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Le Collectif des femmes immigrantes du Québec

07 mars 2019

Fondé en 1983, le Collectif des femmes immigrantes du Québec porte les revendications des immigrantes et facilite leur intégration à la société québécoise et au marché du travail.

Le Collectif des femmes immigrantes du Québec

Le Collectif des femmes immigrantes du Québec

Réalisation : 
Antonio Pierre de Almeida

Au début des années 1980, des intervenantes œuvrant auprès des nouveaux arrivants constatent qu’il n’existe aucun organisme fédérateur de défense des droits des immigrantes. En 1983, le Collectif des femmes immigrantes, fondé par 75 intervenantes d’organismes communautaires, voit le jour. À la tête de cette structure depuis les débuts, Aoura Bizzarri compte parmi les fondatrices.

Le soleil d’Aoura

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Aura Bizzarri et une autre femme assise, souriant.
Collectif des femmes immigrantes du Québec

Rencontrée dans ses bureaux de la rue Boyer, madame Bizzarri raconte ses souvenirs. Tout commence lors d’une formation pour intervenantes donnée au YMCA. Des femmes issues de différentes communautés œuvrant auprès des immigrants envisagent la création d’un organisme fédérateur : « Ce qui a déclenché cette réflexion […] c’est qu’à un moment l’histoire du sida est sortie. » Montréal est alors secouée par une crise de racisme touchant particulièrement la communauté haïtienne alors pointée du doigt comme possible responsable de la propagation du virus encore méconnu. Madame Bizzarri propose la création d’un nouvel organe de solidarité : « On devait être solidaires, le lendemain une autre communauté pouvait être visée par une autre affaire. » Pour illustrer le projet à ses collègues, elle dessine un cercle avec des rayons symbolisant chacun des organismes pour immigrantes (italiennes, portugaises, grecques, etc.) existants, le cercle représentant la nouvelle entité où toutes seraient rassemblées. « Donc, au début on a appelé l’organisme “le soleil d’Aoura”. »

Les objectifs du Collectif sont de resserrer les liens de solidarité entre les femmes immigrantes, d’améliorer leurs conditions de vie et de sensibiliser la société québécoise à leur vécu. L’organisme offre des formations et des ressources aux intervenantes, propose des activités pour ses membres et porte différentes revendications pour améliorer la situation des femmes issues de l’immigration. La naissance du Collectif s’inscrit à la fois dans l’essor du mouvement communautaire à Montréal ainsi que dans un courant du mouvement féministe des années 1980. On peut rapprocher le Collectif d’une tendance décrite par Denise Baillargeon comme « un “féminisme de service” qui complète l’action de l’État ou s’y substitue ».

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Plus de vingt femmes assises dans une salle de classe.
Collectif des femmes immigrantes du Québec

Le Collectif s’installe d’abord sur la rue Christophe-Colomb, dans un bâtiment qui abrite plusieurs organismes communautaires, dont la Maisonnée, le premier centre pluriethnique d’accueil des immigrants à Montréal. Quelques années plus tard, il acquiert une maison sur la rue Boyer, occupant d’abord le premier étage, puis tout l’immeuble. En 2013, le Collectif ouvre un deuxième bureau près du métro Saint-Michel.

Un organisme de revendication dans les années 1980 et 1990

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Un groupe de femmes marche à l'extérieur dans un parc
Collectif des femmes immigrantes du Québec

Au courant des années 1980, l’organisme se démarque par ses revendications et son travail de représentation pour défendre la cause des immigrantes. Un immense travail doit être accompli pour faire reconnaître les besoins particuliers de ces femmes. En 1985, il obtient un siège pour les immigrantes à la Conférence sur la sécurité économique des Québécoises, intitulée Décisions 85. Lors de ce forum, des groupes de femmes, des intervenants des milieux socio-économiques ainsi que des membres du gouvernement se rencontrent pour trouver des solutions à l’insécurité économique vécue par les femmes. Pour la première fois, on reconnaît que les immigrantes ont des besoins particuliers. La principale revendication du Collectif est alors l’accès aux cours de français. « C’est à partir de 1985 qu’on a commencé à être sollicitées, parce qu’avant c’était quelqu’un du ministère, qui n’était pas immigrant, qui disait de quoi on avait besoin. C’était une nutritionniste, figurez-vous, la pauvre! », se rappelle Aoura Bizzarri. À la suite de sa participation à Décisions 85, le Collectif commence à porter ses propres revendications, à participer à différents comités, à des émissions de télévision et de radios, dont toute une série de capsules traduites en sept langues, diffusées à Radio Centre-Ville.

Le 8 mars 2000, l’organisme participe à la Marche mondiale des femmes, qui vise à dénoncer la pauvreté et la violence faite aux femmes, et à renforcer les solidarités nord-sud. Initié par la Fédération des femmes du Québec, ce mouvement rassemble 30 000 femmes qui marchent à Montréal alors que plusieurs centaines de milliers d’autres femmes marchent à travers le monde. À la fin de l’événement, le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, reçoit les manifestantes québécoises pour écouter leurs demandes. Une des revendications du Collectif est entendue : la durée des situations de parrainage pour les couples mariés est réduite de 10 à 3 ans. Pour les femmes victimes de violence conjugale, il s’agit d’un gain énorme selon Aoura Bizzarri : « En termes de dépense du gouvernement, c’était une miette, mais pour les femmes qui ont eu des problèmes, ça durait 3 ans et non 10. [...] C’est la seule de nos revendications qui a été satisfaite, et c’est parce qu’on faisait partie de ce mouvement qui a créé la Marche mondiale. »

« Remplir les frigidaires »

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Aura Bizzarri, Madeleine Parent et une autre femme debout.
Collectif des femmes immigrantes du Québec
Peu à peu, dans les années 1990, le rôle du Collectif évolue. L’intégration économique des immigrantes, par l’employabilité, devient au centre de ses préoccupations. Aoura Bizzarri précise : « On a trouvé que c’était bien beau de les informer mais, à un moment, si ton frigo n’est pas rempli... Ce sont des femmes qui étaient en survie économique. [...] Quand ton frigidaire n’est pas rempli, l’intégration sociale [...] ce n’est pas ta priorité. Tu es inquiet. Tu es en survie économique. » Pendant ces années, le Collectif travaille de plus en plus à améliorer la situation économique des immigrantes en les aidant à trouver un emploi. Bien que plus diplômées que la moyenne des femmes nées au Québec, les immigrantes sont plus nombreuses en situation de chômage ou travaillent plus souvent dans des secteurs moins payés.

Le Collectif se met à accueillir aussi des hommes. Madame Bizzarri explique pourquoi : « Quand on a commencé à parler d’emploi, la femme arrivait avec parfois un fils, parfois un mari. C’était un organisme féministe, c’était déclaré. [...] Mais le féminisme des femmes immigrantes à l’époque, et peut-être même aujourd’hui, n’était pas encore affirmé [...]. Mais si tu traites de l’emploi, tu ouvres à tout le monde. On a commencé à faire, dans les années 1990, un peu de préemployabilité, et cette activité était ouverte aux femmes et aux hommes, toujours immigrants. » Le Centre des femmes continue pour sa part à accueillir uniquement les femmes et à les accompagner dans leur nouvelle vie.

Le Collectif en 2018

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Cinq femmes assises et cinq femmes debout derrière. En arrière-plan, des arbres.
Collectif des femmes immigrantes du Québec
L’action du Collectif en 2018 se divise en trois parties, le Centre des femmes, les activités d’intégration et l’employabilité. Le Centre des femmes accueille toutes les femmes, sans égard au statut ou au nombre d’années de résidence au pays. Aoura Bizzarri se souvient : « Tu es une femme, tu viens. On a même de temps en temps, une ou deux Québécoises. On a eu une autochtone qui est venue pour un moment. » La majorité des femmes qui fréquentent le Centre sont toutefois issues de l’immigration.

Interrogée sur les défis des femmes issues de l’immigration en 2018 et sur l’évolution des problématiques vécues par ces personnes entre le moment de la fondation du Collectif et aujourd’hui, Aoura Bizzarri réfléchit, puis affirme : « Les problèmes sont les mêmes. Il y a peut-être plus d’organismes maintenant qu’il y a 30 ans pour les soutenir. Le ministère de l’Immigration a aussi mis en place des programmes qui facilitent l’intégration. Il reste toutefois beaucoup de travail. »

Références bibliographiques

BAILLARGEON, Denise. Brève histoire des femmes au Québec,Montréal, Boréal, 2012, 281 p.

COLLECTIF DES FEMMES IMMIGRANTES. Être immigrante au Québec, des femmes s’organisent, Montréal, Collectif des femmes immigrantes, 1985.

COLLECTIF DES FEMMES IMMIGRANTES. Femmes immigrantes. L’enjeu des années 1990, Montréal, Collectif des femmes immigrantes, 1990.

COLLECTIF DES FEMMES IMMIGRANTES. À la recherche de l’équité raciale, Montréal, Collectif des femmes immigrantes, 1991.

COLLECTIF DES FEMMES IMMIGRANTES. Où sont les emplois de demain?, Montréal, Collectif des femmes immigrantes, 1993.

COLLECTIF DES FEMMES IMMIGRANTES. Je ne suis pas raciste, mais... Cahier de réflexion et de sensibilisation sur les relations interculturelles, Montréal, Collectif des femmes immigrantes, 1994.

DE KONINCK, Maria, et autres. « Interventions féministes : parcours et perspectives », La recherche sociale et le renouvellement des pratiques, Vol. 7, no 2, automne 1994.

NORMANDIN, Amélie. Associations de femmes immigrantes à Montréal : participer, appartenir, être reconnues : une voie d’intégration symbolique à la société locale, Mémoire (M.A.), Université de Montréal, 2010, 146 p.
https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/4433