Des centaines de chauffeurs de taxi sillonnent les rues de Montréal à tout moment. Qui sont-ils? Quel est leur profil professionnel? Quel mode de travail adoptent-ils?
Taxi - Place d’Armes vers 1940
Derrière les 4400 propriétaires, 8000 chauffeurs de taxi et 18 intermédiaires (compagnies de taxi) recensés avant la loi provinciale de 2020 se profile un patrimoine vivant insoupçonné, au cœur d’une très vaste industrie qui s’est développée à Montréal depuis 1910. À l’origine de cette activité économique, un groupe d’entrepreneurs de classe sociale aisée et éduqués. Vêtus de leur bel uniforme, dès 1915, ils prennent le marché d’assaut avec une centaine de voitures taxis, qui leur appartiennent et ont une apparence remarquable.
Des migrants de l’intérieur et de l’extérieur
Taxi - Rue Sainte-Catherine Ouest, 1969.
À la fin de la guerre, en 1945, le taxi devient une planche de salut pour les soldats démobilisés grâce à un plan de réinsertion professionnelle qui leur permet d’acheter leur taxi et de créer une nouvelle association de services. La coopérative de taxi Vétérans est inaugurée en 1946. Cette fois, les deux tiers de ses membres ne sont pas canadiens-français. Somme toute, dans les années 1950, les membres de l’industrie du taxi sont issus de quatre catégories : les déracinés des régions, les immigrants, les vétérans et les indésirables. Les vagues d’immigration internationale subséquentes vont accentuer la diversité des chauffeurs entre 1980 et 2000, de sorte que, au début du XXIe siècle, les conducteurs d’origine étrangère forment 60 % de l’ensemble de l’industrie.
On croise cette communauté cosmopolite régulièrement, sans la voir tant elle fait partie du paysage. Pourtant, elle représente une industrie trop souvent méconnue et sous-estimée, un microcosme de l’urbanité montréalaise. Effectivement, ces milliers de travailleurs autonomes rencontrent une multitude de personnes différentes qui défilent dans leur voiture, de jour comme de nuit. Une fois dans leur isoloir, ils doivent constamment s’adapter à diverses personnalités et circonstances, se faisant souvent « taxicologues », c’est-à-dire psychologues, guides touristiques, intervenants de première ligne, livreurs de marchandises, tout en demeurant d’ardents protecteurs de leur espace vital et de leur industrie, mais surtout, de leur liberté.
Une liberté empreinte de contraintes
Taxi - poste métro Honoré-Beaugrand
En fin de compte, c’est le service client qui fait foi et loi. Dès lors, comment les chauffeurs tirent-ils leur épingle du jeu? Ils doivent savoir s’ajuster, surtout à la demande. Certains réussissent mieux que d’autres à rentabiliser leur véhicule et à vivre du métier, grâce à un savant mélange de personnalité, de style, de stratégies d’affaires, de flair quant aux meilleures opportunités en fonction de leur réalité. Une des tactiques consiste à prendre des contrats d’appoint étonnants : service de transport adapté et d’accompagnement paramédical, à condition d’avoir la formation requise; transport de prélèvements médicaux pour les hôpitaux et les cliniques (échantillons de sang, d’urine), nécessitant un certificat de formation reconnue; taxibus; services aux écoliers; survoltage de batteries et autres.
« Mouche » ou « araignée », nuit et jour
Taxi - répartiteur
Sauf exception, la clientèle de nuit n’est pas facile et souvent imprévisible, mais susceptible d’apporter de bons pourboires. Elle doit néanmoins être bien servie, et les chauffeurs doivent également savoir comment s’en préserver. Ce savoir-faire ne s’apprend que par l’expérience et il faut être capable de parfois faire face aux réalités les plus sombres de la nuit. La clientèle de jour est fort différente, mais non moins exigeante. Le chauffeur de taxi de jour traite une tout autre réalité, une clientèle qui se compose davantage de gens d’affaires, de touristes, de personnes qui se déplacent pour des rendez-vous personnels notamment.
Les postes d’attente existent depuis les années 1910 à Montréal. En 1987, on en compte une cinquantaine dans la métropole. Vingt ans plus tard, les chauffeurs de taxi peuvent choisir d’exercer leur métier sur une centaine de postes d’attente privés, publics ou communs disséminés à travers la ville, moyennant une entente financière avec les gestionnaires de terrain.
Répartition et communication : du téléphone au GPS
Taxi - répartiteur 2
Les premières formes de communication entre un central et les chauffeurs de taxi apparaissent dans la métropole québécoise au début des années 1940. Après la Deuxième Guerre mondiale, vers 1947, les taxis profitent de la technologie américaine pour améliorer leur système de communication en introduisant des émetteurs radio dans les véhicules, jusqu’à leur abandon en 1998, la technologie n’étant plus rentable. Aussi, les compagnies de téléphone développent un système qui permet aux répartiteurs de communiquer directement avec tous les chauffeurs de taxi à partir d’une ligne directe. Les appareils sont installés sur des poteaux de téléphone dans quelques postes d’attente à travers la ville. Autour des années 2000 s’amorcent les premières tentatives de communication par un système de répartition assisté d’un GPS (Global Positioning System), capable de repérer le taxi le plus proche correspondant à la zone où se trouve le client et à ses critères. Taxi Diamond inaugure et installe le sien en 2009, les autres compagnies de taxi suivent. Un bon répartiteur pouvait faire 10 appels par minute auparavant. Maintenant que tout est informatisé, le système avec GPS en fait 100 par minute!
Afin d’assurer un service continu à toute personne sur l’île de Montréal et de garantir un revenu convenable à tous les chauffeurs de taxi, le gouvernement québécois décide de constituer trois agglomérations en 1973, correspondant à des zones distinctes d’exercice : l’Est, l’Ouest et Montréal-Centre. Effectivement, les chauffeurs du centre-ville, plus dense, obtenaient plus de courses que ceux de l’Est et de l’Ouest. Dès lors, chaque chauffeur a l’obligation de retourner au poste d’attente de son agglomération une fois sa course terminée et n’a pas le droit de prendre un client à moins de 60 mètres de son poste.
En 2020, la nouvelle loi provinciale a entraîné la dissolution des agglomérations. Ce décloisonnement a pour avantage de permettre aux chauffeurs d’offrir leurs services de taxi dans tout le Québec désormais, ce qui signifie, entre autres choses, qu’ils peuvent prendre un passager sur la route sans jamais revenir à vide.
BERGERON, Johane. « Taxi! Témoins de la cité! », Projet d’exposition sur les chauffeurs de taxi, Rapport de stage, projet de recherche-action, Mémoire (M.A. en muséologie), Université du Québec à Montréal, août 2017, 119 p.
BUREAU DU TAXI DE MONTRÉAL. Mémoire du Bureau du taxi de Montréal. Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de la loi no 17 Loi concernant le transport rémunéré de personnes par automobile. Pour des services de qualité, sécuritaires, accessibles, fiables, durables et stratégiquement intégrés à la mobilité de la métropole, 2 mai 2019. MéMoire du Bureau du taxi de Montréal
HAGE, Rawi. Carnaval, éditions Alto, 2013, 375 p.
PROVOST, Anne-Marie. « L’industrie du taxi gagnerait à compter plus de femmes, disent des conductrices », Radio-Canada Info, 8 mars 2016.
SCHOETERS, Jean. « La Mystérieuse Histoire de Boisjoly Taxi », Montréal Taxi Blog, 7 octobre 2014.
WARREN, Jean-Philippe. Histoire du taxi à Montréal. Des taxis jaunes à UberX, Les Éditions du Boréal, 2020, 432 p.
« Client à moins de 60 mètres d’un poste d’attente », Taxi Le Journal, Bureau du taxi de Montréal, volume 13, no 1, hiver 2011, p. 6.
« Organe vital de la métropole : les taxis de Montréal ont 108 ans d’histoire! », Taxi Le Journal, Bureau du taxi de Montréal, hiver 2016, volume 23, no 4, p. 18.
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Une série d'entrevues ont été réalisées en 2024 par Johane Bergeron dans le cadre de l’acquisition de la collection du Bureau de taxi de Montréal par le MEM. Les entrevues suivantes ont servi à l’écriture du présent article :
- Entretien avec Ray Bonin, formateur chez Taxelco intervenant dans l’industrie du taxi depuis 1991, le 10 juin 2024. Ray Bonin a près de 35 ans de métier au cœur de l’industrie. Il a commencé comme téléphoniste-répartiteur à l’association Taxi Diamond, puis a occupé le poste de directeur des opérations et de responsable de transport adapté. Il a également été président du comité de discipline et agit maintenant à titre de formateur pour les chauffeurs et les employés chez Taxelco. Il a participé à l’instauration du premier GPS au Québec, à la création de plusieurs formations, à la finalisation des nouvelles normes d’opérations de Taxelco et a été également l’un des représentants du Québec aux National Occupational Standards.
- Entretien avec Sylvain Tousignant, directeur du transport à la demande à l’Agence de mobilité durable, à Montréal, le 21 mai 2024. Arrivé en 2015 comme directeur adjoint au Bureau du taxi de Montréal, aujourd’hui disparu, il a assuré sa fermeture à titre de directeur général en 2019.