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On m’a demandé d’écrire sur ma grand-mère

08 février 2021

Dans le cadre d’un projet sur les liens familiaux et la place des aïeuls au sein de la communauté portugaise de Montréal, des petits-enfants racontent ce qui les unit à leurs grands-parents. Ici, le témoignage de Tania Carreira.

Dans le cadre de l’exposition Fil de tendresse, fio de ternura, Joaquina Pires est allée à la rencontre de grands-parents et de petits-enfants luso-montréalais, accompagnée de Fernando dos Santos, photographe, et de Francisco Peres, vidéaste. Plusieurs ont généreusement témoigné. Ici, découvrez les pensées que la grand-mère de Tania Carreira lui a inspirées en 2016.

Tania Carreira

Photo en noir et blanc montrant une grand-mère et sa petite-fille qui l’enlace en plan rapproché.
Photo : Fernando dos Santos. Collection privée.
On m’a demandé d’écrire sur ma grand-mère. Ou plutôt à ma grand-mère. Or, cela me pose un problème. Qu’ai-je à lui dire? Que m’a-t-elle apporté? En réalité, je ne suis pas sûre qu’elle m’ait apporté ce à quoi pensent naturellement les gens quand ils se représentent l’image d’une grand-mère. Alors, forcément, ils seront déçus de ne pas lire dans les prochaines lignes ce à quoi ils s’attendent. En fait, peut-être que c’est moi qui ai des préjugés sur ce que pensent les gens. Peut-être qu’en définitive, j’aurais aimé avoir cette grand-mère-là. Mais j’en ai eu une autre. Bref, commençons!

Je n’ai pas eu une grand-mère gâteau, aimante, accueillante, qui cuisinait de bons petits plats et me prenait contre sa poitrine en me serrant très fort. C’est un oursin que j’ai eu comme grand-mère. Un hérisson si vous préférez. Elle est, encore aujourd’hui, à 86 ans, pleine de pics, même si ceux-ci se sont un peu émoussés. Je me souviens d’une présence autoritaire, forte, constante et triste. Je me souviens d’elle morose, toujours à se plaindre et exigeante.

Ma grand-mère n’a jamais su comment prodiguer de l’affection et n’est pas plus habile à en recevoir. Je suppose qu’elle donne son amour à sa façon. C’est assez subtil en fait. Je dirais même que c’est peut-être un secret d’État bien gardé. Je soupçonne ma grand-mère d’être affectueuse quand personne ne la regarde! Comme si admettre qu’elle est en mesure de donner de l’amour la dévoilerait au grand jour! Elle qui a tant souffert.

Un seul choix, émigrer

Maria Victoria Pereira

Photo en noir et blanc montrant une grand-mère et tenant un livre en plan rapproché.
Photo : Fernando dos Santos. Collection privée.
Ce que je retiens le plus de ma grand-mère, c’est cette souffrance constante et cet abandon à la fatalité, comme si, en étant bien souffrant et bien pénitent, on gagnait mieux le ciel. Des comme elle, il y en a tout plein les vieux tiroirs. Elle vient de cette époque-là! De cette époque dure et incertaine où immigrer est le seul choix possible pour survivre mieux.

Aujourd’hui, entre ma grand-mère et moi, il y a quelque chose de beaucoup plus fort que la bonne soupe réconfortante ou les câlins affectueux. Il y a toute une histoire partagée parce que, forcément, je suis tributaire de son histoire à elle.

Il y a quelques années, j’ai immigré en Amérique centrale. Lorsque j’ai commencé à envisager mon départ, ma migration, je me suis rendu compte que j’allais accomplir ce que toutes les femmes de ma famille avaient fait dans leur vie. Partir. J’y ai vu un signe du destin. Je devais partir. Pas seulement parce que je le voulais, mais aussi parce que c’était déjà écrit.

C’est que, voyez-vous, nous ne sommes pas seulement la somme de nos expériences, nous sommes aussi le passé, le présent et le futur qui se cachent en nous. Je suis faite d’une étoffe tissée par le temps entre les doigts de ces femmes qui m’ont précédée. Je suis de cette terre pétrie de mille mains travailleuses. Je suis le legs que les vies de ma mère et de mes grand-mères ont laissé. Ces femmes courageuses sont en moi. Elles sont mon passé et mon présent, dans un mouvement cyclique du temps.

Par Tania Carreira (témoignage écrit en 2016)