éphémères

Carte 1815

Carte de Joseph Bouchette illustrant le réaménagement projeté par le Plan des commissaires.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Dans les décennies qui suivent la Révolution américaine et jusqu’à la fin du XIXe siècle, la stratégie britannique pour défendre le Canada repose essentiellement sur la construction de forts dans la vallée du Richelieu et la région des Grands Lacs. Si la citadelle de Québec est constamment améliorée pendant cette période, Montréal joue plutôt un rôle d’entrepôt de ravitaillement : son enceinte fortifiée n’a plus de rôle militaire majeur. En 1796, des citoyens proposent dans une pétition de détruire ces murs, dont ils dénoncent l’état de délabrement et qui sont perçus comme un obstacle au développement urbain.

1815. Les fortifications sont déjà presque entièrement rasées. Gros travail! Il avait fallu 30 ans pour les bâtir, il en faut 15 pour s’en défaire : approuvée par une loi en 1801, la destruction des anciennes fortifications s’achève en 1817. La cité ne disposant pas encore de représentants municipaux élus, le gouverneur désigne trois Montréalais reconnus qui se voient ainsi confier la lourde tâche de planifier la démolition et de revoir l’ensemble des espaces urbains.

L’œuvre des commissaires

James McGill

Portrait de James McGill
Bibliothèque et Archives Canada. Mikan 2908404.

Qui sont ces trois commissaires? James McGill (1744-1813) est un Écossais parfaitement bilingue qui traverse l’Atlantique pour se lancer dans le commerce des fourrures au milieu des années 1760. Il se fixe à Montréal de manière permanente en 1775 et y épouse l’année suivante la veuve Charlotte Trottier Desrivières. À sa mort, McGill lègue une partie de sa fortune et un terrain pour créer l’université qui portera par la suite son nom. John Richardson (1754-1831) a un parcours semblable à son confrère. Lui aussi d’origines écossaises, ce vétéran de la guerre d’Indépendance fait ensuite fortune au Canada dans la traite du castor. Quelques années après le démantèlement de l’enceinte fortifiée, il donnera le premier coup de pelle de la construction du canal de Lachine, c’est dire son influence. Enfin, Jean-Marie Mondelet (1771-1843), né à Saint-Charles-sur-Richelieu, se fait d’abord connaître à Montréal comme juge de paix. Propriétaire foncier et notaire de formation, il a les compétences idéales pour la planification urbaine et pour participer au grand remue-méninges-et-terrains annoncé en 1801. Il est élu en 1804 député de Montréal-Ouest aux côtés de son collègue John Richardson.

L’œuvre qui attend McGill, Richardson et Mondelet est d’une importance vitale : si la majorité des Montréalais vivait à l’intérieur des murs au moment de leur construction, près de 70 % des habitants sont établis dans les faubourgs au début du XIXe siècle. Les commissaires doivent planifier l’annexion de ces nouveaux territoires et leur intégration harmonieuse dans le tissu urbain transformé par la disparition des fortifications. Sur l’espace défensif ainsi récupéré, ils tracent de nouvelles rues, aménagent des squares, définissent et attribuent 200 nouveaux lots à bâtir alors que la ville fortifiée en totalisait auparavant 325!

Concevoir une nouvelle ville pour le XIXe siècle

John Richardson

Portrait de John Richardson.
Bibliothèque et Archives Canada. Mikan 4399116.

Même si la plupart des recommandations des commissaires ont été réalisées, certaines ne le furent jamais, ou alors, différemment. Les trois hommes ne pouvaient soupçonner que l’industrialisation allait laisser loin derrière leurs prévisions de croissance les plus optimistes! Ainsi, la place d’Armes ne fut pas prolongée jusqu’à la rue Saint-Antoine, et aucun canal n’a coulé au centre de la rue Saint-Augustin – rebaptisée McGill, du nom de l’un des commissaires.

Au nombre des réalisations du Plan lancé en 1801, on compte la canalisation du ruisseau Saint-Martin (devenu l’actuelle rue Saint-Antoine) et de la petite rivière Saint-Pierre (l’actuelle place D’Youville). Les rues Notre-Dame et Saint-Jacques sont prolongées vers l’est tandis qu’une nouvelle artère apparaît au sud pour donner accès au port : la rue des Commissaires (aujourd’hui rue de la Commune). En 1811, au coin nord-ouest du plan, le square des Commissaires est dégagé. Là aussi, le temps aura raison de la signature de ses trois créateurs puisque cet espace prendra le nom de la reine Victoria après 1860.

Jean-Marie Mondelet

Portrait de Jean-Marie Mondelet
Archives de la Ville de Montréal. BM1-5P1494.

En 1817, lorsque la dernière section de mur de fortification tombe sous le pic des démolisseurs, Montréal n’est plus un site militaire stratégique ni le centre nerveux de la traite des fourrures. Le commerce du blé et du bois prend le relais en stimulant le développement du port, menant finalement au creusement du canal de Lachine et au grand boom de l’industrialisation. Le Plan des commissaires est un des symboles les plus durables de la transition entre le centre urbain relativement tranquille du XVIIIe siècle et la grande métropole nerveuse de l’époque contemporaine.

Références bibliographiques

CENTRE CANADIEN D’ARCHITECTURE. Montréal, ville fortifiée au XVIIIe siècle, Centre canadien d’architecture, 1992, 93 p.

CHA, Jonathan. Formes et sens des squares victoriens montréalais dans le contexte de développement de la métropole (1801-1914), Thèse (Ph. D.) en études urbaines, Université du Québec à Montréal, vol. 1, 187 pages. [En ligne].
http://www.archipel.uqam.ca/6079/7/D2599-1.pdf