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Yvon Deschamps et Judi Richards, porte-paroles remarquables

26 juillet 2023

À partir de 1971, et pendant plus de 30 ans, l’humoriste Yvon Deschamps et l’artiste Judi Richards ont été porte-paroles du Chaînon. Leur fervent engagement résonne toujours dans l’esprit du public.

Yvon Deschamps et Judi Richards

Une femme souriante tient un rouleau de peinture et un homme avec une casquette et des lunettes ouvre un pot de peinture en grimaçant. Derrière eux, des tablettes vides.
Archives Le Chaînon
Dès sa création en 1932, l’Institut Notre-Dame de la Protection (devenu Le Chaînon en 1978) est soutenu financièrement et moralement par des dons venus de toutes parts. Au commencement, des dames patronnesses organisent des parties de cartes pour payer le loyer et aider la fondatrice, Yvonne Maisonneuve, à recueillir des fonds pour l’achat de meubles, vêtements et autres. Puis, divers comités d’hommes bienfaiteurs et de groupes de femmes bénévoles ont jalonné le parcours de l’association. À la suite de la Révolution tranquille, certains changements sociaux, tels que la laïcisation des œuvres sociales, ont une répercussion sur l’organisme dans les années 1970. De plus, il voit son rayonnement s’étendre auprès du public grâce à des artistes qui s’impliquent. À compter de 1971, et pendant plus de 30 ans, la présence d’Yvon Deschamps et de Judi Richards apporte une notoriété sans précédent à l’œuvre.

L’engagement social d’Yvon Deschamps

« J’ai toujours essayé d’être utile de deux façons : dans mon travail, en parlant de choses qui me semblaient importantes, en créant un dialogue qui fasse qu’on puisse avancer socialement. L’autre façon, en restant engagé, en faisant beaucoup bénévolement. » ―Yvon Deschamps, humoriste et philanthrope, Le Soleil, 2009

Yvon Deschamps

Un homme en veston cravate, cheveux aux épaules, les mains dans les poches, debout devant un micro, a la bouche ouverte. Derrière lui, on voit, sur le mur un cadre croche, le bout d’un piano et un sapin de Noël.
Archives Le Chaînon
En 1971, Claude Lorange du service de marketing de la Banque canadienne nationale, qui a depuis fusionné, sollicite Yvon Deschamps pour qu’il égaye le jour de l’An des résidantes de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection (aujourd’hui Le Chaînon). Travaillant avec Yvon à la télévision et siégeant au comité des gens d’affaires de l’organisme, M. Lorange pressent le bien que son humour social pourrait apporter à ces femmes. Le matin du 1er janvier 1972, c’est un Yvon Deschamps fébrile qui débarque à l’association car, malgré sa popularité depuis son premier monologue Les unions qu’ossa donne? au spectacle L’Osstidcho de 1968, il est conscient que les résidantes n’ont pas payé pour l’entendre et il appréhende la rencontre. Fervent laïque, il est quelque peu rebuté à son arrivée par la dimension religieuse qui prévalait alors, mais est fortement touché par les histoires des femmes, les chants, la musique et l’ambiance de fête qui règne à la Maison d’accueil, il en ressort métamorphosé et viscéralement ému par son expérience.

« On a les moyens de nourrir le monde, c’est pas qu’on manque de moyens, on manque surtout d’humanisme, on ne se rend pas compte des besoins des autres. » ― Yvon Deschamps, humoriste et philanthrope, émission Les grands entretiens, 2020

Yvon Deschamps 3

Deux femmes sont attablées avec un homme qui sourit, un café posé devant lui.
Archives Le Chaînon
Lors de cette journée, il prend conscience que de graves fléaux existent tout près de lui et sa rencontre avec les Associées de l’organisme secoue ses convictions sociales-démocrates. Ces femmes ont choisi de consacrer leur vie entière pour aider des personnes démunies et, plutôt que d’exiger du gouvernement qu’il assume toutes les responsabilités et mette fin à la pauvreté, les Associées cognent aux portes, demandent la charité et vont chercher le nécessaire pour prendre soin de leurs protégées. Il devient évident pour lui que chaque citoyen est en fait responsable et qu’il doit s’interroger sur ce qu’il peut faire pour aider. Quelques mois plus tard, guidé par cette réflexion, Yvon endosse le rôle de porte-parole du Chaînon. Il adopte alors la résolution d’être présent tous les jours de l’An, s’engage à animer les campagnes de financement et participe aussitôt à la mise en place de la première collecte de fonds à grande échelle. Au cours des années, il fera vibrer l’œuvre auprès du public en se prêtant à des démarches publicitaires et des entrevues dans les médias.

Yvon Deschamps, féministe avant l’heure

« Tous mes monologues sur la violence faite aux femmes ― La libération de la femme, La violence… ―, c’est grâce à elles que je les ai écrits. Mon gros personnage de macho, c’est elles qui m’en ont donné l’idée. […] C’est là, ― en 1973, avant l’Année de la femme ―, que j’ai réalisé que plus de la moitié de la population mondiale était traitée comme une minorité. C’est comme ça que je suis devenu féministe! » ― Yvon Deschamps, humoriste et philanthrope, dans Sylvie Halpern, Le Chaînon : La maison de Montréal, Éditions Stanké

Yvon Deschamps 2

Un homme habillé en blanc avec chapeau de chef brasse un immense chaudron. Sur le comptoir, deux gros pots de sauce tomates.
Archives Le Chaînon
En acceptant d’être porte-parole, Yvon ne réalisait pas qu’il venait de s’accrocher le cœur et les pieds pour plus de 30 ans. Mais surtout, il ne se doutait pas qu’en côtoyant la Maison d’accueil, toute une facette du monde allait se révéler à sa conscience, facette dont il ne soupçonnait même pas l’existence. La découverte des histoires d’horreur que vivent certaines femmes éveille sa prise de position sociale et il devient l’un des rares hommes de l’époque à se déclarer publiquement féministe. Les témoignages des résidantes exercent une influence importante sur sa carrière. Les récits qui lui sont murmurés et ceux qu’il perçoit à travers les lourds silences colorent ses textes et insufflent de la vie à certains des personnages de ses monologues. Artiste sensible, inspiré par le courage et la résilience de celles qui lui apparaissent comme des survivantes, il aborde sur scène des sujets très personnels en leur donnant une résonance universelle et chamboule ainsi quelques-unes des idées reçues concernant les difficultés par les femmes. Par conséquent, en plus de participer à la pérennité du Chaînon, il mène un combat artistique avec son humour social dénonciateur.

Judi Richards, au service d’une cause

Yvon Deschamps et Judi Richards 2

Six personnes souriantes sont derrière un kiosque et tiennent toutes sortes d’objets. En arrière d’eux, un écriteau : « Le coin des trouvailles ».
Archives Le Chaînon
La présence d’Yvon Deschamps est déjà bien ancrée au Chaînon, lorsque le 1er janvier 1977, l’auteure-compositrice-interprète, Judi Richards, se joint à lui. Judi raconte avoir été mal à l’aise, apeurée même à l’idée de sa première rencontre avec les résidantes du Chaînon. Mais touchée par ce qu’elle connaissait de la mission, il lui vient l’élan, tout simple, mais si profond, d’entrer en relation avec les centaines de femmes présentes. Elle y passe l’entièreté de sa première journée, établissant un lien personnel avec chacune des femmes, par un contact visuel et des mots qui tissent l’espoir.

« J’irai voir chaque femme. Juste aller toucher la main, regarder dans les yeux, et pour deux secondes ou deux minutes […] les regarder dans les yeux et dire, lâche pas, on est là pour toi, on te lâchera pas, alors lâche nous pas et on pourra s’en sortir ensemble. » ― Judi Richards, auteure-compositrice-interprète, émission Maisonneuve à l’écoute, 2000

Même si elle est d’abord présentée comme la femme d’Yvon, il n’est pas question pour Judi de seulement soutenir son mari. Elle désire s’engager à titre personnel et obtenir une place bien à elle. Authentique, elle prend un temps pour apprivoiser l’organisme et trouver la bonne façon de s’investir. Rapidement, elle en vient à s’impliquer plus pleinement que son époux. Aimant dessiner, bricoler et créer, chaque année, elle confectionne pendant des mois des centaines d’objets pour les vendre au profit du Chaînon : cartes, calendriers, taies d’oreiller peintes à la main, bavoirs, coussins, pintes de lait décorées et autres. Lors des Bazars annuels, alors qu’Yvon arpente la scène et détend l’atmosphère de son rire mythique, Judi accueille à son kiosque les personnes qui se bousculent pour échanger avec elle et pour acheter ses produits faits maison qu’elle dédicace et sur lesquels elle appose des mots personnalisés, si cela est souhaité. Ce rendez-vous annuel est primordial pour le couple, tellement qu’une année, Judi s’y présente même si elle est sur le point d’accoucher.

Judi contribue également à la préparation de spectacles-bénéfices, de tournois de golf, de « quilletons », de brunchs et autres. Par sa parole empreinte d’humanité, elle est douée pour rassembler des donateurs et des partenaires et, à partir de 1997, elle siège au conseil d’administration du Chaînon. En 2000, après l’incendie du Magasin du Chaînon, elle produit un grand spectacle-bénéfice au Théâtre Corona. Pendant de nombreuses années, elle fait résonner la cause à travers des entrevues radiophoniques et télévisées, parlant de l’œuvre avec cœur et altruisme.

Un engagement social familial

« Ce qu’elles m’ont surtout appris, les dames du Chaînon, c’est que ce n’est pas l’argent qui abat des montagnes. C’est l’amour, l’attention, l’écoute, et c’est ce dont le monde a le plus besoin. » — Yvon Deschamps, humoriste et philanthrope, dans Sylvie Halpern, Le Chaînon : La maison de Montréal, Éditions Stanké

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Un homme debout, de côté, grisonnant, portant des lunettes, les bras croisés, observe une fillette habillée en rose, debout derrière un micro. Derrière eux, comptoir de cuisine, vaisselles, panier de fruits.
Archives Le Chaînon
Yvon Deschamps et Judi Richards, intimement liés dans la vie, le sont tout autant dans l’aventure du Chaînon. Leur engagement communautaire, entrepris tout au début de leur mariage, apporte un sens profond à leur vie de couple. Le bénévolat permet à Yvon de rester en contact avec la réalité et il associe son bien-être au fait qu’il se sent utile, qu’il donne et qu’il aide les autres. Il découvre la solidarité, le dévouement et l’entraide avec les dames du Chaînon. De son côté, Judi développe une amitié sincère avec le personnel et elle écoute généreusement les bénévoles et les femmes hébergées. Elle aime sentir qu’elle fait partie d’une communauté qui fait du bien et elle y consacre de longues heures. Faisant référence à une ancienne expression utilisée dans les villages lorsqu’un travail s’effectuait en commun afin de rendre service à quelqu’un, elle explique que son engagement est une façon de « faire son bi ». Avec les années, la famille s’agrandissant, leurs trois filles, Annie, Karine et Sarah-Émilie, viendront, elles aussi, au Chaînon célébrer année après année le jour de l’An avec leurs parents.

Bien qu’Yvon et Judi se soient retirés au début des années 2000, l’implication de ces deux géants laisse des empreintes et marque à jamais l’histoire de l’organisme. L’animation d’Yvon et ses spectacles au jour de l’An, les nombreux objets fabriqués par Judi, leur participation aux activités de financement et les multiples entrevues qu’ils ont offertes ont fait rayonner Le Chaînon et ont apporté une notoriété sans précédent à l’œuvre.

Références bibliographiques

Archives

Les archives de l’Association d’entraide Le Chaînon.

Monographies

HALPERN, Sylvie. Le Chaînon : La maison de Montréal, Montréal, Stanké, 1998, 238 p.

Articles en ligne

RADIO-CANADA. « Le Chaînon, une histoire de solidarité », Archives Radio-Canada, 18 décembre 2017. (Consulté le 14 octobre 2022). 

RADIO-CANADA. « Yvon Deschamps, une vie consacrée à la scène, mais aussi à l’engagement social », Radio-Canada, 5 mars 2020. (Consulté le 14 octobre 2022).

RADIO-CANADA. « C’est comme ça la vie, une heure avec Yvon Deschamps », Les Grands entretiens, Radio-Canada, 5 mars 2020. (Consulté le 14 octobre 2022).