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Les aides familiales philippines à Montréal

02 juin 2017
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Souvent séparées de leurs proches et de leurs enfants, des milliers de femmes philippines travaillent chaque année comme aides familiales à Montréal afin de soutenir financièrement leur famille.

La première vague d’immigration philippine, qui débute à la fin des années 1960, amène à Montréal un grand nombre d’infirmières. Concentrées dans le quartier Côte-des-Neiges, elles choisissent peut-être le secteur en raison de la proximité de trois hôpitaux. Entre 1970 et 1974, on observe une deuxième vague d’immigration, au cours de laquelle de nombreuses familles sont réunifiées. Enfin, les aides familiales philippines sont emblématiques de la troisième vague, amorcée à la fin des années 1970. Ce sont principalement des femmes de la classe moyenne, de jeunes professionnelles, souvent mariées et parfois mères. Certaines laissent donc derrière elles leurs familles, en attendant d’avoir amassé suffisamment d’argent et d’expérience pour leur permettre de venir les rejoindre.

La présence à Montréal de ces femmes, employées par des familles pour réaliser toutes sortes de tâches domestiques, ne passe pas inaperçue. « Il faut se promener à Westmount pour voir les nannies philippines marcher côte à côte derrière des poussettes », remarque par exemple la journaliste Laura-Julie Perreault dans un article de La Presse. En 2007, elles étaient plus de 3000 au Québec, dont la plupart à Montréal, à faire partie du Programme des Aides Familiaux Résidants (PAFR). Depuis son instauration en 1992, le PAFR permet aux immigrants d’obtenir un permis de travail temporaire. Après 24 mois de travail comme aide familiale, ces femmes d’origine philippine peuvent demander pour elles et pour leur famille la résidence permanente. Ainsi, devenir une aide familiale au Canada constitue une porte d’entrée intéressante pour les nombreuses familles philippines qui cherchent un avenir meilleur à l’extérieur de leur pays.

Quitter les Philippines

Selon le Philippine Statistics Authority, environ 1,2 million de Philippines travaillaient à l’étranger en 2015. Parmi tous les pays du monde, ce sont les Philippines qui exportent le plus de main-d’œuvre féminine. Si bien que le travail de ces femmes à l’extérieur des frontières est devenu une facette à la fois de l’économie et de la culture nationales. De plus, les travailleuses à l’étranger sont souvent glorifiées aux Philippines : ce sont de véritables héroïnes, prêtes à s’engager dans une entreprise risquée pour le bien de leur famille et de leur pays.

Pourquoi tant de femmes quittent-elles leur pays et leur famille pour travailler? Pour certaines, la précarité économique, la corruption et la criminalité aux Philippines expliquent ce choix. Malgré leurs diplômes universitaires, les femmes peinent souvent à trouver un emploi, par manque de contacts. Également, les femmes mariées, plus âgées ou avec des enfants, sont parfois victimes de discrimination dans le monde du travail. Ainsi, un emploi à l’extérieur permet de mieux subvenir aux besoins de la famille. Pour d’autres, quitter les Philippines est un acte de libération, de résistance aux contrôles culturels et familiaux. Partir ailleurs représente ainsi une sorte d’aventure pour ces jeunes femmes qui rêvent d’autonomie et d’indépendance financière.

Montréal, entre rêves et réalités

Philippines - VFPH Wyndel Domondon

Un élève et son trésor de famille, une statuette d'un buffle, emblème des Philippines
Centre d'histoire de Montréal
Le Canada représente un rêve qu’entretiennent beaucoup de Philippins. L’image idéalisée de la vie en Amérique du Nord est un stéréotype répandu. « Some sell their house just to come here » (« Certains vendent leurs maisons uniquement pour venir ici »), note Lucia, l’une des femmes interviewées par la chercheuse Geneviève McClure. Le vécu des aides familiales a intéressé plusieurs chercheurs universitaires qui sont allés à leur rencontre. Leurs témoignages mettent en lumière les sacrifices, les attentes et les espoirs associés à leur aventure. Malgré l’image idéalisée de l’Amérique du Nord, stéréotype répandu aux Philippines, les réalités auxquelles sont confrontées les aides familiales à Montréal sont souvent beaucoup moins reluisantes. Être aide familiale permet tout juste à ces femmes de joindre les deux bouts. Par surcroît, une journée de travail peut durer jusqu’à 15 heures dans certains cas. Souvent, les aides familiales entreprennent des tâches qui sont hors de leur contrat, sans être payées par leurs employeurs. Difficile également de dénoncer les abus, car changer d’employeur signifie demeurer sans salaire pendant la recherche d’emploi.

Pour la majorité des femmes interviewées, l’aide financière apportée à la famille compense pour les longues heures de travail et les injustices du système. Isabelle a 28 ans à son arrivée à Montréal en 2008. Elle compte amasser de l’argent afin de faire soigner ses parents, très malades, au Canada. En attendant, chaque année, elle envoie des milliers de dollars pour s’assurer de leur bien-être aux Philippines, et pour soutenir financièrement ses sœurs et ses frères. Monica, quant à elle, vit avec quatre autres travailleuses domestiques dans Côte-des-Neiges. Avec son salaire, elle projette de payer les études d’ingénieur de ses sœurs et d’aider ses parents à la retraite. Anna, qui vit avec elle, a réussi à acheter un jeepney — sorte de taxi collectif très populaire aux Philippines — à son mari pour qu’il puisse subvenir aux besoins des enfants restés dans son pays natal, en attendant qu’elle puisse les faire venir tous à Montréal. Aline travaillait comme employée pour la Ville de Manille, capitale des Philippines, mais trouvait son salaire trop peu élevé pour les tâches qu’elle effectuait. Elle a décidé en 2000 de partir pour l’Europe, puis a rejoint ses parents à Montréal en 2009. Elle y travaille comme aide familiale. Son objectif est de faire venir au pays son conjoint et sa fille.

De complexes retrouvailles

Lorsque le moment de réunir la famille est venu, les retrouvailles sont souvent complexes. Tina a grandi aux Philippines sans sa mère, qui travaille à Montréal comme aide familiale. Élevée par sa grand-mère et ses tantes, elle arrive dans la métropole à 13 ans. Ainsi, Tina et ses trois sœurs vont vivre chez leur mère qu’elles connaissent à peine; cette dernière doit soudainement s’adapter à la présence de quatre enfants dans sa demeure. Pour Jianna, arrivée à Montréal en 2003, la situation est similaire. Son père, sa grande sœur et ses deux grands frères emménagent avec sa mère après des années de séparation.

En 2011, près de 20 000 Philippins habitaient Montréal. La majorité se concentre dans le quartier Côte-des-Neiges, où sont situés plusieurs restaurants, boulangeries, associations et centres communautaires philippins. Ces organisations, essentielles pour les aides familiales nouvellement arrivées, témoignent de la présence de plus en plus marquée des Philippins dans la métropole.

Découvrez les récits d'élèves de classes d'accueil de niveau secondaire originaires des Philippines qui ont participé au programme éducatif Vous faites partie de l'histoire! du Centre d'histoire depuis 2012.

Les échecs, par Ian Vasquez

Philippines - Ian Vasquez

Élève de niveau secondaire présentant un jeu d'échecs, son trésor de famille
Centre d'histoire de Montréal

Ian a participé au programme éducatif Vous faites partie de l'histoire! avec sa classe d'accueil de niveau secondaire à l'école La Voie.

Allô! Je m’appelle Ian Vasquez. Je suis né il y a 16 ans dans un pays très beau et calme. Je viens des Philippines. Je suis fier d’être Pilipino. La vie aux Philippines était très difficile pour mes parents. Ils devaient payer les frais de scolarité et la vie coutait très cher. Nous étions nombreux dans notre maison et il fallait nourrir tout le monde. J’habitais avec mes parents, mes quatre frères et sœurs, ma tante et mes grands-parents aux Philippines. Alors, ma mère est venue au Canada pour chercher du travail. C’était facile d’en trouver. Avant d’arriver ici, elle a travaillé à Hong Kong et elle a ensuite déménagé au Canada pour nous rendre la vie plus facile. Elle est partie des Philippines quand j’avais cinq ans.

Ma mère travaillait très loin de notre maison, et mon père aussi. Ils étaient très occupés par leur travail. Donc, ce sont mes grands-parents qui se sont occupés de moi. Mon père revenait à la maison toutes les fins de semaine et partait le dimanche soir. Ma mère n’est pas revenue aux Philippines pendant neuf ans. C’est pourquoi, la connexion entre mes parents et moi était confuse, et je suis toujours timide quand on se parle parce que je ne les connais pas beaucoup.

Mon dernier jour aux Philippines, avant de venir au Canada, était tellement triste. Je ne voulais pas quitter mes amis, mes grands-parents et l’autre partie de ma famille. Spécialement mon père, je l’ai attrapé et je l’ai embrassé. Je ne pouvais pas arrêter de pleurer. C’était un cri de bonheur avec de la tristesse. C’est le meilleur sentiment que j’ai ressenti dans ma vie. Car, c’était mon premier câlin à mon père parce qu’il était toujours à son travail. Je ne le voyais qu’un jour ou deux par semaine. Le reste du temps, il était au travail. Je sentais que je ne voulais pas le laisser et être loin de lui. Mon père me manque tellement. Il est resté aux Philippines avec ma tante et ma grand-mère. Mes deux sœurs, mes deux frères et moi sommes venus au Canada seulement avec ma mère. Mes parents sont maintenant divorcés.

Donc, je vais vous parler d’une chose que j’ai amenée ici, c’est un jeu d’échecs. J’ai été inspiré quand je voyais mon père jouer avec mes frères. Il était très bon, il gagnait toujours. Il m’a enseigné comment jouer aux échecs afin de le combattre lui et mes frères. Quand j’étais petit, c’était ma seule façon de lui parler et d’être avec lui. J’étais trop timide et c’était très compliqué. Quand mon père et moi jouions aux échecs, on n’arrivait pas à se parler de nos vies. Mais je sentais son amour et je savais qu’il pouvait nous protéger comme un roi. Ce jeu d’échecs est mon trésor de famille parce que c’est l’objet qui me rappelle les plus beaux souvenirs avec mon père. Maintenant, je peux donner un coup de pied à ses fesses et gagner quand on joue ensemble. Mais je blague! Maintenant, je communique avec mon père par Internet.

Références bibliographiques

BALS, Myriam. Les domestiques étrangères au Canada : esclaves de l’espoir, Montréal, L’Harmattan, 1999, 240 p.

CORRIGAN, Jim. Filipino Immigration, Philadelphie, Mason Crest Publishers, 2003.

McCLURE, Geneviève. Les récits d’expérience de femmes des Philippines aides familiales à Montréal à la rencontre des narratifs sociaux construits à leur sujet, mémoire de maîtrise (travail social), Montréal, Université du Québec à Montréal, 2012, 121 p.

PERREAULT, Laura-Julie. « Une île Philippines dans Côte-des-Neiges », [En ligne], La Presse, 18 avril 2010.
http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201004/18/01-4271632-une-ile-...

PHILIPPINE STATISTICS AUTHORITY. « Distribution of Overseas Contract Workers by Sex and Region », [En ligne], 2015.
https://psa.gov.ph/sites/default/files/attachments/hsd/article/TABLE%202...

PINEDA, Stephanie June. ‘Doing it for the Family’: Educational Experiences of First-Generation Female Filipino Teens in Public Schools in Montreal, mémoire de maîtrise (éducation), Montréal, Université McGill, 2010, 133 p.

VILLE DE MONTRÉAL. DIVISION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET INSTITUTIONNELLES. « Portraits démographiques : Coup d’œil sur les immigrants nés aux Philippines », [En ligne], 2010.
http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/mtl_stats_fr/media/docu...