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Ousseynou Diop, portrait d’un incontournable

02 juin 2017

Acteur, chroniqueur à Radio-Canada international, co-fondateur du festival Vues d’Afrique, et plus encore, Ousseynou Diop a largement contribué à établir des ponts entre Montréal et le continent africain.

Ousseynou Diop

1986. Ousseynou Diop lors de la soirée d'ouverture de la 3e édition du Festival international Vues d’Afrique.
Archives du Festival international Vues d’Afrique.
Le 10 février 2011 s’éteignait Ousseynou Diop, un des incontournables de la scène culturelle et journalistique québécoise. Passionné de cinéma et de musique, acteur, journaliste-chroniqueur à Radio-Canada, co-fondateur du Festival international de cinéma Vues d’Afrique et de la Chambre de commerce Afrique-Canada (anciennement la Chambre africaine du commerce et de l’industrie du Canada), Ousseynou Diop était un touche-à-tout de talent.

Né en 1941 sur un bateau, quelque part entre la France et l’Afrique, il a grandi en Guinée, avant d’arriver à l’âge de six ans au Sénégal. Adulte, il devient chroniqueur d’une émission pour les jeunes à Radio Sénégal, sous le pseudonyme de Bob Yves. En 1972, il marque les cinéphiles du monde entier par sa participation à Touki Bouki, un film sur des marginaux de Dakar souhaitant partir pour Paris. Si le film reçoit le Prix de la critique internationale au Festival de Cannes en 1973, l’interprétation d’un homosexuel par Ousseynou Diop fait scandale dans le Sénégal de l’époque.

Actif dès ses premières années montréalaises

Ousseynou Diop

Ousseynou Diop et le cinéaste guinéen Cheick Doukouré
Archives du Festival international Vues d’Afrique.
Arrivé à Montréal en 1973, il tient le rôle d’Étienne Latour dans la série télévisée québécoise La petite semaine. L’année suivante, il est engagé par Radio-Canada international pour faire des chroniques sur la Superfrancofête (Festival international de la jeunesse francophone) de 1974. Au fil de ses reportages, il apprend à connaître le Québec, puis le Canada, tout comme il fait découvrir l’Afrique. Il présente par exemple, en 1977, le Festival mondial des Arts nègres, à l’initiative de la revue Présence africaine, dans une série d’entrevues. Déplorant que les actualités internationales de l’époque ne parlent que de l’Europe et de la guerre froide, il développe à Radio-Canada international la section Afrique, dont il devient le responsable.

Pont entre les deux continents, Ousseynou Diop montre à tous les Montréalais qu’il existe bel et bien une actualité en Afrique et que celle-ci est incroyablement riche. Dans les années 1970, il est aussi à l’origine de la première collaboration musicale sénégalo-québécoise avec Le blé et le mil du groupe Toubabou. Cependant, c’est avec la création du festival Vues d’Afrique qu’il contribue à imposer les cinémas africains et créoles à Montréal. Au cours d’une conférence de presse du Festival des films du monde, on demande à Serge Losique pourquoi le cinéma africain n’est pas représenté au festival. Ce dernier répond qu’un tel cinéma n’existe tout simplement pas. Outré, Ousseynou Diop fonde, avec Gérard Le Chêne, Les journées du cinéma africain au Québec, en 1985, qui deviendront vite le Festival international de cinéma Vues d’Afrique. Après quelques années, ce festival a créé des liens avec de grands réalisateurs du monde entier. Inversement, Ousseynou Diop a aussi fait connaître Montréal et le Québec dans plusieurs pays africains. 

Un espace d’échange privilégié

Ousseynou Diop - 1985

De gauche à droite : Filippe Savadogo, Délégué général du FESPACO Gérard Le Chêne, Président de Vues d'Afrique Jean-Pierre Garcia, Président du Festival international du Film d'Amiens (France)
Archives du Festival international Vues d’Afrique.
Le succès de Vues d’Afrique est immédiat, et les premiers films diffusés le sont à guichets fermés. Assez vite il est décidé d’ajouter un volet créole. Depuis 1985, ce festival est un espace d’échange privilégié à l’intérieur duquel il a été question de thèmes importants, comme la place des réalisatrices du Sud, le génocide des Tutsis du Rwanda ou le centenaire de l’Indépendance d’Haïti. Dès la première édition, Vues d’Afrique a noué un partenariat avec le Festival panafricain du cinéma au Burkina Faso qui est le lieu de rencontre de tous les cinémas africains. D’autres manifestations se sont jointes au Conseil des Festivals jumelés (qui siège à Montréal). De ces partenariats sont nés des projets communs. Ils ont également permis de maintenir une qualité cinématographique année après année et de continuer à faire découvrir au public québécois les mille et une facettes d’une Afrique en mouvement. 

Ambassadeur des cinémas africains, Ousseynou Diop a par ailleurs animé une série de 13 émissions sur le cinéma africain réalisée par Gérard Le Chêne pour la compagnie InformAction de Montréal et diffusée par la chaine francophone TV5. Infatigable, Ousseynou Diop a également continué ses chroniques à Radio-Canada, et a été très actif dans la lutte pour la survie de la chaine en 1991. Il n’en a pas pour autant oublié les Africains qui venaient investir à Montréal et a créé la Chambre de commerce Afrique-Canada. 

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De gauche à droite : Gérard Le Chêne président de Vues d’Afrique, la ministre Louise Harel, Ousseynou Diop vice-président de Vues d’Afrique
Archives du Festival international Vues d’Afrique.
Aujourd’hui, le géant s’est éteint, mais ses reportages, ses films et le festival Vues d’Afrique lui ont survécu. Plus encore, Ousseynou Diop a ouvert la porte à des personnalités telles que Boucar Diouf et à beaucoup d’autres artistes, journalistes et investisseurs africains. Quand on demande à son ami de toujours, Bara Mbengue, comment il explique une telle réussite, dès les années 1970, ce dernier évoque des rencontres, une ouverture de la part de Radio-Canada, mais surtout le talent et l’énergie exceptionnels que Ousseynou Diop déployait quand un projet lui tenait à cœur.

Contribution à la recherche et à la rédaction : Neal Santamaria.

Merci à M. Gérard Le Chêne, président directeur général international de Vues d’Afrique, pour avoir contribué à la recherche nécessaire à la rédaction de cet article et à la validation de son contenu.

Références bibliographiques

ANGLADE, Georges. Cartes sur table, Vol. 1, Itinéraires et raccourcis : cinq ans de jalons, 1977-1981, Port-au-Prince, Éditions Henri Deschamps; Montréal, Études et recherches critiques d’espace, 1990, p. 1-200.

GAGNÉ, Caroline. La construction discursive de l’identité en contexte migratoire, une étude de cas : « Les enfants de la Loi 101 », Mémoire (M.A.), Université Laval, 2010, 132 p. [En ligne]. [www.theses.ulaval.ca/2010/27597/27597.pdf] (Consulté le 23 juillet 2012). 

KAREGEYA, Aloys. Caractéristiques sociodémographiques et évolution de l’immigration africaine au Québec et au Canada, de 1966 à 1996, Mémoire de maîtrise (M.A.), Université de Montréal, 2000.

NDOYE, Amadou. Les immigrants sénégalais au Québec, Paris, éditions L’Harmattan, 2003.

DIOP, Ousseynou et Danièle CHARLES. « Entretien avec Sembène Ousmane », [En ligne], Ciné-Bulles, Vol. 12, no 4, automne 1993, p. 28-3. [https://www.erudit.org/fr/revues/cb/1993-v12-n4-cb1125625/33946ac/].

DIOUF, Mamadou. « Géraldine Le Chêne : Elle incarne 30 ans de succès de Vues d’Afrique et elle est magnifique », Le Montréal africain, no 105, 15-30 avril 2014.

LAURENCE, Jean Christophe. « Un géant du Montréal africain s’éteint », [En ligne], La Presse, 2 avril 2011. [http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201104/02/01-4385844-un-geant-du-montreal-africain-seteint.php].

TREMBLAY, Odile. « Les vingt ans de Vues d’Afrique », [En ligne], Le Devoir, 10 avril 2004. [http://www.ledevoir.com/culture/cinema/51886/cinema-les-vingt-ans-de-vues-d-afrique].

 

 

Entrevue avec Bara Mbengue (ami d’Ousseynou Diop depuis l’arrivée de ce dernier à Montréal en 1973), faite par Neal Santamaria dans le restaurant sénégalais Chez Khady le 7 avril 2016.