Montréal, la scandaleuse?
L’exposition du Centre d’histoire Scandale! a dévoilé l’inoubliable Montréal des années 1940 à 1960. Comme le souligne le directeur Jean-François Leclerc, elle a aussi révélé la ville d’aujourd’hui.
« Voilà donc Montréal : le village carnavalesque et libertin sur le Saint-Laurent. Ce n’est pas tant une ville qu’un état d’esprit. Y vivre, c’est l’aimer. » — Al Palmer, journaliste (1950)
Dans bien des esprits, Montréal évoque encore le plaisir et la fête. Le souvenir laissé par les néons scintillants du centre-ville et ses vedettes inoubliables demeure. Toutefois, derrière les façades des clubs de nuit se cachaient souvent des organisations criminelles…
L’énergie de Montréal réside, comme dans toute grande ville, dans la coexistence inévitable du licite et de l’illicite qui, parfois, s’entrelacent, s’entrechoquent ou s’enflamment comme ce fut le cas au cours des années 1940 et 1950. Par sa diversité et sa tolérance, Montréal offre, depuis longtemps, un climat propice à la transgression des lois et des codes moraux. Bien que le monde interlope ait évolué au fil du temps, la prostitution, la corruption et le crime organisé alimentent encore l’actualité et suscitent toujours des débats.
Cette duplicité, explorée dans l’exposition Scandale!, est maintenant présentée dans le grand dossier Scandale! Montréal de 1940 à 1960 du site Mémoires des Montréalais. Comme les personnages connus et anonymes croisés dans l’exposition, et maintenant dans le grand dossier Scandale!, chacun peut être complice ou témoin, tolérant ou réformateur, indifférent ou scandalisé.
Dans les lignes qui suivent, Jean-François Leclerc, directeur du Centre d’histoire pendant la conception et la tenue de l’exposition, livre sa vision de cette présentation au public. Il fait aussi part de sa vision de Montréal, à l’époque controversée du milieu du XXe siècle et en 2013, moment où il écrit ce texte pour le dossier de presse de l’exposition.
Regard du directeur sur l’exposition
Depuis 30 ans, le Centre d’histoire de Montréal révèle à ses visiteurs et aux citoyens qui participent à ses activités comment « l’histoire de ses habitants a façonné l’environnement urbain, laissé des traces et défini l’identité de la métropole », conformément à sa mission. Montréal, qui es-tu? Voilà une question qui oriente de plus en plus nos choix d’expositions. Notre intention à travers nos multiples projets est de faire comprendre la ville actuelle à travers son histoire et son patrimoine. Nous voulons également créer peu à peu un nouveau patrimoine, celui des témoignages de citoyens de toutes conditions qui, au gré de nos expositions, enrichiront la documentation archivistique et visuelle que préservent les Archives de la Ville de Montréal, avec lesquelles nous collaborons depuis plusieurs années.
Un des traits marquants de la métropole est sa réputation de tolérance et de joie de vivre. Cette notoriété commence à se construire au début du XXe siècle alors que le Québec décide de réglementer et non de bannir la vente d’alcool. Avec la prohibition au Canada et aux États-Unis, Montréal attire fêtards et artistes de partout. Avec ses centaines de clubs, sa population francophone et son exotique parfum d’Europe et d’Amérique, elle devient pour les Nord-Américains le Little Paris of America.
Par cette exposition, comme par les précédentes, nous souhaitons dévoiler divers aspects moins connus de la « diversité culturelle » de Montréal qui s’exprime aussi dans la diversité de ses quartiers, de ses habitants et de ses cultures. Le mythique Red Light en fait partie. Nous avions commencé à le découvrir en interrogeant d’anciens résidants pour le projet Les Habitations Jeanne-Mance - 50 ans d’histoires et l’exposition Quartiers disparus. Grâce à l’exposition Scandale!, nous explorons cette fois l’intense culture populaire qui animait le centre-ville et sa rue Sainte-Catherine, jusqu’aux années 1960. Mais il y a plus. Ce qui nous permet aujourd’hui de connaître ce Montréal truculent, ce sont les efforts d’un groupe de citoyens, de professionnels et d’associations pour dénoncer auprès des médias et des autorités l’emprise de la pègre sur la vie nocturne, malgré la résistance de certaines élites et du monde interlope. C’est leur combat et la victoire des réformateurs, tels l’avocat Pax Plante et le maire Jean Drapeau, qui amorcera la phase de transformation radicale qui a modelé la ville actuelle.
Dans toute grande ville, certaines questions, certains enjeux ne se démodent pas et remontent périodiquement à la surface. Tout en plongeant dans cette époque fascinante, nous espérons que les visiteurs de l’exposition Scandale! ne manqueront pas d’interroger leur présent.