Parcourant la rue McGill, peu de passants savent qu’ils suivent le tracé de fortifications du XVIIIe siècle, dont la démolition est due à un vaste chambardement planifié par trois commissaires.
Plan 1758
Des murs de pierre éphémères
Carte 1815
1815. Les fortifications sont déjà presque entièrement rasées. Gros travail! Il avait fallu 30 ans pour les bâtir, il en faut 15 pour s’en défaire : approuvée par une loi en 1801, la destruction des anciennes fortifications s’achève en 1817. La cité ne disposant pas encore de représentants municipaux élus, le gouverneur désigne trois Montréalais reconnus qui se voient ainsi confier la lourde tâche de planifier la démolition et de revoir l’ensemble des espaces urbains.
L’œuvre des commissaires
James McGill
Qui sont ces trois commissaires? James McGill (1744-1813) est un Écossais parfaitement bilingue qui traverse l’Atlantique pour se lancer dans le commerce des fourrures au milieu des années 1760. Il se fixe à Montréal de manière permanente en 1775 et y épouse l’année suivante la veuve Charlotte Trottier Desrivières. À sa mort, McGill lègue une partie de sa fortune et un terrain pour créer l’université qui portera par la suite son nom. John Richardson (1754-1831) a un parcours semblable à son confrère. Lui aussi d’origines écossaises, ce vétéran de la guerre d’Indépendance fait ensuite fortune au Canada dans la traite du castor. Quelques années après le démantèlement de l’enceinte fortifiée, il donnera le premier coup de pelle de la construction du canal de Lachine, c’est dire son influence. Enfin, Jean-Marie Mondelet (1771-1843), né à Saint-Charles-sur-Richelieu, se fait d’abord connaître à Montréal comme juge de paix. Propriétaire foncier et notaire de formation, il a les compétences idéales pour la planification urbaine et pour participer au grand remue-méninges-et-terrains annoncé en 1801. Il est élu en 1804 député de Montréal-Ouest aux côtés de son collègue John Richardson.
L’œuvre qui attend McGill, Richardson et Mondelet est d’une importance vitale : si la majorité des Montréalais vivait à l’intérieur des murs au moment de leur construction, près de 70 % des habitants sont établis dans les faubourgs au début du XIXe siècle. Les commissaires doivent planifier l’annexion de ces nouveaux territoires et leur intégration harmonieuse dans le tissu urbain transformé par la disparition des fortifications. Sur l’espace défensif ainsi récupéré, ils tracent de nouvelles rues, aménagent des squares, définissent et attribuent 200 nouveaux lots à bâtir alors que la ville fortifiée en totalisait auparavant 325!
Concevoir une nouvelle ville pour le XIXe siècle
John Richardson
Même si la plupart des recommandations des commissaires ont été réalisées, certaines ne le furent jamais, ou alors, différemment. Les trois hommes ne pouvaient soupçonner que l’industrialisation allait laisser loin derrière leurs prévisions de croissance les plus optimistes! Ainsi, la place d’Armes ne fut pas prolongée jusqu’à la rue Saint-Antoine, et aucun canal n’a coulé au centre de la rue Saint-Augustin – rebaptisée McGill, du nom de l’un des commissaires.
Au nombre des réalisations du Plan lancé en 1801, on compte la canalisation du ruisseau Saint-Martin (devenu l’actuelle rue Saint-Antoine) et de la petite rivière Saint-Pierre (l’actuelle place D’Youville). Les rues Notre-Dame et Saint-Jacques sont prolongées vers l’est tandis qu’une nouvelle artère apparaît au sud pour donner accès au port : la rue des Commissaires (aujourd’hui rue de la Commune). En 1811, au coin nord-ouest du plan, le square des Commissaires est dégagé. Là aussi, le temps aura raison de la signature de ses trois créateurs puisque cet espace prendra le nom de la reine Victoria après 1860.
Jean-Marie Mondelet
En 1817, lorsque la dernière section de mur de fortification tombe sous le pic des démolisseurs, Montréal n’est plus un site militaire stratégique ni le centre nerveux de la traite des fourrures. Le commerce du blé et du bois prend le relais en stimulant le développement du port, menant finalement au creusement du canal de Lachine et au grand boom de l’industrialisation. Le Plan des commissaires est un des symboles les plus durables de la transition entre le centre urbain relativement tranquille du XVIIIe siècle et la grande métropole nerveuse de l’époque contemporaine.
CENTRE CANADIEN D’ARCHITECTURE. Montréal, ville fortifiée au XVIIIe siècle, Centre canadien d’architecture, 1992, 93 p.
CHA, Jonathan. Formes et sens des squares victoriens montréalais dans le contexte de développement de la métropole (1801-1914), Thèse (Ph. D.) en études urbaines, Université du Québec à Montréal, vol. 1, 187 pages. [En ligne].
http://www.archipel.uqam.ca/6079/7/D2599-1.pdf