Créé en 1987, le Bureau du taxi de Montréal ferme ses portes en 2022. Après 35 ans de service, quelle a été sa contribution au fonctionnement de l’industrie du taxi?
L’industrie du taxi à Montréal est un monde fascinant, complexe et très réglementé. Pour maintenir un certain équilibre entre l’offre et la demande du marché, certains correctifs s’imposent parfois et peuvent bouleverser le milieu. C’est ce qui s’est produit durant les années 1980 alors que beaucoup trop de permis de taxi étaient en circulation.
Un microcosme singulier
Taxi - évaluation du plan de rachat de permis
Il faut également se rappeler que, durant cette même période, des tensions grandissantes font rage dans l’industrie. Certaines compagnies de taxi ont des pratiques racistes et ne veulent pas engager de chauffeurs noirs ou les licencient sous prétexte de perdre leur clientèle.
« À mes débuts comme répartiteur chez Taxi Diamond en 1977, le client était roi. Il pouvait même se permettre de spécifier “l’origine ethnique” du chauffeur. Les papiers de commande des téléphonistes nous arrivaient avec la mention “pas de noir” et, lors de la répartition, si l’accent du chauffeur à la radio nous semblait “exotique” on lui disait qu’on était désolé, mais qu’on devait passer au suivant. » ― Jean Schoeters, blogueur, ancien répartiteur chez Diamond
Création et développement du Bureau du taxi
Taxi - article création du BTM
Afin d’éviter toute forme d’inégalité, le Bureau impose aux répartiteurs de respecter l’ordre des demandes d’adhésion des nouveaux membres en implantant un formulaire numéroté anonyme, rendant impossible le rejet d’un candidat. Cette obligation s’adresse également aux chauffeurs qui peuvent accepter un client à la condition qu’il soit le premier au poste d’attente. Vers 1992, les associations de taxi s’entendent pour favoriser l’intégration des membres des minorités visibles.
En 2014, le Bureau du taxi devient une société paramunicipale de la Ville de Montréal relevant d’un conseil d’administration composé à la fois de membres de l’administration publique, de l’industrie du taxi et de l’ensemble de la clientèle. Il hérite d’un double mandat, celui d’encadrer le milieu et de soutenir son développement afin de rehausser ses services et la qualité de son image.
Pouvoirs, rôle et fonctions
Taxi - comptoir de service
On pourrait penser que les chauffeurs possèdent tous le même genre de permis pour pratiquer le métier, mais la réalité est plus complexe. D’abord, des permis sont octroyés à plus d’une quinzaine de compagnies de taxi, dites intermédiaires en service de transport. Cela les autorise à faire de la répartition d’appels auprès des chauffeurs de taxi qui adhèrent à une de ces enseignes, moyennant certains frais. Tous les propriétaires de taxi possèdent une licence qui leur permet de louer une ou plusieurs de leurs voitures à des chauffeurs qualifiés. Un permis est rattaché à chaque voiture louée. Un propriétaire ne peut posséder plus de 20 permis de taxis. Parmi les 4500 propriétaires, un tiers ne sont pas membres d’une compagnie intermédiaire et n’ont aucune bannière à leur lanternon, on les appelle les indépendants. Pour compléter la représentation de l’offre dans l’industrie du taxi, s’ajoutent le transport médical et les limousines, sans oublier le transport adapté qui représente un secteur de développement majeur; ces derniers nécessitent des permis distincts.
Dans son rôle d’organisme régulateur, le Bureau du taxi s’occupe des plaintes du public et de l’industrie. La lutte contre le transport illégal figure au cœur de sa compétence et de son engagement. Il n’a de cesse de poursuivre les chauffeurs sans permis de taxi susceptibles de compromettre la sécurité des passagers. C’est la Division de l’inspection et des enquêtes du Bureau qui est responsable de maintenir l’ordre et de contrôler l’état des véhicules sur le territoire de l’agglomération. Son équipe est formée d’inspecteurs issus de la formation policière pour la plupart et de superviseurs expérimentés. Par ailleurs, l’organisation mise, notamment, sur l’amélioration des compétences des chauffeurs, de leur sécurité et de celles des usagers pour redresser la qualité des services de transport par taxi.
Modernisation et initiatives
Taxi - Image de marque Taxi Bonjour
À l’instar des black cabs de Londres ou des yellow cabs de New York, la marque de commerce vise à transformer l’expérience client et l’image de l’industrie, de même qu’à positionner Montréal parmi les destinations urbaines attrayantes en Amérique du Nord. Tous les taxis travaillant à l’Aéroport Montréal-Trudeau (sous compétence fédérale) sont choisis par tirage au sort et ont l’obligation d’arborer le logo Bonjour permettant de garantir un certain niveau de qualité et de performance auprès des usagers et visiteurs à Montréal. Le changement d’apparence se fait sur une base volontaire aux frais des chauffeurs, mais Tourisme Montréal octroie une subvention ponctuelle pour encourager l’habillage des voitures. À cause de ces conditions, la pénétration du marché prend un certain temps, mais la progression est encourageante.
Fermeture et retour aux sources
En 2018, la Ville demande au Bureau du taxi de travailler sur le renouvellement de la Politique sur les services en transport par taxi et sur la réforme de sa réglementation municipale. Dès lors, l’organisme s’engage dans une vaste consultation pour laquelle il réunit les membres de l’industrie des services de transport par taxi et les représentants de la clientèle. En parallèle, il mène de nombreuses enquêtes pour connaître l’expérience client et l’avenir du taxi. Le phénomène d’Ubérisation et ses effets perturbent déjà les acquis de l’industrie du taxi qui a tardé à réagir.
Au prix de plusieurs batailles et manifestations, c’est le gouvernement qui a le fin mot. Il décide de rapatrier les responsabilités et les pouvoirs inhérents à l’industrie du taxi sous sa gouverne. Le Bureau du taxi de Montréal ferme définitivement le 31 décembre 2022 et passe le flambeau au ministère des Transports du Québec qui met en place la Loi 17, entrée en vigueur en 2020. Celle-ci cherche « à établir un nouveau régime d’encadrement uniformisé pour l’ensemble des services rémunérés de transport de personnes par automobile », ce qui inclut notamment les taxis, Uber, Netlift, Eva et limousine de ce monde, « en vue d’assurer la sécurité des passagers et la transparence du prix des courses ». Bien que le Bureau du taxi ait offert son soutien dans la démarche de modernisation législative conduisant à cette nouvelle loi et aux règlements qui en découlent, il s’est montré préoccupé par l’ampleur de la déréglementation qui engendrera, de son point de vue, une plus grande concurrence. Il a accompagné l’industrie du taxi pendant le processus de transition et a soutenu le maintien de ses activités.
Fort d’une riche expérience de terrain de 35 années avec l’industrie des transports et ses partenaires, le Bureau du taxi de Montréal laisse un riche héritage. Entre autres legs porteurs, la plateforme du Registre des taxis, qui a été développée en partenariat avec Polytechnique, poursuivra son évolution selon de nouveaux paramètres afin d’assurer une mobilité urbaine dynamique.
Le Registre des taxis
Le Registre des taxis est une plateforme qui recueille en temps réel des données sur l’emplacement et la disponibilité de tous les taxis en service. Sans changer les modèles d’affaires actuels, il permet également de brosser un portrait global de l’offre et la demande. Il s’agit d’un outil qui permet de faire le pont entre les systèmes de répartition et les différentes applications de mobilité. C’est l’étape indispensable à l’accès des services de transport par taxi aux solutions de mobilité intégrée.
Le néologisme ubérisation
Le néologisme ubérisation est généralement utilisé pour désigner le phénomène par lequel une start-up ou un nouveau modèle économique lié à l’économie numérique peut menacer et remettre en cause rapidement un vieux modèle de l’économie « traditionnelle ».
BATHELOT, B. « Uberisation », Définitions marketing, L’encyclopédie illustrée du marketing, 5 avril 2016, modifié le 22 novembre 2017.
BERGERON, Johane. « Taxi! Témoins de la cité! », Projet d’exposition sur les chauffeurs de taxi, Rapport de stage, projet de recherche-action, Mémoire (M.A. en muséologie), Université du Québec à Montréal, août 2017, 119 p.
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BUREAU DU TAXI DE MONTRÉAL. Mémoire du Bureau du taxi de Montréal. Dans le cadre des consultations particulières et auditions publiques sur le document d’information sur le transport rémunéré de personnes par automobile, 24 février 2016.
BUREAU DU TAXI DE MONTRÉAL. Mémoire du Bureau du taxi de Montréal. Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de la loi no 17 Loi concernant le transport rémunéré de personnes par automobile. Pour des services de qualité, sécuritaires, accessibles, fiables, durables et stratégiquement intégrés à la mobilité de la métropole, 2 mai 2019.
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SCHOETERS, Jean. « Années 80 – Racisme dans l’industrie du taxi à Montréal », Montréal Taxi Blog, 17 avril 2013.
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« Loi 17 », Taxi Le Journal, Bureau du taxi de Montréal, volume 39, no 4, hiver 2020.
« Sécurité des chauffeurs », Taxi Le Journal, Bureau du taxi et du remorquage de Montréal, volume 12, no 1, hiver 2010, p. 3-4.
« Loi concernant le transport rémunéré de personnes par automobile », Taxi Le Journal, Bureau du taxi de Montréal, volume 38, automne 2020. (Consulté le 22 mars 2024).
« 35 du BTM : Un dernier tour de piste », Taxi Le Journal, Bureau du taxi de Montréal, volume 42, no 4, hiver 2022.
« Transition et clôture du BTM », Taxi Le Journal, Bureau du taxi de Montréal, volume 49, no 2, été 2023, p. 6.
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Une série d'entrevues ont été réalisées en 2024 par Johane Bergeron dans le cadre de l’acquisition de la collection du Bureau de taxi de Montréal par le MEM. Les entrevues suivantes ont servi à l’écriture du présent article :
- Entretien avec Chelène Coulanges, cheffe de section par intérim, Section service à la clientèle – points de services, Service des affaires juridiques, Direction des projets spéciaux, soutien général et service à la clientèle, Cour municipale, Ville de Montréal, le 23 juin 2024. Chelène Coulanges a été à l’emploi du Bureau du taxi de Montréal durant 28 ans, de 1994 jusqu’à sa fermeture en 2020. Elle a gravi les échelons pour être tour à tour réceptionniste, inspectrice pendant 16 ans, chef de section, puis chef de division.
- Entretien avec Amine Smaoui, conseiller en analyse et contrôle de gestion, Division des stratégies de mobilité durable, Service de l’urbanisme et de la mobilité, Ville de Montréal, le 8 mai 2024. Il a dirigé le projet Taxi Bonjour pour le Bureau du taxi de Montréal en collaboration avec l’industrie du taxi à Montréal et Tourisme Montréal.