Souvent oubliées des récits d’immigration et d’intégration, les femmes grecques contribuent depuis leur arrivée à Montréal au développement de leur communauté et de leur famille.
La première vague d’immigration grecque à Montréal remonte à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. En Grèce, l’occupation ottomane et une crise de l’économie rurale forcent des paysans à quitter leur terre et à abandonner leur maison. Plusieurs cherchent du travail au Canada et aux États-Unis et espèrent éventuellement retourner en Grèce. À Montréal, les premiers migrants sont principalement des hommes célibataires.
Les premières familles et entreprises grecques
Femmes grecques - Article journal
Si ces premiers immigrants arrivent pour la plupart seuls, plusieurs retournent séjourner en Grèce pour prendre épouse et reviennent par la suite à Montréal. Une autre pratique consiste à arranger des mariages grâce à des échanges de photographies. Ainsi, plusieurs hommes grecs se fiancent à des femmes qu’ils n’ont jamais rencontrées et dont ils sont séparés par plusieurs milliers de kilomètres. La plupart de ces femmes grecques qui arrivent au tournant du XXe siècle n’occupent en théorie aucun emploi : la coutume veut que seul le mari travaille. Laisser la femme travailler représente alors une sorte d’insulte à la masculinité des maris, car cela remet en question leur capacité à subvenir aux besoins de leur famille. La femme est ainsi souvent reléguée aux affaires domestiques et familiales. L’homme, lui, est davantage présent dans la sphère publique : à Montréal, les kafeino, ou cafés grecs, sont par exemple réservés aux hommes.
Ces normes sociales ne veulent toutefois pas dire que toutes les femmes grecques de l’époque ne travaillent pas. Plusieurs participent activement au développement des nombreuses nouvelles entreprises familiales grecques qui émergent au tournant du XXe siècle. Une brève incursion dans le recensement canadien de 1901 complique également le portrait. Une dénommée A. Abalistis est employée en 1901 comme domestique dans une famille grecque du quartier Saint-Laurent. Genrula Zewas, qui a 33 ans en 1901, occupe avec sa fille Kresola une maison dans le quartier Saint-Antoine. Sans qu’on sache exactement dans quelles circonstances ou pour combien de temps, des femmes grecques se retrouvent à Montréal sans mari, et doivent vraisemblablement subvenir elles-mêmes à leurs besoins.
Les ouvrières de la deuxième vague d’immigration
Femmes grecques - pâtisserie
Dans la période d’après-guerre, la place des femmes grecques au sein de l’immigration change. Le processus ne repose plus sur des hommes seuls qui s’établissent puis font venir leur famille. Les femmes grecques migrent désormais davantage comme travailleuses sous contrat et envoient de l’argent à leurs familles en Grèce. Entre 1950 et 1980, elles sont employées principalement comme ouvrières dans des manufactures de textile, comme femmes de chambre, domestiques, ou comme assistantes dans les hôpitaux. À l’époque, les travailleuses grecques côtoient souvent des Italiennes, Hongroises, Polonaises, Haïtiennes, aussi employées en grand nombre dans le domaine du textile. Souvent, la survie, plutôt que la qualité de l’emploi, est la priorité. La plupart occupent des emplois non-syndiqués associés à des conditions de travail peu attrayantes.
Évolution des dernières décennies du XXe siècle
À cette époque, certaines valeurs patriarcales en vigueur au début du siècle subsistent encore. Certaines femmes grecques — interviewées par Margarita Dounia de l’université McGill en 2004 — expliquent, par exemple, que les familles et les maris encourageaient souvent les femmes à ne pas trouver de travail pour plutôt s’occuper des enfants. Pourtant, les difficultés liées à l’immigration obligeaient fréquemment les femmes grecques à gagner de l’argent d’une manière ou d’une autre. Pour plusieurs des personnes interviewées, l’expérience montréalaise a changé la perception traditionnelle des genres au sein de plusieurs familles grecques.
Grecs - Femmes grecques
DOUNIA, Margarita. Your Roots will be Here, Away From Your Home: Migration of Greek Women to Montreal, 1950-1980, Mémoire (M.A.) (histoire), Université McGill, 2004, 125 p.
GAVAKI, Efrosino. « Greek Immigration to Quebec: The Process and the Settlement », Journal of the Hellenic Diaspora, vol. 17/1, 1991, p. 69-89.
GAVAKI, Efrosino. « Immigrant Women’s Portraits: The Socio-Economic Profile of the Greek Canadian Women », The Greek Review of Social Research, no 110, 2003, p. 55-75.
IOANNOU, Tina. La communauté grecque du Québec, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1983, 333 p.
KATMA, Fotini. The Role of the Greek Orthodox Church in the Greek Community of Montreal, Mémoire (M.A.) (sociologie et anthropologie), Université Concordia, 1985, 96 p.
LABELLE, Micheline, et al. « Immigrées et ouvrières : un univers de travail à recomposer », Cahiers de recherche sociologique, no 22,1984, p. 9-47.