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L’industrie du taxi à Montréal en 2025 : ubérisation, enjeux et perspectives

08 octobre 2025

Dossier

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Depuis 2015, l’industrie du taxi à Montréal connaît une mutation liée aux technologies, à la nature des entreprises et aux lois. Le secteur est méconnaissable pour les chauffeurs et les usagers.

À Montréal, les modes de déplacement sont en constante évolution. Dans les dernières années, la hausse exponentielle du coût de la vie, la pandémie de la COVID-19, le télétravail, la baisse d’achalandage dans le centre-ville, le développement du Réseau express vélo (REV) et l’ouverture du Réseau express métropolitain (REM), parmi d’autres facteurs, ont grandement affecté les déplacements des Montréalais dans plusieurs aspects : en 2025, comment, pourquoi, où et à quel prix circulent-ils?

Qu’en est-il des changements dans l’industrie du taxi? L’ubérisation, la Loi 17 concernant le transport rémunéré par automobile et la fermeture du Bureau du taxi de Montréal (BTM), ces deux dernières datant de 2022, ont fortement bouleversé et remis en question l’industrie du taxi montréalaise. Et la liste des transformations ne s’arrête pas là. À quoi ressemble cette nouvelle ère dans les rues de la ville?

De toutes les couleurs…

Taxi - enjeux et perspectives 2

Photographie en couleur d’une file de voitures de taxi en gros plan.
MEM – Centre des mémoires montréalaises
À la lumière des voix qui s’élèvent, on comprend que l’industrie du taxi est en pleine mutation. Les avis sont divergents et le sujet, polarisant. Chez les chauffeurs tout particulièrement, on dit qu’il y aurait trop d’autorisations pour conduire un taxi délivrées à Montréal et donc trop de chauffeurs sur la route. Depuis la nouvelle loi de 2020, ils jugent les heures de formation insuffisantes ; elles s’élèvent seulement à 15 heures en 2025, alors qu’un minimum de 150 heures était exigé par le BTM. On se plaint aussi que très peu de contrôleurs routiers circulent dans les rues de la ville. Les nouveaux chauffeurs « connaîtraient mal Montréal », ne sachant pas y naviguer sans GPS, et, dans certains cas, ne parleraient ni français ni anglais. S’ajoute le taxi illégal. Certains dirigeants de compagnies de taxi se plaignent de la hausse fulgurante du nombre de taxis sans permis en circulation. On dit qu’il est devenu facile de s’acheter un terminal sans fil, un lanternon, de l’accrocher à son véhicule et de prendre la route. D’après ce que rapportent certains journalistes, des personnes s’achèteraient même des lanternons uniquement pour pouvoir utiliser les voies réservées.

Si on ne peut tenir pour acquis que ces impressions reflètent la réalité sur le terrain, les actualités nous aident à dresser une image de la situation. Mais le sujet demeure délicat et les avis sont très variés. Cependant, d’après les chiffres de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), on sait que les constats d’infractions pour transport illégal à Montréal ont quadruplé depuis 2021. La SAAQ indique aussi que seulement une vingtaine de patrouilleurs circulaient dans les rues de la ville en 2024. De plus, le registre des taxis développé par le BTM n’est plus mis à jour ; il n’y a donc aucun moyen de savoir si un chauffeur est certifié pour faire du transport par automobile sans l’arrêter. Pour essayer de remédier au taxi illégal, l’Association canadienne du taxi a notamment demandé à Amazon d’arrêter de vendre des lanternons à l’été 2024, une requête qui n’a pas fonctionné. Un autre constat important date de 2024 : les deux tiers des véhicules de taxi autorisés par la SAAQ sont des Ubers.

Le choc Uber

Taxi - enjeux et perspectives

Le logo Uber sur un appareil mobile.
Ivan Radic. Flickr. https://www.flickr.com/photos/26344495@N05/51203380958
Uber est une application mobile qui met en contact ses utilisateurs avec des chauffeurs de voiture offrant un service de transport à proximité. La compagnie américaine est arrivée à Montréal en 2014, provoquant des ondes de choc dans l’industrie du taxi. Initialement, la compagnie opérait sans permis à Montréal. Jugeant que son service était différent, elle refusait de se conformer aux lois provinciales et municipales gérant le taxi. Le gouvernement provincial a finalement fait un compromis en mettant en place un projet pilote en 2015 dans le but d’intégrer le joueur américain au marché montréalais. La dérèglementation de l’industrie, qui a débuté avec la Loi 17 en 2020, et la subséquente fermeture du BTM en 2022 ont permis à Uber de conquérir une position dominante dans l’environnement du taxi montréalais, avec en 2025 plus de 12 000 chauffeurs. Entre-temps, la compagnie s’est répandue à travers plus de 10 000 villes à l’international.

Les raisons du succès de Uber à Montréal sont variées. Beaucoup de Montréalais ont adopté ce service, notamment les plus jeunes générations pour lesquelles l’usage d’applications sur appareils mobiles est la norme. Une enquête menée auprès d’utilisateurs d’Uber par Radio-Canada en 2024 rapporte qu’ils estiment qu’il est plus simple de prendre un Uber grâce à son application, que les véhicules ont tendance à être plus propres et que, dans certains cas, les chauffeurs sont plus sympathiques. En revanche, les chauffeurs de taxi ne sont pas adeptes d’Uber. Ils pestent contre la compagnie, l’accusant de leur avoir pris une part considérable du marché, en plus d’être à l’origine de la décision du gouvernement provincial de dérèglementer l’industrie, ce qui a eu pour effet immédiat de dévaloriser grandement les permis de taxi.

Encore une fois, ces informations doivent être traitées dans leur contexte, mais il est possible de discerner des tendances. Dans beaucoup d’entrevues, des chauffeurs Uber rapportent qu’ils perçoivent ce travail comme un revenu d’appoint plutôt que comme un emploi à temps plein. La flexibilité qu’offre Uber leur permet d’utiliser leur propre voiture, quand ils veulent et où ils veulent. Il faut aussi prendre en compte que Uber a débuté à Montréal à un moment qu’il lui était opportun et que son arrivée a créé de fortes pressions sur les gouvernements. Des changements de lois, un contexte de dérèglementation et une évolution des habitudes des consommateurs, conséquence d’un environnement économique de plus en plus austère, ont tous joué en sa faveur.

Ce contexte a d’ailleurs poussé plusieurs compagnies de taxi montréalaises à se transformer et à « ubériser leur modèle d’affaires ». Dans d’autres cas, de toutes nouvelles compagnies ont vu le jour. L’exemple de Taxelco, propriétaire aujourd’hui de certaines des grandes entreprises de taxi montréalaises, comme Diamond et Hochelaga, reflète ce phénomène. Avec son immense parc automobile électrique, ses 1500 membres et son application mobile, la compagnie s’est taillé une place d’envergure dans le nouveau marché du taxi montréalais.

Et les prochaines années?

Taxi - enjeux et perspectives 3

Photographie en couleur d’une voiture dans un salon de l’automobile. On peut lire sur la voiture 100 % autonom navya.
Matti Blume / Wikimedia Commons / Mondial de l’automobile de Paris 2018 / CC BY-SA 4.0
Difficile de savoir avec précision et certitude ce que l’avenir réserve au taxi montréalais, mais il est possible de discerner des tendances croissantes. En premier lieu, les options de partage de véhicule semblent se diversifier. En 2024, la compagnie de covoiturage américaine Lyft, similaire à Uber, a entamé un processus pour obtenir l’autorisation du gouvernement provincial d’opérer à Montréal. Elle a déjà acquis l’organisme de vélopartage BIXI en 2022 et veut maintenant étendre ses activités de covoiturage dans la métropole. La compagnie est déjà active en Ontario. Une autre nouveauté est que l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) a mis en place un projet pilote de covoiturage. Les chauffeurs sont rémunérés directement par l’agence de transport pour chaque kilomètre parcouru. À la différence de l’industrie du taxi, ce projet a pour objectif de réduire le nombre de véhicules sur la route. L’adoption par le public de ce service semble se faire attendre, cependant cette nouvelle façon de se déplacer en automobile pourrait faire concurrence aux taxis.

L’automatisation des véhicules, probablement le changement le plus impressionnant à venir, a déjà fait son entrée dans l’industrie du taxi. Dans plusieurs villes américaines, les véhicules taxis autonomes circulent actuellement sur la route. C’est le cas de la compagnie Waymo présente dans plusieurs villes américaines, comme San Francisco, Los Angeles et Phoenix. Ses parcs de Tesla fonctionnent comme un Uber : le client commande une voiture via son application et elle vient le chercher. La différence est qu’il n’y a pas de conducteur à bord, le véhicule est conduit par intelligence artificielle. Si on regarde plus loin encore, des projets pilotes de taxis volants électriques automatisés, comme celui de CityAirBus, sont même en phase de prototypes aux États-Unis et en Allemagne. Ces nouveautés peuvent sembler être de la science-fiction, mais elles s’avèrent plutôt les signes avant-coureurs d’un futur proche. Elles constitueront une pression supplémentaire sur l’industrie et sur le métier de chauffeur ou chauffeuse, qui risque d’évoluer encore plus.

Rien n’est plus constant que le changement

Nous pouvons conclure sur une chose certaine : le taxi existe à Montréal depuis plus de 100 ans, et il demeurera un moyen de transport important dans le futur. Mais le métier de chauffeur et le modèle d’affaires des compagnies de taxi changeront. Ces transformations sont déjà en cours et vont probablement s’accentuer dans les prochaines années. La dérèglementation de la dernière décennie reflète un environnement socio-économique mouvant.

Dans le futur, des compagnies qui fonctionnent à la manière d’Uber, d’origine locale ou non, vont potentiellement s’insérer progressivement dans le territoire montréalais. Mais il est aussi possible qu’Uber maintienne une domination majeure sur le marché pour des années à venir. Peu importe la forme du changement, comme durant les nombreuses crises du passé, l’industrie s’adaptera et trouvera fort probablement un nouvel équilibre.

Les taxis montréalais à la croisée des chemins

Les taxis montréalais à la croisée des chemins

Témoignages de Chelène Coulanges, directrice des opérations du Bureau du taxi de Montréal (2009-2022), Jean-Philippe Warren, professeur de sociologie à l’Université Concordia et Max-Louis Rosalbert, chauffeur de taxi depuis 1975. Entrevues réalisées en 2024. Une production du MEM – Centre des mémoires montréalaises. Direction et réalisation : Anthony-Vincent Ragusa et Catherine Charlebois. Recherche et entrevues : Anthony-Vincent Ragusa. Tournage et post-production : Geneviève Philippon et Isabelle Darveau.

Durée : 4 min 55 s

Le néologisme « ubérisation »

Le néologisme ubérisation est généralement utilisé pour désigner le phénomène par lequel une start-up ou un nouveau modèle économique lié à l’économie numérique peut menacer et remettre en cause rapidement un vieux modèle de l’économie « traditionnelle ».

Références bibliographiques

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