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L’école et la communauté juive

02 juin 2017

Au début du XXe siècle, peu de choix d’écoles s’offrent aux milliers d’enfants juifs qui arrivent à Montréal.

École et communauté juive

Une professeure enseigne aux élèves de l’école Folk Shule, ou École juive populaire, alors située sur la rue Van Horne.
Archives de la Bibliothèque publique juive. pr017815.
Au Québec, dès la fin du XIXe siècle, la responsabilité de l’éducation des enfants est confiée aux Églises catholique et protestante avec la création de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) et de la Protestant Board School Commissioners of the City of Montreal (PBSCCM). Le système d’éducation québécois est alors conçu pour deux groupes confessionnels chrétiens.

À Montréal, au début du XXe siècle, la communauté juive gagne rapidement en importance. Elle passe de quelques milliers d’âmes en 1900, à 60 000 personnes en 1931. Au sein d’un système d’éducation confessionnel, l’instruction des enfants des familles juives est un problème grandissant. En l’absence d’une école publique et laïque propice à l’intégration des immigrants, la communauté juive doit aménager son propre espace scolaire.

Entre uptowners, downtowners et commissaires

Issue de l’Institut du même nom, l’école Baron de Hirsch (1890), première école privée juive, est le fruit d’une initiative de la partie bourgeoise de la communauté juive de la métropole. Les uptowners sont issus d’une immigration qui commence au XVIIIe siècle. Ils sont majoritairement d’origine britannique et se fondent dans l’élite anglophone. Avec cette école, ils souhaitent favoriser l’intégration des nouveaux arrivants juifs au système canadien. Grâce à une loi québécoise votée en 1903, les enfants peuvent fréquenter l’école Baron de Hirsch durant cinq ans avant d’intégrer le réseau scolaire protestant. Les juifs sont alors légalement considérés comme des protestants et leurs taxes scolaires vont à la PBSCCM. L’école ferme toutefois en 1907.

La volonté d’intégrer les élèves juifs au réseau existant demeure malgré tout présente, notamment au sein du Congrès juif canadien. Jusque dans les années 1970, l’élite juive fait toutefois face à l’intransigeance des commissions scolaires. La CECM, sauf en de rares exceptions, refuse d’intégrer les élèves non catholiques à ses écoles. Pour sa part, la PBSCCM accepte les familles juives, mais s’oppose à les intégrer dans l’administration de la commission scolaire. Introduire des gens d’une autre confession dans l’espace décisionnel serait, pour la PBSCCM, un pas vers la déconfessionnalisation du système d’éducation québécois et un risque pour sa survie.

École et communauté juive

Rencontre de la Commission Spéciale d’Éducation du Québec.
Archives juives canadiennes. PC1-6-551.
Les downtowners juifs ont une position différente face à l’école. Ces derniers sont issus de l’importante vague d’immigrants d’Europe de l’Est du début du XXe siècle. Sans le sou, ils s’installent aux abords de la rue Saint-Laurent, où ils forment un nouveau ghetto d’immigrants pauvres à Montréal. Imprégnés des idéaux révolutionnaires européens, ils portent une culture commune, notamment grâce à leur langue, le yiddish. Culturellement et socialement loin des uptowners, ils fondent leurs propres écoles privées. On y offre un enseignement laïque de la culture et de l’histoire juive ainsi que des valeurs révolutionnaires de gauche. Pour les fondateurs de ces écoles, la préservation de la culture yiddish est essentielle. Loin d’évoluer en vase clos, les dirigeants de ces écoles font pression sur le gouvernement pour être intégrés au système public confessionnel par la création d’une commission scolaire juive. L’opposition des uptowners court-circuite le projet. Pour eux, une commission scolaire juive provoquerait la marginalisation et la ghettoïsation des juifs montréalais.

Quand l’État s’en mêle…

École et communauté juive

Groupe d’élèves et de professeurs devant l’école Folk Shule.
Archives de la Bibliothèque publique juive. pr017900.
Avec l’étatisation du système d’éducation en 1964, l’État devient un acteur décisif au cœur de ce conflit presque centenaire. En 1968, le gouvernement, en plein débat linguistique, profite du contentieux scolaire pour implanter une première mesure de francisation. Par la loi 56, les écoles privées sont déclarées d’intérêt public et se voient accorder un financement à 80 %. En contrepartie, ces écoles doivent s’engager à enseigner un nombre d’heures minimales de français. Par ailleurs, en 1973, la lutte pour la représentativité au sein de l’administration des commissions scolaires se termine avec l’introduction de l’élection des commissaires par suffrage universel.

Pour les promoteurs de l’école juive, il s’agit d’une demi-victoire. Ils obtiennent un financement moindre que celui des écoles catholiques et protestantes; sont toujours exclus du réseau d’éducation public; et doivent adapter leur enseignement aux nouvelles exigences gouvernementales. Au tournant des années 2000, moment où le réseau d’éducation québécois est officiellement déconfessionnalisé, 60 % des enfants juifs d’âge scolaire fréquentent une école privée.

La première école yiddish de Montréal

École et communauté juive - école Peretz

Groupe d’élèves devant l’école Peretz.
Archives de la Bibliothèque publique juive. pr010343.

L’école Peretz est officiellement fondée en 1913 par des juifs downtowners aux idées révolutionnaires. À l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de l’école, Hershil Novak, l’un des fondateurs, témoigne des premiers instants : « […], l’école offrit ses premières classes au Prince Arthur Hall, alors que la construction de l’édifice n’était pas encore terminée. Le syndicat des presseurs, […], promit de nous donner accès à une salle le jour du sabbat et le lundi. […] Nous avons déniché un tableau noir quelque part dans un sous-sol, mais il nous manquait des bancs pour écoliers. Les premières semaines, nous avons œuvré au milieu du bruit et des cris. Qui plus est, deux camarades devaient tenir le tableau noir à bout de bras. Voilà comment nous avons commencé à transmettre notre savoir aux enfants. »

NOVAK, Hershl, La première école yiddish de Montréal. Traduction et présentation par Pierre Anctil, Québec, Septentrion, 2009, p.81.

Références bibliographiques

ANCTIL, Pierre. « Les Juifs yiddishophones. Un siècle de vie yiddish à Montréal », dans BERTHIAUME, Guy, et autres, Histoires d’immigrations au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 61-76.

CROTEAU, Jean-Philippe. « La communauté juive et l’éducation à Montréal : l’aménagement d’un nouvel espace scolaire (1874-1973) », dans ANCTIL, Pierre, et Ira ROBINSON, dir., Les communautés juives de Montréal. Histoire et enjeux contemporains, Québec, Septentrion, 2010, p. 65-91.

LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération, 2e édition, Montréal, Boréal, 2000, 627 pages.

MEDRESH, Israël. Le Montréal juif d’autrefois, Québec, Septentrion, 1997, p. 201-206.

NOVAK, Hershl, La première école yiddish de Montréal, Québec, Septentrion, 2009, 262 pages.