L’été 2021, des animateurs du MEM ont parcouru les rues de Milton Parc à bord des vélos citoyens. Ils ont interviewé des chambreurs de la société d’habitations Chambrelle.
« Chambrelle, c’est vraiment des maisons de chambres qui sont belles, vu qu’elles sont dans un quartier historique. Même si on paye pas cher, ça vaut vraiment cher. Pis ça, c’est bon pour notre âme, [nous] les gens qui sont en difficulté financière. » — Stéphane Poirier, résidant de Chambrelle
Durant l’été 2021, deux intervenants du MEM ont sillonné les rues du quartier Milton Parc, entre l’université McGill, le parc Jeanne-Mance, le boulevard Saint-Laurent et la rue Sherbrooke, à bord des vélos citoyens, spécialement conçus pour aller à la rencontre des Montréalais à travers des activités de médiation culturelle et d’animation. Cette année-là, les bicyclettes ont servi de studio d’enregistrement mobile pour récolter les paroles de résidants, travailleurs et anciens habitants du quartier Milton Parc. Notamment, les animateurs ont échangé avec des chambreurs de la société d’habitations Chambrelle. À travers les témoignages de Stéphane, Anna, Jonathan, Arjun et Robert et de l’organisateur communautaire Denis Barbeau, nous découvrons la vie en maison de chambres.
Des chambres au cœur de Milton Parc
« Dans les maisons de chambres privées, il y a rarement du personnel en soutien aux chambreurs. [...] Ici, oui. Il y a la collecte de loyer, mais aussi le service de conciergerie, le soutien communautaire. Je pense que tout ça mis ensemble fait une différence dans l’intégration et le maintien des personnes à plus long terme dans leur logement. » — Denis Barbeau, organisateur communautaire
Rue Sainte-Famille
Chambrelle est dotée d’un conseil d’administration qui voit à son fonctionnement, en ce qui concerne les finances, les règlements d’immeuble, l’entretien et la vie sociale et communautaire. Deux chambreurs siègent à ce conseil. Pour s’assurer de la qualité de ses services, Chambrelle peut compter sur plusieurs employés. Une agente à la gestion immobilière s’occupe de l’accueil, du suivi des demandes de logements, de la signature des baux, de la réception des plaintes et de la perception des loyers. Des concierges se chargent du ménage des aires communes. Finalement, Denis Barbeau nous explique son travail d’organisateur communautaire : « Je fais le lien entre les chambreurs de Chambrelle et la Communauté Milton Parc. Par exemple, si des locataires ont besoin de certains services, moi, comme je connais les différents organismes communautaires qui œuvrent dans Milton Parc, je peux faire du référencement. J’interviens aussi dans les immeubles lorsqu’il y a des tensions entre les locataires, je peux faire de la médiation, je peux faire respecter le règlement d’immeuble. »
Paroles de chambreurs
« Il y a un esprit d’entraide que j’ai rarement vu. » — Jonathan Saint-Onge, résidant de Chambrelle
Jonathan Saint-Onge
Ce qui distingue également Chambrelle, c’est la forte présence de chambreurs de longue date. Des personnes seules qui habitent le quartier depuis des dizaines d’années et ne souhaitent plus le quitter. Elles sont attachées aux lieux, aux gens. Le loyer abordable leur permet de s’établir à long terme dans Milton Parc. Ceux qui restent sont témoins de nombreux changements, comme le rappelle Stéphane Poirier, pensionnaire depuis 10 ans : « Je vois tout le monde entrer, sortir, les nouveaux arrivants. Il y a beaucoup de roulement dans les chambres, beaucoup de va-et-vient! »
Par leur âge, leur état de santé ou leur situation financière, plusieurs chambreurs sont vulnérables et souhaitent recevoir de l’aide ou du soutien. Denis Barbeau accompagne notamment les pensionnaires qui le demandent à travers des démarches gouvernementales (impôts, assurance maladie, assurance sociale) en les orientant vers les bonnes ressources. Certains chambreurs font aussi face à des problèmes de sécurité alimentaire, et Denis s’assure qu’ils puissent s’approvisionner en nourriture. Un esprit d’entraide est également observable entre certains locataires. Par exemple, Anna, une voisine d’Arjun, nous explique que celui-ci l’aide toujours lorsqu’elle est malade ou blessée. Il fait ses courses et descend la voir régulièrement pour s’assurer de son bien-être. Jonathan, lui, reçoit les canettes de ses voisins puisqu’ils savent qu’il les récolte pour la consigne.
Bien sûr, la cohabitation comporte aussi son lot de défis! Comme le rappelle Denis Barbeau, il y a une certaine marginalité associée aux personnes qui fréquentent ce type de logement. Il note : « L’écosystème de l’immeuble est super important. Dès qu’il y a un individu qui dérape, ça peut être un peu l’enfer pour les autres chambreurs autour. Il faut essayer de faire une bonne sélection des chambreurs et placer les gens au bon endroit, avec les bonnes personnes. » Arjun a confié qu’il a été très surpris lors de son emménagement à Chambrelle, car il ignorait qu’il cohabiterait avec certains locataires vivant avec des problèmes de santé mentale. Il n’était pas préparé ou outillé pour faire face à certaines situations. La médiation ou le soutien apporté par l’administration peuvent aider à désamorcer les conflits.
Vivre à Chambrelle
« Je suis très contente d’avoir un beau jardin. [...] Quand je sors dehors, tout le monde me dit : “Anna, il est beau ton jardin!” Je dis : “Je le fais pour vous et pour moi!” » — Anna, résidante de Chambrelle
Anna Milton Parc 2021
Les chambreurs de Chambrelle sont informés des règlements d’immeubles et doivent les respecter. Les employés de Chambrelle effectuent régulièrement des visites dans les différentes maisons. Stéphane observe : « Certains disent qu’ici c’est plus intrusif que si c’est ton appartement parce qu’il y a toujours des employés de l’administration qui viennent. Mais ils protègent leurs immeubles! Aussi, ils ne veulent pas que les gens dépérissent dans leurs apparts. Ils s’occupent bien de nous. » L’administration s’efforce de régler les problèmes avec diligence, avec des ressources limitées.
Il y a un fort taux de roulement à Chambrelle. La majorité des pensionnaires restent quelques mois, voire un ou deux ans. Jonathan Saint-Onge, qui a habité dans plusieurs maisons de chambres avant de s’établir chez Chambrelle explique : « Une maison de chambre, c’est une bonne façon de transiter. [...] Pour une personne qui est habituée à vivre dans un appartement, les maisons de chambres, c’est pratique pour un certain temps. Mais pour une personne comme moi, c’est l’idéal. Parce que j’ai pas de meubles, j’ai pas de carte de crédit. Ici, je peux bien m’arranger. » Il ajoute : « Ça peut sortir de la merde. Si t’es conscient, c’est quoi une maison de chambre, c’est vraiment parfait. Il faut la choisir aussi! Mais moi j’ai la meilleure! »
Comme Jonathan qui, selon lui, « sortira dans un grand sac noir », et veut donc rester jusqu’à son dernier jour, la majorité des chambreurs rencontrés par les animateurs du MEM souhaitent demeurer à long terme dans leur logement. Robert Landry, locataire de la même chambre depuis 25 ans, a confié : « J’espère vivre toute ma vie à Chambrelle, là où j’habite. J’espère vivre âgé, en santé et autonome jusqu’à la fin, à Chambrelle. »
Merci à Richard Phaneuf et à Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture de cet article.
Les maisons de chambres à Montréal sont des immeubles, propriétés de particuliers ou d’organismes, qui offrent un minimum de quatre pièces pour dormir, avec une salle de bain partagée, avec un maximum de cinq locataires.
Le loyer des chambres dans les habitations privées peut parfois représenter 60 à 80 % du revenu des pensionnaires et il ne comprend aucun service. Les maisons de chambres gérées par des organismes s’inscrivent plutôt dans le domaine du logement social de la métropole puisque des services et des subventions au loyer sont offerts aux locataires démunis ou vulnérables. Ces maisons de chambres sont aussi considérées par les organismes de lutte contre l’itinérance comme une porte de sortie de la rue. Bien qu’elles ne soient pas des maisons de transition à proprement parler, elles servent dans certains cas à combler une part du besoin pour ce type de logement.
Les maisons de chambres sont réparties très inégalement sur le territoire montréalais puisqu’on les trouve dans 92 % des cas dans les quartiers centraux (Ville-Marie, Plateau-Mont-Royal, Hochelaga-Maisonneuve, Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, Rosemont–La Petite-Patrie et Sud-Ouest). Certains de ces arrondissements se sont dotés de lois pour protéger le parc immobilier des maisons de chambres menacé par les rénovations des propriétaires à partir des années 1970.
Depuis 1987, la Ville tente de ralentir la baisse marquée de l’offre de ce type de logement, notamment en subventionnant la transformation de maisons de chambres privées en sociétés d’habitations et en construisant quelques nouvelles unités. Néanmoins, en 2009 on comptait moins de 5000 chambres enregistrées.
COMMISSION PERMANENTE SUR LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET LA DIVERSITÉ MONTRÉALAISE. Les maisons de chambres à Montréal. Rapport et recommandations, Ville de Montréal, 2012, 24 p.
GAGNÉ, Jean, et Marjolaine DESPARS. « Participation citoyenne et intervention communautaire : la Commission populaire pour la sauvegarde des maisons de chambres », Nouvelles pratiques sociales, vol. 23, no 2, printemps 2011, p. 65-82.