L'encyclopédie est le site du MEM - Centre des mémoires montréalaises

Carmen Déziel, la reine oubliée du rock’n’roll

22 mars 2021
Temps de lecture

En 1956, Carmen Déziel chante Mes souliers bleus, reprise de la célèbre pièce d’Elvis Presley, Blue Suede Shoes. C’est la première chanteuse de la francophonie à enregistrer une chanson rock’n’roll en Amérique du Nord. 

Carmen Déziel

Photo promotionnelle d’une chanteuse au look de star.
Archives privées de Bruno Berthold, collection personnelle de Carmen Déziel et Armand Desrochers, 004.
Née à Sherbrooke le 18 mars 1932, Carmen Déziel est une chanteuse à la carrière précoce. Benjamine d’une fratrie de cinq enfants, elle fait ses études au couvent de Sainte-Marie de la Congrégation Notre-Dame de Sherbrooke (aujourd’hui l’Académie Sainte-Marie). Les religieuses remarquent tout de suite le talent de la jeune fille pour le chant lors des spectacles scolaires. En plus des cours de diction, elle suit des leçons de chant avec le professeur Cartier.

À l’âge de 14 ans, Carmen Déziel remporte un premier concours de talent à la radio CHLT de Sherbrooke. La gagnante a par la suite le privilège de participer à l’émission Face au micro sur les ondes pendant quinze semaines. La performance de la pétillante chanteuse attire tout de suite l’attention. Lors de leur participation au concours Miss Radio Télévision 50, Fernand Robidoux, animateur, « découvreur de talent » et chanteur et Edgar Goulet, de la troupe de théâtre Living Room Furniture, tentent de convaincre la jeune fille d’aller à Montréal, où elle aura un succès assuré, selon eux.

Toutefois, son père, Joseph Déziel, mais surtout sa mère, Alice Fréchette, la considèrent encore trop jeune pour faire carrière dans la grande ville de Montréal. Carmen est néanmoins autorisée à perfectionner ses talents avec un petit ensemble musical local, Les Joyeux Copains, où elle fait la rencontre de son mari, le guitariste et chanteur de talent, Armand Desrochers.

Dans les premières années de mariage, le couple a une petite fille nommée Marlène. La jeune mère est toutefois bien occupée. En plus de participer à trois émissions par semaine sur les ondes de CHLT, la jeune femme apprend à jouer le cocktail drum et les maracas, et donne de nombreuses performances à l’occasion de danses, mariages, banquets et bien d’autres avec son époux et Les Joyeux Copains.

Laissant la garde de leur fille à ses grands-parents, le couple part en tournée sous la houlette de Jean Grimaldi en 1955, en compagnie d’autres artistes. En trio avec un accordéoniste, ils donnent des spectacles au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Angleterre. En novembre 1956, ils sont à Joliette avec Manda, La Poune et Bazou, et partent en tournée avec les Jérolas dès 1957.

Les années de gloire

Carmen Déziel 2

Photo en noir et blanc d’une chanteuse et de ses musiciens, un accordéoniste et un guitariste, sur la scène d’un cabaret.
Archives privées de Bruno Berthold, collection personnelle de Carmen Déziel et Armand Desrochers, 056
La chanteuse enregistre déjà quelques pièces, dont Rien que vous (reprise française de Only you) et Les souvenirs sont comme ça chez les disques APEX. Mais Carmen voit plus grand. Lors d’un passage dans la métropole, elle se présente à RCA Victor. Voyant son potentiel, la compagnie de disques lui propose un contrat. En 1956, c’est le lancement du premier grand succès de Carmen Déziel : Mes souliers bleus, la reprise francophone de Blue Suede Shoes, et la carrière de la jeune chanteuse prend son envol.

Avec le lancement de son microsillon en 1956, Carmen Déziel devient la première chanteuse francophone à enregistrer une pièce de rock’n’roll en Amérique du Nord. L’expérience étant fructueuse, la chanteuse sherbrookoise reprend ensuite en français Don’t Be Cruel, toujours d’Elvis Presley, et Eddie My Love de The Teen Queens. Mais c’est avec Bambino (reprise de la chanson italienne Guaglione) que Carmen Déziel se glisse au sommet du hit-parade en 1957. Plus 50 000 copies du disque sont vendues en Amérique du Nord.

À la fin mars 1957, c’est la consécration : la devanture du Casa Loma à Montréal arbore la charmante figure de la chanteuse Carmen Déziel pendant plusieurs semaines. Pour chanter les succès d’Elvis Presley au Casa Loma, elle revêt sa robe bleue à crinoline et des souliers assortis. Les « troubadours » qui l’accompagnent sur scène sont nuls autres que son mari, Armand Desrochers, à la guitare acoustique, Normand Pitts à la guitare à double manche et Roger Roy à l’accordéon. Le quatuor joue également au Café Saint-Jacques (415, rue Sainte-Catherine Est), au Théâtre Corona (2490, rue Notre-Dame Ouest), au Chat noir, la salle à l’étage du Café Mocambo (2591, rue Notre-Dame Est) et au cabaret Chez Parée (1258, rue Stanley), où la chanson française est à l’honneur à Montréal.

Quand elle ne chante pas à Montréal, Carmen est en tournée avec ses musiciens dans les hôtels et les salles de danse du Québec. Aux États-Unis, elle est fort appréciée depuis plusieurs années par le public anglophone et franco-américain, notamment à Boston et à New York. Bien qu’éclipsé en partie par le succès de son épouse, Armand Desrochers est le plus populaire de la troupe… en Gaspésie. En effet, le public gaspésien raffole des disques western d’Armand Desrochers et ses prestations sont vivement attendues. Également sous contrat avec RCA Victor, le guitariste compose et interprète ses propres chansons. Mais sa présence auprès de Carmen permet certainement à la chanteuse étoile de briller partout où ils vont.

Alors qu’on l’entend fréquemment sur les ondes de la radio CHLT et à CHTL-TV à Sherbrooke, Carmen Déziel participe à Montréal à plusieurs émissions de variétés à Radio-Canada, comme Chanson-Vedette en 1957, Music Hall et Au Club des Autographes en 1960. La même année, Carmen enregistre les pièces Baciare et Je t’ai dit oui, son dernier disque chez RCA Victor, dans leurs tout nouveaux studios du 1241, rue Guy, à l’angle de la rue Sainte-Catherine.

Après cinq années d’engagements successifs, Carmen et Armand ralentissent leurs activités. Préférant se produire localement dans les cabarets, à la télévision et à la radio, le couple retourne vivre en famille à Sherbrooke. En 1962 et 1964, Carmen enregistre encore quelques chansons chez les disques Météor. Veillant sur son épouse qui souffre de la maladie d’Alzheimer, Armand décède quelques mois après Carmen, en janvier 2015.

Carmen Déziel chante Ce serait dommage

Carmen Déziel chante Ce serait dommage

Carmen Déziel chante Ce serait dommage (reprise francophone de la pièce Impatient Lover par Betty Martin), extrait de 0:45, émission Le Club des Autographes (1957-1962), émission du 5 mars 1960, Société Radio-Canada. 

Diffusé de 1957 à 1962, Le Club des autographes est animé par Pierre Paquette. Dédiée aux jeunes, l’émission mettait en vedette des artistes de la chanson qui se produisaient devant un public. Quelques mois après la mise en ondes, elle intègre des leçons de danse qui font le succès du programme.

Réalisation : 
Émission Le Club des Autographes

Cet article est paru le 10 mars 2018 dans la chronique Montréal, retour sur l’image, du Journal de Montréal. Il a été revu et enrichi pour sa publication dans Mémoires des Montréalais.

Maude Bouchard Dupont remercie chaleureusement Bruno Berthold qui a ouvert les archives du couple Déziel-Desrochers, ainsi que Sébastien Desrosiers (Les Disques du Trésor National) pour ses précieux conseils lors de la rédaction et la révision de ce texte.

Sortir au Casa Loma

Carmen Déziel - Casa Loma

Photo en noir et blanc montrant la façade du Casa Loma. La chanteuse Carmen Déziel et le comédien fantaisiste Gabriel Bigras sont en vedette sur la marquise extérieure en mars 1957. Trois personnes circulent sur le trottoir devant l’édifice.
Archives privées de Bruno Berthold, collection personnelle de Carmen Déziel et Armand Desrochers, CA-2

Situé au 94, rue Sainte-Catherine Est, le Casa Loma est un cabaret emblématique du Montréal des années 1950. Au lounge, on rencontre un ami ou une compagne pour aller danser à la discothèque à l’étage ou voir un spectacle de variétés au cabaret. Fréquentant jadis le Casa Loma, l’ancien policier Réal Beauchamp se souvient qu’il fallait revêtir une tenue de ville pour franchir les portes. Un bon pourboire glissé en douce au portier vous évite d’être assis derrière l’une des colonnes en forme de palmiers. Les vedettes québécoises telles que Denise Filiatrault, Dominique Michel, Les Jérolas, Paolo Noël, Ginette Reno, Alys Robi, Jen Roger, le trio de Tony Romandini, Ti-Gus et Ti-Mousse, et bien d’autres sont là pour vous divertir.

Le Casa Loma est le lieu de consécration pour de nombreux artistes comme Carmen Déziel, mais aussi un endroit parfois bigarré où il n’est pas toujours facile d’animer. Comme le raconte Denise Filiatrault dans sa biographie, l’un de ses spectacles avec Dominique Michel donné à l’occasion de l’enterrement de vie de garçon de Di Maulo s’est tout simplement terminé avec une bagarre générale, entraînant plusieurs blessés et un décès. La popularité du cabaret décline avec l’arrivée de la télévision et de l’ouverture de la Place des Arts. Un triple assassinat, lié au crime organisé en 1971, sonne la fermeture du Casa Loma.