L'encyclopédie est le site du MEM - Centre des mémoires montréalaises

Expo 67. La Nuit des Îles

25 mai 2017

Grand dossier

Temps de lecture

La construction du site de l’Exposition en moins d’un an relevait de l’impossible. Une fastueuse cérémonie célèbre cet accomplissement et annonce au monde que l’Exposition sera prête à temps.

Expo 67 (VM94-EX34A-120)

Cinq hommes signent un bail.
Archive de la Ville de Montréal. VM94-EX34A-120.
La période de construction du site de l’Exposition universelle a été pénible, tout autant pour le maire Jean Drapeau que pour les autres acteurs de ce chantier. À plusieurs reprises, l’existence même de l’Expo a été remise en question, et on est passé très près de tout abandonner. Mais l’enthousiasme et la détermination de Jean Drapeau étaient contagieux, et un petit noyau d’individus a réalisé l’impossible : doubler la superficie de l’île Sainte-Hélène et construire une toute nouvelle île à partir des bas-fonds du Saint-Laurent, et ce, en moins d’un an. Le maire admit lui-même que « c’[était] parce qu’il y a[vait] des difficultés que cela [devenait] passionnant, fascinant ».

Il fallait maintenant annoncer au monde que le site était disponible et que l’Exposition serait prête pour son ouverture en avril 1967. Pour ce faire, le maire Drapeau planifia, avec l’aide de son complice, Pierre Dupuy, le commissaire général de l’Expo, ainsi que celle des multiples services de la Ville de Montréal, une cérémonie digne des plus grandes célébrations liturgiques de l’époque : la Nuit des Îles. Pour en signifier l’importance, la majorité des membres du Bureau International des Expositions, en tournée exceptionnelle au Canada, furent présents à cette cérémonie.

Expo 67 (VM94-EX34A-156)

Pierre Dupuis, Robert Shaw et les autres membres du bureau de direction de la Compagnie de l’Exposition débarque à l’île Sainte-Hélène, venant du port de Montréal.
Archive de la Ville de Montréal. VM94-EX34A-156.
L’entente tripartite, signée en décembre 1963, avait donné naissance à la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967, la société de la Couronne chargée d’aménager et de gérer l’Expo 67. Selon cette entente et comme cela était stipulé dans la Loi créant la Compagnie, la Ville de Montréal s’était engagée à livrer à la Compagnie, « au plus tard le 30 juin 1964, la totalité du terrain choisi pour l’emplacement et [à] prendre les autres dispositions ou mesures qu’exige[aient] le déblaiement des terrains et leur mise en un état convenable pour la tenue de l’Exposition ».

Aménagement du site partiellement achevé

En réalité, on ne remettait pas à la Compagnie canadienne de l’Exposition la totalité du site ce soir-là. L’achèvement du remblayage, sous la responsabilité de la Ville, de certains secteurs de l’île Ronde ainsi que de l’île Notre-Dame prendrait encore quatre mois. De plus, le secteur de la jetée Mackay (future Cité du Havre) et celui du stationnement Victoria, terrains sous la responsabilité du gouvernement fédéral et dont les travaux de remblayage étaient assumés par la Compagnie canadienne de l’Exposition (à la demande de la Société des ports nationaux), ne faisaient pas l’objet d’un transfert officiel et n’étaient pas encore complétés le 30 juin. Par contre, les terrains nécessaires au début des travaux d’aménagement en sous-sol du site (conduites pour l’électricité, les égouts, l’eau potable, le gaz naturel, etc.) étaient prêts.

vdm_arch4507.jpg

Pierre Dupuy et Jean Drapeau à la remise du site par la ville à la Compagnie de l’Exposition
Archive de la Ville de Montréal. VM94-EX237-028.
Jean Drapeau et Pierre Dupuy étaient des habitués des grandes cérémonies protocolaires et, surtout, ils appréciaient l’impact que celles-ci avaient sur la population, bien qu’il ne s’agît ici que du simple transfert de propriété d’un terrain rocheux et boueux. Qu’à cela ne tienne, la soirée du 30 juin devait être mémorable… et elle le fut. On invita à cette occasion plus de 7000 personnes — ministres, députés, conseillers, maires (plus de 850!), ambassadeurs et consuls, chefs d’entreprise et recteurs d’université, etc. — ainsi que la population montréalaise. Une entente avait été négociée avec la Société Radio-Canada pour que la cérémonie soit diffusée en temps réel partout au Canada et, en différé, dans un grand nombre de pays. Le Canada et le monde entier devaient réaliser que l’aménagement du site commençait ce soir-là et que l’Exposition universelle de Montréal de 1967 aurait bien lieu à la date et à l’endroit prévus.

Accueil et transport de 7000 personnalités

vdm_arch4008.jpg

Télédiffusion pancanadienne de la cérémonie. On voit une caméra et la foule assise dans les gradins.
Archive Ville de Montréal. VM94-EX237-023.
La logistique fut énorme et très complexe. Déplacer 7000 personnalités du centre-ville vers le lieu des cérémonies sur l’île Sainte-Hélène agrandie (l’ancienne île Verte) par autobus, et ce, en très peu de temps, représentait un tour de force pour la Société de transport de la Ville de Montréal. De plus, il fallait aussi offrir ce même type de transport pour les dizaines de milliers de Montréalais qui assisteraient à la cérémonie, car les automobiles étaient interdites sur le site ce jour-là.

On fit construire, en quelques jours, d’immenses estrades pour les invités ainsi qu’un quai temporaire et on fit aménager une très grande scène en terre battue pour le spectacle équestre de la Gendarmerie royale du Canada (le Carrousel de la GRC). De plus, on avait prévu une illumination spectaculaire du site lors de la signature du bail par Pierre Dupuy, officialisant ainsi le transfert du site de la Ville vers la Compagnie canadienne de l’Exposition. Il fallut donc procéder à une installation électrique temporaire de grande envergure pour les multiples projecteurs. Bref, les services municipaux furent utilisés au maximum de leur capacité.

Pour la Nuit des Îles, les procédures de sécurité furent importantes et impliquèrent plus de 600 policiers en fonction sur l’île Sainte-Hélène. Il fut aussi décidé que les Montréalais qui assisteraient aux cérémonies de remise des îles le feraient à bonne distance des invités, à l’arrière d’une clôture, pour éviter tout incident. Et pour prévenir les débordements nationalistes, comme ceux que la ville avait connus lors du précédent défilé de la Saint-Jean, le chef de police, probablement à la « suggestion » du maire, procéda à l’arrestation arbitraire et « préventive » d’une soixantaine de jeunes alors qu’ils essayaient de se rendre sur l’île. Ils furent emprisonnés et questionnés jusqu’au petit matin; puis relâchés sans être mis en accusation dès que la cérémonie fut terminée.

On annonçait des averses dispersées pour ce soir-là, mais le maire Drapeau avait promis qu’il ne pleuvrait pas… et il ne plut pas. On n’avait pas pris de risque malgré tout et la Ville avait acheté plus de 7000 imperméables en plastique au cas où…

Spectacles en tous genres

Expo 67 (VM94-EX237-021)

La troupe les Feux Follets sur scène
Archive de la Ville de Montréal. VM94-EX237-021.
La cérémonie débuta vers 23 heures. Auparavant, la troupe des Feux-Follets ainsi que l’Orchestre philharmonique des pompiers de Montréal divertirent les participants alors que les invités prenaient place dans les estrades. Sur le quai du port de Montréal, face au quai de l’horloge (quai Victoria), les pompiers, utilisant leurs camions équipés de canons à eau, exécutaient un spectacle de fontaine lumineuse très réussi pendant qu’arrivaient le commissaire de l’Expo, Pierre Dupuy, et son adjoint, Robert F. Shaw, le directeur général, Andrew Kniewasser, quatre directeurs responsables de l’aménagement du site et de la bonne marche de l’Exposition (Pierre de Bellefeuille, le colonel Edward Churchill, Philipe de Gaspé-Beaubien, Dale Rediker) ainsi que le secrétaire de la Compagnie canadienne de l’Exposition, Jean-Claude Delorme.

Ils prirent place à bord d’un petit catamaran, spécialement construit pour l’occasion, dont l’illumination reprenait la silhouette d’une caravelle. À son bord se trouvaient une caméra de télévision ainsi qu’un chroniqueur. À 23 h 16, le petit catamaran quitta le quai Victoria pour se diriger vers le débarcadère spécialement aménagé sur l’île Sainte-Hélène. Alors qu’il quittait le quai, une frégate de la Marine canadienne, le HMCS Lanark (FFE-321), ancrée au centre du fleuve, salua son passage par une salve de 21 coups de canon. Ce navire militaire, vétéran de la Deuxième Guerre mondiale, était venu spécialement d’Halifax pour cette cérémonie.

Expo 67 (VM94-EX253-012)

Arrivée au débarcadère de l’île Sainte-Hélène du bateau avec Pierre Dupuy et les directeurs de l’exposition
Archive de la Ville de Montréal. VM94-EX253-012.
À son arrivée sur l’île Sainte-Hélène, la délégation fut accueillie par le maire ainsi que par M. Lucien Saulnier, le président du comité exécutif de la Ville. « Bienvenu sur la Terre des Hommes », dira M. Drapeau à M. Dupuy en l’accueillant. « Je suis particulièrement heureux de saluer l’homme », répondra le commissaire général de l’exposition. Par la suite, alors que la délégation prenait place dans les estrades, on assista au spectacle du Carrousel de la GRC, accompagné par la musique de la Fanfare des vétérans. Quelques minutes avant minuit, alors que les chevaux de la GRC se retiraient, Jean Drapeau se rendit au micro et nomma un à un les 116 pays membres des Nations-Unies alors que s’illuminaient tout autour des estrades, un par un, les drapeaux de ces nations. À minuit, tout devint noir, y compris le port et le centre-ville de Montréal.

La ville s’illumine

Entra alors en jeu le carillonneur Émilien Allard qui sonna chacun des 12 coups de minuit. À chaque son de cloche, une partie de la ville s’illumina : au premier coup, la croix du mont Royal. Puis, à tour de rôle, ont été éclairés la voie Camillien-Houde, les édifices de la Place Victoria, l’ancienne Banque Royale, la Banque de Commerce, la Sun-Life, la C-I-L, la Place Ville-Marie, la Prévoyance, Hydro-Québec, puis le port de Montréal et, au 12e coup, le ciel au-dessus de l’emplacement où se déroulait la manifestation. On se serait cru en plein jour. Pierre Dupuy et le maire de Montréal signèrent alors le bail, transférant effectivement la propriété du site à la Compagnie canadienne de l’Exposition, pour la somme de un dollar par année, et ce, jusqu’en juin 1969.

Expo 67 (VM94-EX253-111)

Les drapeaux des 123 pays membres des nations-Unies
Archive de la Ville de Montréal. VM94-EX253-111.

Au milieu d’un feu d’artifice particulièrement intense, le premier ministre du Québec, M. Jean Lesage, accompagné par le ministre fédéral du Commerce, M. Mitchel Sharp (le premier ministre Pearson s’étant fait remplacer à cause des célébrations du 1er juillet, à Ottawa), hissa officiellement pour la première fois le drapeau de l’Exposition. La Fanfare des vétérans entonna alors le God save the Queen, aux cris de désapprobation de la majorité des spectateurs présents, puis le Ô Canada, mieux accueilli cette fois. Les organisateurs de l’Expo ont vite saisi que le God save the Queen était un hymne d’une autre époque et ils évitèrent par la suite de l’utiliser lors des cérémonies officielles de l’Exposition (sauf, évidemment, lors de la visite du couple royal britannique).

Il y eut alors un petit incident qui aurait pu avoir des conséquences assez graves : à cause d’une erreur humaine ou du changement brusque de la direction des vents, deux des fusées du feu d’artifice atterrirent au milieu des participants. Une tomba au pied d’une des estrades sans réellement faire de dégât, mais l’autre vint se loger, ironiquement, au centre de l’Orchestre philharmonique des pompiers, ne blessant heureusement personne, mais détruisant une clarinette et quelques feuilles de musique…

Début des travaux d’aménagement

Expo 67 (VM94-EX237-092)

Jean Drapeau nomme un à un les noms des pays membres des Nations-Unies
Archive de la Ville de Montréal. VM94-EX237-092.

Dès que le document fut signé et que Pierre Dupuy prit officiellement possession des îles, il ordonna le début des travaux d’aménagement. Le contour des îles Sainte-Hélène et Notre-Dame s’embrasa alors d’une lumière blanche éclatante, et on entendit, au loin, le bruit des niveleuses qui entrèrent en action afin de préparer le terrain pour recevoir les pavillons. La deuxième phase de l’histoire de l’Exposition universelle et internationale de Montréal de 1967 venait de s’amorcer : l’aménagement des terrains et la construction des centaines de bâtiments nécessaires pour recevoir le monde entier. À minuit trente, au cours d’une cérémonie hautement protocolaire, Expo 67 achevait sa période la plus difficile. Maintenant, il ne restait plus qu’à tout construire… À moins de trois ans de l’ouverture officielle, le 28 avril 1967!