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Elsa Gidlow à la recherche de l’amour entre femmes

10 février 2020
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La poète Elsa Gidlow vit les espoirs et déceptions d’une jeune anticonformiste dans le Montréal des années 1910 alors que les possibilités de nouer des relations lesbiennes sont rares.

Elsa Gidlow

Jeune femme, en robe, tenant un chat dans ses bras, sur un balcon d’appartement.
Gay, Lesbian, Bisexual, Transgender Historical Society.
Elsa Gidlow a six ans lorsqu’elle quitte l’Angleterre en 1905. Avec sa mère, sa sœur et son frère, elle rejoint son père déjà installé au Canada. De milieu modeste, la famille s’établit d’abord à Tétreaultville, puis emménage une dizaine d’années plus tard dans un appartement de la rue De Lorimier, à Montréal.

Elsa Gidlow développe à l’adolescence un grand intérêt pour la littérature, les arts, l’histoire et la philosophie. Autodidacte, elle passe une grande partie de ses temps libres à la bibliothèque et épouse déjà des idées féministes et anticonformistes. Sans jamais avoir entendu parler d’homosexualité, elle se découvre une attirance pour les filles et s’éprend d’une camarade de classe, qu’elle n’informera toutefois pas des sentiments qu’elle éprouve.

Sa rencontre, vers l’âge de 18 ans, avec Roswell George Mills, rédacteur au Montreal Star de deux ans son aîné, sera déterminante. Lui-même homosexuel, Mills partage avec Gidlow un intérêt pour la littérature et les arts. Rapidement, une amitié profonde se développe. Mills n’hésite pas à confier à Gidlow ses désirs homosexuels et ses déboires amoureux. Gidlow lui fait en retour part de son penchant pour les femmes, que Mills avait déjà deviné. En plus d’inviter Gidlow à divers concerts et représentations théâtrales grâce aux laissez-passer que son emploi lui procure, Mills lui fait connaître de nombreuses œuvres littéraires, dans certaines desquelles il est question d’homosexualité. Gidlow s’initie ainsi à l’histoire de la poète antique Sapho, dont le nom deviendra alors son surnom, et apprend l’existence de communautés lesbiennes ailleurs dans le monde, notamment à Paris et Berlin. Désireuse d’être indépendante financièrement, Gidlow occupe différents emplois de secrétariat et loue une chambre sur l’avenue McGill College, où réside également Mills.

Un monde merveilleux

Mills présente Gidlow à son groupe d’amis, constitué d’autres artistes et intellectuels d’avant-garde, dont certains homosexuels masculins. Pour Gidlow, un « monde merveilleux » s’ouvre alors. Parmi ses nouveaux amis, Louis Gross, étudiant en médecine à l’Université McGill, emprunte régulièrement pour Gidlow des ouvrages scientifiques traitant de l’homosexualité à la bibliothèque de sa faculté. Le nouveau cercle permet également à la jeune femme de mener à bien des projets littéraires. Avec Mills et quelques collaborateurs, Gidlow lance en 1918 la revue Les Mouches fantastiques. Gidlow et Mills y publient, entre autres, des poèmes et pièces de théâtre dépeignant des relations homosexuelles, de même que des articles sur le « sexe intermédiaire ».

Gidlow développe vite un intérêt et des sentiments pour la pianiste Louise Cox, rencontrée lors d’une soirée dans l’appartement de Mills. Bien qu’elle apprécie Gidlow, Cox, qui est mariée et âgée de plus de 40 ans, se montre réticente, tout en manifestant une attitude parfois ambigüe. Ainsi, il lui arrive à diverses occasions d’embrasser Gidlow sur la bouche ou de l’enlacer, avant de s’esquiver en lui faisant savoir qu’elle n’ira pas plus loin. Gidlow comprend que, malgré les gestes affectueux qu’elle lui adresse, Cox s’intéresse sexuellement aux hommes. Gidlow maintiendra des liens d’amitié avec Cox, en dépit des tourments qu’ils lui causeront.

Les sentiments amoureux qu’elle éprouve pour Cox n’empêchent pas Gidlow de vivre une première relation homosexuelle avec une autre pianiste rencontrée lors de cette même soirée chez Mills, la jeune Canadienne française Marguerite Desmarais. C’est lors d’un séjour dans un chalet des Laurentides, en compagnie de Mills et de Gross, que les deux femmes vivent leurs premiers ébats. Malgré sa timidité, Gidlow tient à la tendresse que Desmarais lui manifeste. Pour sa part, Desmarais nourrit avant tout un intérêt pour les hommes, mais entretient à l’endroit de Gidlow une affection et des sentiments particuliers. Plus tard, elle lui fera savoir à quel point elle l’aime et lui confiera être heureuse de l’avoir initiée à l’amour entre femmes.

Au cours des années suivantes, Gidlow et Desmarais se voient très régulièrement, mais n’ont qu’occasionnellement des rapports sexuels, principalement à l’appartement de Desmarais, situé rue Mansfield. À défaut de satisfaire pleinement ses aspirations amoureuses, cette relation procure à Gidlow une plus grande confiance en elle et lui permet de profiter du meilleur de ce que Montréal peut lui procurer en cette fin des années 1910.

Un couple lesbien mythique

Marguerite Desmarais

Jeune femme coiffée d’un foulard et portant une robe bohémienne et plusieurs colliers, devant une tente et un chien.
Gay, Lesbian, Bisexual, Transgender Historical Society.
Gidlow envie les possibilités qui s’offrent à ses amis homosexuels masculins. En effet, la culture homosexuelle masculine est alors en pleine éclosion, et les lieux de rencontre sont nombreux. Si Mills et ses amis homosexuels masculins parviennent facilement à trouver de nouveaux partenaires, il en va tout autrement pour Gidlow qui ne connaît aucune lesbienne. Elle sait toutefois qu’un couple féminin fréquentait son propre cercle peu de temps avant qu’elle l’intègre.

Née en Écosse, Violet Winifred Leslie Henry-Anderson, qui a adopté le surnom masculin Tommy, côtoyait déjà Mills et Cox lorsque Mona Shelley, qui aspirait à une carrière d’actrice, approcha au milieu des années 1910 leur ami Harcourt Farmer, acteur et critique artistique. Henry-Anderson et Shelley ont alors noué une relation amoureuse et sont par la suite parties vivre à Vancouver.

Ces deux femmes fascinent Gidlow. Pendant des années, elles représentent à ses yeux des figures quasi mythiques. En plus de partager avec elle des amis communs, elles forment le seul couple lesbien connu alors par Gidlow. Ses amis lui parlent ainsi constamment de « Tommy et Mona », des paroles qui font rêver celle qui souhaite tant vivre une relation similaire.

Découragée par l’absence de possibilités amoureuses à Montréal et voulant s’éloigner de Cox, pour qui elle éprouve toujours des sentiments, Gidlow décide de s’établir à New York en 1921. Mills l’y rejoint quelques mois plus tard. En 1924, elle rencontre enfin Henry-Anderson et Shelley, alors sur le point de se séparer. Elle vit ensuite avec Henry-Anderson une longue relation amoureuse. Le couple s’installe en 1925 à San Francisco, où il fait vie commune jusqu’au décès prématuré d’Henry-Anderson en 1935. Gidlow passera le reste de sa vie en Californie, ne retournant à Montréal que pour visiter brièvement sa famille.

Publiant de nombreux recueils de poésie, Elsa Gidlow sera reconnue comme une figure de proue de la littérature lesbienne et féministe américaine. Quelques mois avant de mourir, en 1986, elle publie ses mémoires, dont plusieurs chapitres sont consacrés à sa jeunesse montréalaise, faisant de cet ouvrage un témoignage incomparable de la vie homosexuelle à Montréal au début du XXe siècle.

Références bibliographiques

DAGENAIS, Dominic. Pratiques et identités homosexuelles à Montréal, 1880-1929, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2020.

GIDLOW, Elsa. I come with my songs. The Autobiography of Elsa Gidlow, San Fransisco, Booklegger Press, 1986.

FAIG JR, Ken. « Lavender Ajays of the Red-Scare Period, 1917-1920 », The Fossil, vol. 102, n° 4 (juillet 2006).

HIGGINS, Ross. De la clandestinité à l’affirmation. Pour une histoire de la communauté gaie montréalaise, Montréal, Comeau & Nadeau, 1999.