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Christine Cadet, tisserande et militante syndicale

07 janvier 2022

Au début du XXe siècle au Québec, Christine Cadet, tisserande à la filature Hudon, devient à 21 ans la première femme vice-présidente d’un syndicat du textile

Cet article est le fruit d’une collaboration entre l’auteur de ces lignes, l’écrivain Richard Gougeon et les petits-enfants de Christine Cadet. Jusqu’à tout récemment, nous ignorions le parcours de Christine Cadet après son mariage en 1909 tandis que les membres de la famille ne connaissaient pas le passé syndical de leur grand-mère.

Christine Cadet - petits-enfants

Photo couleur d’un groupe de 12 personnes. Deux sont assis derrière une table et les dix autres sont debout derrière eux.
Collection privée Jacinthe Joncas

Christine Cadet est née le 25 janvier 1885 dans le petit village belge de Reninghelst en Flandre occidentale du mariage de Henri Julien Cadet et d’Octavie Delegher. Ceux-ci ont quatre autres enfants : Marie (née en 1881), André (né en 1882) et les jumeaux Guillaume et Wilhelmine (nés en 1887). En 1894, Henri Cadet décide d’immigrer au Canada, et sa famille le suivra l’année suivante. Il s’installe d’abord dans Saint-Henri, puis dans Hochelaga en 1898. On le dit parfois tanneur. Peut-être a-t-il travaillé dans une des nombreuses tanneries de Saint-Henri-des-Tanneries ou dans celle des Galibert, rue Sainte-Catherine, tout juste à l’est de l’avenue De Lorimier?

Le 16 septembre 1899, Marie, l’aînée de la famille, épouse Joseph Brien à La Nativité d’Hochelaga. Cela fait un salaire de moins dans la famille. Il est presque assuré que Christine commence à travailler à la filature Hudon à ce moment. Elle a maintenant 14 ans, soit l’âge légal pour travailler. On ne connaît cependant pas le parcours d’André, le frère aîné de Christine, absent des recensements de 1901 et 1911. Quant à Guillaume, il rejoindra sa sœur à la Hudon quelques mois plus tard. Wilhelmine y travaillera sûrement quelques années plus tard.

Présence syndicale

Christine Cadet

Photo en noir et blanc d’une jeune fille en plan taille, de biais, avec les mains croisées.
Collection privée Carole Bergeron
Il faut attendre 1905 pour que l’on parle de la formation d’un syndicat à la Hudon. Après une tentative ratée de constituer un syndicat national, les fileurs de la Hudon passent à l’International Spinners’ Union. En avril 1906, ils déclenchent une grève et réussissent à attirer les cardeurs et les tisserands dans cette action à partir du 1er mai. Le mouvement est un succès et la compagnie est forcée d’accorder une augmentation de salaire de 10 %. Durant les journées de grève, des centaines d’employés se réunissent à la salle Tremblay, rue Sainte-Catherine dans Hochelaga. Christine est sûrement du nombre.

Profitant de cette victoire, les travailleurs des filatures de Montréal forment 14 cellules syndicales rattachées à la United Textile Workers of America en juin 1906. S’ensuivront des discussions houleuses entre les partisans du syndicat international et ceux d’un syndicat canadien. Ces derniers l’emportent et les travailleurs se désaffilient du syndicat international. Le 1er septembre 1906 voit la fondation de la Fédération des ouvriers textiles du Canada (FOTC) dont le président est Wilfrid Paquette. La fédération représente les travailleurs et travailleuses des usines d’Hochelaga, de Saint-Henri, de Valleyfield, de Montmorency et de Magog au Québec. Dès ce moment, Christine Cadet est nommée, à 21 ans, vice-présidente du syndicat de la Hudon. Malgré son jeune âge, on doit reconnaître ses qualités de meneuse qui se sont sûrement exprimées depuis un certain temps, le monde des syndicats à l’époque étant presque exclusivement masculin. C’est à notre connaissance la première femme à occuper un poste aussi élevé dans la hiérarchie syndicale au Québec. C’est donc tout à son honneur, d’autant plus qu’à cette époque, la Hudon compte près de 1100 employés.

Christine Cadet 2

Photo en noir et blanc de deux jeunes filles en plan américain.
Collection privée Gabrielle Bergeron.
Le premier congrès de la FOTC a lieu le 16 décembre 1906 à la salle Tremblay d’Hochelaga. Christine est évidemment déléguée. C’est d’ailleurs la seule femme déléguée à ce congrès. Deux questions préoccupent les congressistes : le travail des enfants et la question des tarifs, essentiels à la survie de l’industrie cotonnière. Sur cette dernière question, on décide de former un comité de cinq personnes pour rencontrer le ministre des Finances à Ottawa. Deux femmes en font partie : Christine Cadet et Marie-Louise Rhéaume (née Fortin). La rencontre a lieu au début janvier 1907.
Le second congrès de la FOTC a lieu le 20 avril 1907 à Valleyfield en présence de 1200 personnes y compris les délégués. Christine Cadet et plusieurs autres femmes représentent les filatures de Montréal. L’exemple de Christine a donc encouragé d’autres femmes à participer à l’action syndicale. Lors de ce congrès, 15 des 39 délégués des trois filatures de Montréal sont des femmes. Dans un article de La Presse du 25 avril, le chroniqueur ouvrier ne tarit pas d’éloges envers le travail fait par Christine pour l’amélioration des conditions de travail des ouvrières. Il la qualifie de « l’une des plus dévouées et des plus actives adeptes de cette grande association ».

Malheureusement, la FOTC aura une courte existence. En 1908, deux factions de la fédération existent à la Hudon. De plus, un ancien membre de la fédération forme une unité syndicale qui s’oppose à la grève comme moyen de pression et qui accepte les contremaîtres. En mai 1908, la Dominion Textile impose une réduction des salaires de 10 %. Les ouvriers se mettent en grève, mais ne réussissent pas à faire fléchir la compagnie. Le mouvement s’étiole à cause de cette division intrasyndicale et, après quelques semaines, les ouvriers doivent retourner au travail sans avoir eu gain de cause. À la Hudon, 200 personnes ne sont pas réengagées y compris sûrement Christine Cadet et peut-être son frère Guillaume et sa sœur Wilhelmine. La FOTC ne survivra que quelques mois à cet échec. Il faudra attendre la fin des années 1930 pour qu’un syndicat redevienne une force importante dans l’industrie du textile.

La situation est donc catastrophique pour la famille Cadet. On ne sait pas où travaille Christine par la suite, mais toujours est-il que le 20 avril 1909, elle épouse Raoul Bergeron, un jeune homme de Saint-Henri. A-t-il travaillé à la filature de Saint-Henri? L’a-t-elle connu dans le cadre de son activité syndicale? Rien ne nous permet de le préciser.

Après le mariage

Christine Cadet - parents

Photo en noir et blanc d’un couple âgées dans un commerce de tabac et bonbons.
Collection privée Carole Bergeron.
Le couple Cadet-Bergeron décide de s’installer à Magog où Raoul a de la famille. Six enfants naissent de cette union. Raoul Bergeron construit des bateaux et fait également l’entretien et la réparation de moteurs hors-bord. En octobre 1920, la tragédie frappe la famille. Le 21 octobre, Raoul Bergeron doit se rendre en bateau du côté américain du lac Memphrémagog. Le lendemain, on retrouve son bateau, mais nulle trace du corps. À ce moment, Christine est enceinte de son septième enfant. On ne retrouvera jamais le corps du disparu. Pas de corps, et donc pas de sépulture catholique et pas d’indemnités de l’assurance. Pour comble de malheur, Marie-Thérèse naît à la mi-novembre, mais meurt une semaine plus tard. Christine reçoit 500 dollars d’une collecte, mais ceci est insuffisant pour assurer la survie de sa famille. Elle fait appel à ses parents qui viendront s’installer à Magog. Christine doit se résoudre à travailler de nouveau dans une filature, celle de Magog.

Après quelques années de ce travail, Christine Cadet décide en 1925 de revenir à Montréal avec toute sa famille. En 1927, elle ouvre un commerce avec comptoir-tabac et bonbons à l’angle des voies La Fontaine et Jeanne-d’Arc. Son père fait de même rue Saint-Germain. À cause de la crise économique, Christine doit se résigner à fermer son commerce en 1932. Elle habitera par la suite rue Ontario, puis rue Sainte-Catherine. Il est possible qu’elle ait travaillé au commerce de tabac de son père puis à son restaurant, ouvert de 1935 à 1938, l’année du décès de sa mère Octavie Delegher. Elle accepte des chambreurs et peut compter sur une partie du salaire de ses deux filles, décédées trop tôt de la tuberculose, et de ses quatre garçons, avant leur mariage. En 1955, elle ira vivre chez un de ses garçons, rue Sicard.

Cette pionnière du monde syndical quitte cette terre le 16 novembre 1965, à l’âge vénérable de 80 ans. Elle est inhumée au Repos Saint-François-d’Assise dans le terrain familial de la famille Bergeron.

Références bibliographiques

ROUILLARD, Jacques. Les travailleurs du coton au Québec 1900-1915, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1974.

GOUGEON, Richard. La tisserande, Éditeurs réunis, Montréal, 2021. [Le parcours de Christine Cadet jusqu’à son mariage sert de toile de fond à ce roman.]

Première session du onzième parlement de la puissance du Canada 1908-1909, Documents parlementaires, Canada Parlement, vol. XLIII, vol. 43, no 17. (Consulté le 14 septembre 2021). [Rapport de la Commission royale d’enquête sur les différends survenus entre les patrons et les employés des filatures de coton de la province de Québec] https://archive.org/details/documents32171s1909cana