Des pans entiers du patrimoine bâti de la métropole disparaissent dans les années 1950 et 1960 au nom de la modernité. Il faut tout documenter. Des fonctionnaires sont à l’œuvre sur le terrain.
« C’t’un gars des Immeubles qui v’nait avec moi, qui m’disait quelle maison photographier, en avant pis en arrière. […] Pis lui, y t’nait sa pancarte pour dire que ça…, numéro 8, c’est telle adresse s’a rue Sanguinet[te]. […] Je l’plaçais tout le temps su’ l’coin d’la photo […]. Y pouvait être dedans en t’nant la pancarte, mais pas trop. Juste la pancarte, c’tait important, pas lui. »
Jean-Paul Gill, photographe de la Ville de Montréal de 1951 à 1983
Des femmes bavardent dans la rue, des enfants se promènent à bicyclette, un couple enlacé se penche à sa fenêtre, un facteur complète sa tournée. Deux inconnus parcourent les rues, suivant un trajet qu’eux seuls connaissent. L’un photographie, l’autre numérote. Clichés après clichés, ils figent la vie sur pellicule.
Mais que viennent-ils faire? Que signifie ce numéro qui apparaît sur chacune de leurs photos? Sans le savoir, ces hommes amorcent un processus qui viendra bouleverser ce paisible tableau. Un choix a été fait : ces quartiers doivent disparaître. À l’insu des habitants, ce lieu de vie se transforme en objet d’étude, ses bâtiments deviennent des numéros et ses résidants, les figurants d’un quotidien dont le temps est maintenant compté. À chaque cliché, les deux fonctionnaires accélèrent le compte à rebours.