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Les cimetières de la ville

19 janvier 2016

À partir du XIXe siècle, le mont Royal accueille les cimetières de Montréal, le sauvant ainsi de l’urbanisation. Ces lieux abritent aujourd’hui un riche patrimoine, tant funéraire que naturel.

Du premier cimetière, celui de la pointe à Callière, établi hors les murs de la première enceinte de Montréal et miraculeusement conservé malgré les diverses occupations du lieu, aux cimetières intra-muros, dont les plus connus furent celui situé immédiatement derrière la première église Notre-Dame et celui de la Poudrière, à l’angle des rues Saint-Pierre et Saint-Jacques, Montréal a compté de nombreux lieux de sépulture.

Cimetière Saint-Antoine

Exhumation des restes humains de l'ancien cimetière Saint-Antoine pour faire place au square Dominion.
Canadian Illustrated News, Montreal : Geo. E. Desbarats, 1869-1883, 27 mai 1871, vol. 3, no 21.
De la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe, cinq cimetières se trouvaient hors les murs. Pour les catholiques, il y a eu le cimetière Saint-Antoine (actuels square Dorchester et place du Canada); juste à côté les Juifs avaient le leur, à l’angle nord-ouest de la présente intersection des rues Peel et De La Gauchetière. Les protestants, pour leur part, en possédaient un à l’emplacement de l’actuel complexe Guy-Favreau, et ils disposaient aussi de deux autres cimetières côte à côte, l’un civil et l’autre militaire, à l’entrée du pont Jacques-Cartier où s’étend aujourd’hui le parc des Vétérans. Puis les cimetières ont finalement migré, au milieu du XIXe siècle, sur le mont Royal, où l’on en trouve quatre : le plus grand, le catholique, Notre-Dame-des-Neiges; le deuxième en importance, Mont-Royal, pour les protestants; et deux petits cimetières juifs près de l’entrée du cimetière Mont-Royal, sur le chemin de la Forêt à Outremont.

Le mont Royal préservé grâce aux cimetières

Il est maintenant reconnu par l’ensemble des personnes intéressées par la thématique des « cimetières dans la ville » que les cimetières ont littéralement sauvé le mont Royal de l’envahissement urbain. Heureusement pour nous, à l’époque où ils furent aménagés, le concept des cimetières-jardins était en vogue, et les administrateurs d’alors purent s’inspirer des plus beaux modèles développés aux États-Unis dans les années 1830 avec, entre autres, le cimetière Mount Auburn à Boston.

Cimetières - Mausolée de Darcy McGee

Mausolée du cimetière Notre-Dame-des-Neiges de Thomas D’Arcy McGee, l’un des pères de la confédération.
1927, Mausolée de Darcy McGee, cimetière Notre-Dame-des-Neiges, Montréal, QC, 1927, Musée McCord, VIEW-24167.
L’intérêt pour les cimetières que nous connaissons aujourd’hui a beaucoup évolué à travers le temps. Les cimetières situés sur la montagne se sont avérés à l’origine très populaires parce qu’ils constituaient en fait nos premiers parcs urbains. Avant l’aménagement du parc du Mont-Royal, en 1876, nos cimetières se voulaient le rendez-vous dominical d’une partie importante de la population. C’est pourquoi on y trouve des monuments d’une si grande beauté. En fait, les familles rivalisaient entre elles pour élever le plus beau monument. Les cimetières étant très fréquentés, il s’avérait important pour elles d’être vues et d’afficher leur statut social dans ces lieux. Que l’on pense au mausolée de la famille Molson dans le cimetière Mont-Royal ou au monument aux Patriotes dans le cimetière Notre-Dame-des-Neiges, des ressources importantes étaient consacrées à la commémoration des morts. Et certaines familles, dont des membres illustres se trouvaient inhumés dans d’autres cimetières de la province, n’hésitaient pas, malgré cela, à y faire ériger des monuments.

Prise de conscience patrimoniale

Cimetières - Cimetière Mont-Royal, vers 1890

Photographie de l'entrée du cimetière Mont-Royal vers 1890.
Vers 1890, Entrée du cimetière Mont-Royal : [ca 1890] / Leclerc. - Reproduction le 13 janvier 1969, Archives de la Ville de Montréal, VM094-Y-1-17-D1704.
Si l’intérêt pour les cimetières et la commémoration des défunts s’est quelque peu amoindri autour des années 1940 (les spécialistes de l’art funéraire situent l’âge d’or de la commémoration funéraire entre 1880 et 1930), c’est à partir du début des années 1990 qu’un regain d’intérêt est apparu, avec notamment les consultations publiques sur l’avenir du mont Royal qui avaient alors été organisées par le Rassemblement des citoyens et des citoyennes de Montréal (RCM). Ces consultations ont fait réaliser l’importance des enjeux entourant la question des cimetières situés sur le mont Royal, lesquels représentent près de 50 % du noyau vert de la montagne. À l’époque, MM. Alain Tremblay et Jean Lachapelle, deux citoyens montréalais, s’étaient associés pour présenter des mémoires lors de ces consultations publiques et avaient mené une importante réflexion sur la problématique du développement de l’industrie funéraire sur le sommet nord de la montagne. Puis ils se sont unis pour fonder un organisme qui aurait pour objectif de protéger le riche patrimoine, tant funéraire que naturel, des cimetières du mont Royal.

La principale caractéristique des cimetières-jardins réside dans la question de densité, soit un équilibre entre le minéral (les monuments funéraires) et le végétal (la nature environnante). Si le nombre de monuments (il y en a actuellement plus de 100 000 sur la montagne) continue à croître, les cimetières-jardins risquent de perdre cette caractéristique qui les rend si intéressants aujourd’hui. C’est, entre autres choses, dans le but de leur conserver cette particularité qu’est né, en 1991, l’Écomusée de l’Au-Delà, un organisme à but non lucratif qui s’est donné comme mission de préserver et de faire connaître le patrimoine funéraire au Québec. L’Écomusée de l’Au-Delà s’est surtout fait remarquer par son opposition à la construction de mausolées dans le cimetière Notre-Dame-des-Neiges; selon l’organisme, ces bâtiments, où sont conservés des milliers de corps, ne répondent pas à des critères de développement durable et sont incompatibles avec le concept de cimetière-jardin. De son côté, la direction du cimetière Notre-Dame-des-Neiges fait valoir que les mausolées permettent d’économiser de l’espace et procurent des revenus nécessaires à l’entretien du cimetière.

Nouveau regard porté sur les cimetières

Dernièrement, la Commission des biens culturels du Québec a publié plusieurs excellents documents concernant les cimetières, dont un portant sur la typologie des cimetières judéo-chrétiens qui démontrait que les cimetières urbains sont inexorablement destinés à devenir des parcs ou des musées, à cause de leur situation. Dans cette perspective, le concept d’écomusée devient très intéressant, dans le sens qu’un écomusée, contrairement au musée traditionnel, s’intéresse à un territoire et à la population concernée par ce territoire.

L’Écomusée de l’Au-Delà, quant à lui, s’intéresse à un territoire physique, soit le cimetière et ses monuments, qui deviennent un peu la collection de l’écomusée, et à un territoire thématique, à savoir la mort et l’au-delà. En fait, l’ensemble des symboles que l’on trouve dans les cimetières et sur les monuments correspondent à des valeurs, à des croyances religieuses et à des représentations de l’au-delà. Il est essentiel de discerner cette dernière dimension pour bien comprendre les cimetières.

Cet article est paru dans le numéro 46 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008. Il avait été écrit avec la collaboration de l’Écomusée de l’Au-Delà.

Références bibliographiques

BISSON, Pierre-Richard, et Daniel DROUIN. L’histoire du cimetière Notre-Dame-des-Neiges en images et en mots, Montréal, Henri Rivard Éditeur, 2004, 192 p.

YOUNG, Brian. Une mort très digne. L’histoire du cimetière Mont-Royal, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2003, 288 p.