Le rapport des chauffeurs de taxi avec leur voiture est lié à divers facteurs : leur personnalité, leur statut, l’observation des règlements, le type de voiture, etc. Bienvenue dans leur univers!
Lorsque vous entrez dans un taxi, vous êtes-vous déjà demandé dans quel type de voiture vous montez et ce qu’elle représente pour le chauffeur? Avez-vous pris le temps d’observer tout ce qui se trouve dans son habitacle? Saviez-vous que ces outils sont liés à ses obligations, augures d’une promesse de vous mener à bon port en toute sécurité et dans le respect des règles de son métier?
Ma deuxième maison
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Dans Histoire du taxi à Montréal, le sociologue Jean-Philippe Warren associe ce sentiment de réconfort éprouvé par les chauffeurs montréalais aux contradictions caractérisant leur métier, et contre lesquelles ils se débattent pour trouver un équilibre. Les conditions de travail varient d’un individu à l’autre, mais tous les chauffeurs sont en concurrence directe. Warren avance qu’il y a plusieurs types d’acteurs dans le milieu : chauffeurs pour des propriétaires de petits parcs automobiles ou de gros parcs, singles* et spares*, chauffeurs d’expérience et nouveaux venus, habitués de certains secteurs (centre-ville, Villeray, etc.). Il affirme qu’il leur est donc difficile d’établir de solides liens de solidarité. Ainsi, il a observé que la voiture de taxi est à la fois un espace privé et un espace public, un lieu domestique et un lieu de travail, une deuxième maison et un outil, un dehors et un dedans, une prison et une fenêtre sur le monde. Le chauffeur est entouré de gens, et pourtant il est seul. Cette polarisation contribue à faire de ce métier quelque chose d’unique, hors de l’ordinaire.
Propriétaire ou locataire?
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Les responsabilités diffèrent donc selon le statut. Principalement, le propriétaire s’occupe de l’équipement des véhicules qu’il loue ou utilise pour lui-même (compteur, éclairage du lanternon, GPS, coût du permis, si le chauffeur n’en possède pas) et de l’entretien de la mécanique. Il peut utiliser sa voiture personnelle pour autant qu’elle soit autorisée par la Société de l’assurance automobile du Québec. Pour sa part, le locataire est responsable de son essence, de ses assurances, de son permis et, en principe, de nettoyer le véhicule après usage pour le prochain chauffeur. À force de temps et d’expérience, lorsqu’elle était locataire, Fernande Chartrand a remarqué que les meilleures voitures venaient des parcs dont le propriétaire avait peu d’automobiles, car il prenait soin de chacune d’elles. Un propriétaire confirme d’ailleurs, dans l’ouvrage Histoire du taxi à Montréal, que la grosseur du parc automobile influe directement sur l’état des voitures mises en service.
« Le principal, c’est que j’adore conduire. Ça m’est égal quelle voiture. Du moment que je suis assis au volant et que je roule sur la route, je suis un homme heureux. Je ne peux imaginer une meilleure façon de gagner ma vie. » — Pierre-Léon Lalonde, Un taxi la nuit, tome 1
Quelle voiture?
Taxi - véhicules

En 2011, la Toyota Camry se classe au sommet des 10 voitures les plus populaires. Selon les statistiques provenant du Bureau du taxi de Montréal, actif jusqu’en 2020, ce palmarès ne se dément pas entre 2015 et 2018. La Camry conserve alors la première place, mais passe au second rang lorsque la Prius V la déloge en 2019 et 2020. Vous l’aurez constaté si vous prenez le taxi, de plus en plus de compagnies intègrent des véhicules électriques à leur parc. Fondée en 2015 pour moderniser le secteur des taxis à Montréal, Taxelco lance Téo Taxi la même année, et devient ainsi l’entreprise possédant le plus grand parc de taxis entièrement électriques au Canada. En 2025, 64 % de leurs 2000 véhicules sont hybrides ou électriques, dont 25 % sont complètement électriques. Le formateur de l’entreprise, Ray Bonin, estime qu’il s’agit d’un bon ratio entre les voitures hybrides rechargeables et à carburant. Outre les Tesla, les Prius, Kia Soul et Kona de Hyundai’s sont les plus illustres.
Les composantes de l’habitacle
Maintenant que vous êtes en mesure de mieux comprendre l’importance de la voiture et sa valeur symbolique pour le chauffeur, il est temps de vous faire découvrir les composantes de l’habitacle qui l’entourent lors d’un parcours. Imaginez-vous au coin d’une rue en train de scruter l’horizon dans l’espoir de repérer un taxi. Voilà que vous apercevez une enseigne sur le toit d’une voiture qui se détache dans le trafic au loin. Comme vous connaissez le code, vous la hélez machinalement d’un geste de la main jusqu’à ce qu’elle se faufile jusqu’à vous. Vous ne l’avez sûrement pas vue, mais sa plaque, immatriculée d’un F à usage commercial, atteste que le propriétaire a le droit d’utiliser son véhicule comme taxi. Avant de vous glisser sur la banquette arrière, avez-vous remarqué ce qui est inscrit sur le lanternon ? Il indique le nom de la compagnie et ses coordonnées, et affiche le mot taxi. Autrefois, un numéro de vignette d’identification à quatre chiffres devait apparaître sur sa face arrière. Le même numéro était obligatoirement apposé sur la vitre arrière de la voiture, ce qui signifiait que le chauffeur avait le droit de travailler sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal. Ces numéros ont disparu depuis 2020.Une fois que vous avez donné l’adresse de votre destination, si vous levez les yeux vers la gauche à la hauteur du chauffeur, vous pouvez voir son permis de travail, avec sa photographie, affiché bien en vue. À l’instar d’autres grandes villes nord-américaines, c’est Pacifique Plante, le directeur de la moralité à Montréal en 1948, qui a imposé la photo du chauffeur sur ce permis de poche, communément appelé « pocket ». C’était sa façon d’éliminer les indésirables afin de s’attaquer aux activités criminelles ancrées dans le milieu du taxi. Le permis de chauffeur autorisé diffère du permis de conduire de classe 5 délivré par la SAAQ. Les deux sont obligatoires pour être titulaire d’un taxi.
Dans l’intervalle, le compteur tourne toujours… Votre regard balayant un peu plus vers la gauche de la portière, vous pouvez prendre connaissance de la grille des tarifs en vigueur, établie par le gouvernement, ainsi que des engagements du chauffeur et du client durant le service. Comme vous arrivez à bon port, le chauffeur arrête le taximètre qui détermine le prix de votre course. Dès que vous payez, il vous remet un reçu en un rien de temps, incluant les taxes provinciales et fédérales obligatoires depuis 2021.
L’avenir du taxi
Après cette tournée, vous conviendrez que les chauffeurs de taxi vivent dans un environnement fiché de toutes parts, et doivent maîtriser une foule de savoirs pour exercer correctement leur métier. Plusieurs recherches scientifiques indiquent que la connaissance de la topographie et l’expertise de la circulation acquises par les chauffeurs augmentent la matière grise dans leur hippocampe postérieur, une région du cerveau qui joue un rôle primordial pour la mémorisation et la navigation spatiale ! Avec les capacités nouvelles du GPS et l’utilisation croissante de composants électroniques dans la fabrication des voitures, ces habiletés ne sont plus essentielles de nos jours.
« La sous-culture traditionnelle du métier s’est peu à peu estompée. Il s’en trouve plus d’un pour prédire la disparition prochaine de ce métier lorsqu’arrivera la voiture (vraiment) autonome. » — Jean-Philippe Warren, Histoire du taxi à Montréal
* Quelques mots propres au métier :
Travailler single signifie que le chauffeur est le seul locataire de la voiture louée par un propriétaire.
Spare désigne un chauffeur locataire et remplaçant occasionnel.
De façon générale, les propriétaires louent un shift, c’est-à-dire 12 heures de jour ou 12 heures de nuit.
Les modes de travail single, spare et shift sont toujours d’actualité dans l’industrie en 2025. Il en va donc de même pour ces termes, même s’ils sont peu utilisés étant donné la baisse considérable du nombre de parcs de taxis depuis la mise en vigueur en 2021 de la Loi 17 (qui régit le secteur du transport rémunéré de personnes, y compris les taxis et les autres services de transport comme le covoiturage). La majorité des chauffeurs sont maintenant propriétaires de leurs véhicules. Il existe encore quelques exceptions, des propriétaires possédant un véhicule unique ou quelques voitures, qui louent à shift (12 heures en général). Les rares spares (remplaçants occasionnels) louent plus souvent single.
Démarches à suivre au quotidien :
Il est intéressant de rappeler que, dans le contexte de rationnement en temps de guerre, les feuilles de route (waybills) sont rendues obligatoires pour tous les chauffeurs en 1940, bien que le taximètre (exigé depuis 1920) joue le même rôle. Les chauffeurs devaient y faire état de leurs déplacements (heures de travail, détails de leurs courses (date, heures, lieux de départ et d’arrivée, nombre de passagers), des sommes perçues et du prix des voyages faits à crédit). Ces feuilles de route ont été abandonnées au tournant des années 1950 et 1960.
Dix ans après sa mise en place, le Bureau du Taxi de Montréal illustre bien dans son rapport annuel de 1997 à quel point les chauffeurs de taxi sont encadrés et toujours responsables. Dans Histoire du taxi à Montréal, Jean-Philippe Warren précise : « Sa voiture est tatouée de numéros : numéro de poche (pocket), vignette d’identification, lanternon, plaque d’immatriculation, carte des tarifs en vigueur, taximètre, sans mentionner les documents qui se trouvent dans le coffre à gants (permis de conduire, cartes d’assurance, convention entre le titulaire d’un permis et le chauffeur qui loue un véhicule, le cas échéant). »
Comme tout bon pilote, le chauffeur vérifie encore aujourd’hui une foule d’éléments qu’il consigne dans un rapport de vérification avant son départ (niveau de liquide de frein, frein à main, phares et feux, pneus et valve, klaxon, essuie-glaces et niveau du liquide lave-glace, rétroviseurs, lanternon, s’il y a lieu, état de la charge de la batterie (dans le cas d’une automobile électrique), rampe ou plateforme élévatrice et ancrages (dans le cas d’une automobile adaptée). Ces informations sont obligatoires et doivent être conservées en tout temps dans le véhicule en cas d’inspection.
CHAREST, Danielle. Ma maison, mon taxi, Leméac Éditeur, collection La vie en récits, 1992, 166 p.
COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL. Rapport annuel 1997 du Bureau du taxi de la Communauté urbaine de Montréal, « 1987-1997, 10 ans au service de la qualité », 1997, p. 7.
HAGE, Rawi. Carnaval, Éditions Alto, Québec, 2013, 375 p.
KATO, Ann. « Les chauffeurs de taxi londoniens ont un plus grand cerveau », Le Temps, 31 décembre 2013.
LALONDE, Pierre-Léon. Un taxi la nuit, tome I, éditions du Septentrion, collection Hamac-carnets, Québec, 2009, 280 p.
MANCERON, Hélène. « L’hippocampe du taxi », 100 % News Edito, 17 décembre 2024, mis à jour le 15 janvier 2025, Paris.
TEMPLIER, Sébastien. « Et la voiture de taxi type est… », La Presse, mis à jour le 24 mars 2011.
WARREN, Jean-Philippe. Histoire du taxi à Montréal. Des taxis jaunes à UberX, éditions du Boréal, 2020, 432 p.
« Quel type de voiture peut être utilisé comme taxi ? », site Internet de Coop de l’Est.
« Le cerveau des chauffeurs de taxi », site Internet de Psychomédia, 1er janvier 2012.
« Exploitant d’une entreprise de taxi. TPS et TVQ », site Internet de Revenu Québec.
« Chauffeur qualifié pour effectuer du transport rémunéré de personnes par automobile. Changements pour l’industrie du taxi », site Internet de la Société de l’assurance automobile du Québec, 2023, dernière modification : 9 août 2024.
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Une série d’entrevues a été réalisée en 2024 et 2025 par Johane Bergeron dans le cadre de l’acquisition de la collection du Bureau du taxi de Montréal par le MEM. Les entrevues suivantes ont servi à l’écriture du présent article :
- Entretien, le 5 mars 2025, avec Ray Bonin, formateur chez Taxelco et intervenant dans l’industrie du taxi depuis 1991. Ray Bonin a près de 35 ans de métier au cœur de l’industrie. Il a commencé comme téléphoniste-répartiteur à l’association Taxi Diamond, puis a occupé le poste de directeur des opérations et de responsable de transport adapté. Il a également été président du comité de discipline chez Diamond (de 2004 à 2018) et agit en 2025 à titre de formateur pour les chauffeurs et les employés chez Taxelco. Il a participé à l’instauration du premier GPS au Québec, à la création de plusieurs formations, à la finalisation des nouvelles normes d’opérations de Taxelco et a été également l’un des représentants du Québec aux National Occupational Standards.
- Entretien, le 4 mars 2025, avec Amine Smaoui, conseiller en analyse et contrôle de gestion, Division des stratégies de mobilité durable, Service de l’urbanisme et de la mobilité, Ville de Montréal. Il a dirigé le projet Taxi Bonjour pour le Bureau du taxi de Montréal en collaboration avec l’industrie du taxi à Montréal et Tourisme Montréal.