Alors jeune fille de 20 ans, Diane Groulx a travaillé tout l’été 1967 à l’Expo. L’expérience l’a transformée et lui a permis de réaliser l’immensité du monde à découvrir.
Dans le cadre de son exposition Explosion 67. Terre des jeunes, soulignant le cinquantième anniversaire d’Expo 67, le Centre d’histoire de Montréal a lancé un appel à tous. C’est à cette occasion que Diane Groulx a spontanément livré ce témoignage écrit. Il nous fait découvrir l’événement par le regard d’une jeune Montréalaise travaillant sur le site.
Diane Groulx
Nous avons marché jusqu’à La Ronde, le cœur battant la chamade, les yeux exorbités et la bouche béante d’admiration. C’était trop beau! Trop grand! Instinctivement, nous sentions que nous ne serions plus jamais les mêmes. Montréal ne serait plus jamais la même. Le Québec ne serait plus jamais le même. Il se passait un moment unique dans notre jeune vie, un moment historique pour les Québécois, un tournant irréversible pour tout le pays. C’était exaltant!
Arrivées au kiosque où l’on vendait du pop-corn, baptisé plus tard prétentieusement « le pavillon du Pop-Corn », nous avons revêtu notre uniforme estival, à savoir un sarrau blanc et un fichu blanc à pois marine pour nos cheveux. Nous avons assimilé comment tourner la barbe à papa; comment remplir les sacs de maïs soufflé chaud, tant au beurre qu’au caramel, sans se brûler; et comment encaisser les 27 cents d’une main et remettre la monnaie de l’autre. La plupart du temps, trop pressés, les gens ne réclamaient pas leurs trois cents, que nous avons rapidement pris l’habitude de cacher dans nos souliers, les pourboires étant interdits.
Vivre une expérience unique
Diane Groulx - photo de l'intérieur du pavillon L’homme dans la Cité
Ce que la majorité des gens ignorent, c’est que cette ouverture endiablée a vite cédé la place aux matins frileux de mai. Les touristes n’étaient pas arrivés et les Québécois n’étaient pas encore en vacances. Les manèges les plus populaires de La Ronde tournaient à vide. Il y avait peu d’activités, il faisait froid, j’avais été transférée dans un kiosque près de la marina. Même les couleurs fluo arborées dans toute l’île ne parvenaient pas à nous égayer. Les quelques yachts accostés semblaient abandonnés. Nous cherchions à nous réchauffer, qui d’une veste de laine sous le sarrau (le règlement interdisait tout vêtement par-dessus notre tenue), qui d’un café bouillant, tout au long de ces journées désertées. Seul le feu d’artifice d’une heure du matin annonçant la fermeture de La Ronde nous stimulait, car il sonnait la fin de notre longue oisiveté. Dès lors, c’était la course folle des uniformes de toutes sortes se ruant vers l’embarcadère de l’autobus 45 Papineau, qui était le seul moyen de sortir de l’île à cette heure de la nuit.
Puis juillet, le moment des grandes vacances, est arrivé : les gens affluaient de partout, nous n’avions plus le temps de penser. Les tiroirs-caisses restaient ouverts et la monnaie débordait. Les jours de canicule, les moteurs des appareils à maïs soufflé surchauffaient, tellement la production était intense. Les matelots français troquaient le pompon rouge de leur képi blanc et bleu contre du pop-corn. Quand ce n’était pas les soldats russes qui, avec leurs quelques mots de français, tentaient de nous séduire. C’était aussi, bien sûr, des Montréalais heureux de pouvoir revenir souvent et des familles québécoises venues de toute la province. Il y avait tellement de gens agglutinés devant le kiosque que je n’ai pas reconnu ma mère et ma tante.
Des journées d’enchantement
Diane Groulx - photo prise par l'auteure
Si en avril je sentais que ma vie ne serait plus la même, en septembre je réalisais l’immensité du monde à découvrir. La petite fille studieuse d’Ahuntsic qui apprenait les auteurs grecs et la littérature française sortait des ornières familiales. Dès l’année suivante, je modifiai mon choix de cours au collège pour l’histoire internationale. Mes projets de premiers voyages vers une quelconque plage des États-Unis venaient de changer et s’orientaient vers les pays d’Europe. Mon envie d’épouser un Britannique n’était pas étrangère à la découverte de leur culture et de leur flegme. Certaines de mes amies ont gardé un souvenir tangible de l’Expo : pour Diane, un enfant; Colette, un mari et Louise, des adresses de gens à visiter à l’étranger. Pour moi, ce fut tout aussi déterminant mais plus subtil. C’est un sentiment de grande liberté et un désir de voyager qui m’habite encore aujourd’hui. Je n’ai pas senti le besoin de m’acheter des souvenirs, ils étaient tous dans ma tête et dans mon cœur et le sont encore… après 50 ans.
Diane Groulx, 2016