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Les rivières et ruisseaux disparus

03 août 2020
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Jusqu’au début du XIXe siècle, de multiples ruisseaux et petites rivières parcouraient l’île de Montréal. Transformés pour la plupart en égouts collecteurs, peu ont survécu à l’urbanisation.

En fondant Montréal à l’embouchure de la Petite Rivière, affluent de la rivière Saint-Pierre, les colons se familiarisent vite avec le vaste réseau de rivières et ruisseaux qui parcourent l’île. Bien que ceux-ci aient été connus des populations autochtones depuis des siècles, ils leur attribueront très tôt des noms : rivière Saint-Pierre, ruisseau Saint-Martin, rivière Prud’homme, ruisseau Notre-Dame-des-Neiges, coulée des Roches, coulée Grou, ruisseau de la Prairie, ruisseau Migeon, rivière Dorval, rivière à l’Orme, etc.

Le réseau hydrographique d’origine

Carte de Montréal - 1744

Carte ancienne sur laquelle on peut apercevoir le tracé de différents cours d’eau.
Archives de la Ville de Montréal. BM5-C-26-050.
Parmi les autres principaux cours d’eau situés à proximité de la jeune ville, la rivière Prud’homme descend du mont Royal pour confluer avec le ruisseau Saint-Martin, qui longe les fortifications, à la hauteur de l’actuelle rue Saint-Antoine, et coule en sens inverse du fleuve Saint-Laurent pour se jeter dans la Petite Rivière. Un lac peu profond, mais d’une longueur de sept kilomètres et d’une largeur de un kilomètre, s’étend pour sa part sur une grande partie de la pointe sud de l’île, au pied de la falaise Saint-Jacques, vis-à-vis de l’actuel échangeur Turcot. Nommé lac Saint-Pierre, et parfois aussi lac à la Loutre, ce lac est la source de différents ruisseaux et rivières, parmi lesquels la rivière Saint-Pierre, qui s’écoule vers l’est pour se diviser en deux branches : une se jette dans le fleuve à la hauteur de l’île des Sœurs et l’autre rejoint la Petite Rivière. Plusieurs autres cours d’eau sillonnent également plus loin en périphérie de la ville, pour se déverser dans le fleuve, la rivière des Prairies ou le lac Saint-Louis. Ils sont alors partie prenante du paysage rural des multiples villages qui émergent sur tout le pourtour de l’île.

L’utilisation des ruisseaux avant l’industrialisation

Côte-des-Neiges, 1879.

Plan ancien sur lequel on peut voir l’emplacement de terres agricoles et la trajectoire d’un ruisseau.
Archives de la Ville de Montréal. P501-1_06.
Aucun de ces cours d’eau n’est navigable. Si, aux débuts de la colonie, ils présentent l’avantage de marquer les limites du territoire, ils deviennent vite contraignants lorsque la ville cherche à s’étendre au-delà des fortifications. Dans la première moitié du XIXe siècle, plusieurs d’entre eux coulent à l’intérieur des zones urbanisées. De nombreux ponts, pour la plupart en bois, mais parfois aussi en pierre, sont érigés sur la Petite Rivière, la rivière Prud’homme et le ruisseau Saint-Martin. Seulement sur ce dernier, on en dénombre pas moins d’une dizaine dans les années 1820.

Le tracé de certains cours d’eau façonne parfois aussi le développement de nouveaux établissements. Le ruisseau Notre-Dame-des-Neiges, qui descend le mont Royal jusqu’à la rivière des Prairies, sert de trame au lotissement des terres situées sur ses rives. Ainsi, contrairement à la plupart des secteurs de l’île, les lots de la Côte-des-Neiges s’étendent d’est en ouest. Les ruisseaux servent parfois aussi à certaines activités économiques, comme les tanneries. Installées initialement au bord du ruisseau Saint-Martin, les premières tanneries se déplaceront plus à l’ouest, en raison des émanations qu’elles génèrent, pour s’établir près du ruisseau Glen et du lac Saint-Pierre.

En l’absence d’un réseau d’égouts, les cours d’eau montréalais servent également de déversoir. La Petite Rivière, le ruisseau Saint-Martin et la rivière Saint-Pierre recueillent ainsi quantité de déchets de toutes sortes, en plus d’eaux souillées provenant de la production artisanale et des activités agricoles et domestiques. Leur pollution est telle que, dans les années 1810, une série de lois est adoptée afin d’interdire d’y jeter du fumier, des décombres, des carcasses d’animaux et des eaux domestiques.

La canalisation

Canalisation du ruisseau Raimbault, 1961.

Photo en noir et blanc montrant des ouvriers qui travaillent à la construction d’un égout.
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 VM117-Y-7-D035.
Si, jusque dans les années 1820, on s’accommode plutôt de la présence des ruisseaux, les inondations qu’ils génèrent et les obstacles qu’ils posent à l’expansion de la ville, à la circulation et à l’hygiène publique amènent les autorités à mettre en œuvre leur canalisation. Déjà utilisés depuis longtemps comme égouts à ciel ouvert, la Petite Rivière et le ruisseau Saint-Martin sont les premiers cours d’eau à être canalisés, devenant ainsi les premiers égouts collecteurs recouverts de la ville. La conversion de la rivière Saint-Pierre en égout collecteur se fera quant à elle progressivement, s’étendant sur près d’un siècle. Pour sa part, le lac Saint-Pierre est asséché lors du creusage du canal de Lachine.

Les uns après les autres, la plupart des ruisseaux de l’île sont canalisés à mesure que la ville s’étend et annexe successivement différentes municipalités limitrophes. Ces ruisseaux canalisés sont alors intégrés au réseau d’égouts montréalais. Certains de ces cours d’eau, situés dans des quartiers ou villes périphériques, subsistent tout de même jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est notamment le cas du ruisseau Raimbault, qui est en réalité le ruisseau Notre-Dame-des-Neiges. Coulant sur la ferme de Pierre Raimbault, à Saint-Laurent, il est finalement canalisé sur la quasi-totalité de son tracé au début des années 1960.

Ce qu’il en reste

Ruisseau Bertrand.

Ruisseau bordé d’arbres et de plantes de marais se jetant dans une rivière.
Denis Tremblay, Creative Commons.
L’île de Montréal aurait perdu environ 82 % de ses ruisseaux d’origine. Sur les 337 kilomètres de ruisseaux et rivières qui coulaient encore au début du XIXe siècle, il n’en resterait aujourd’hui qu’environ 59 kilomètres. Il n’existe plus maintenant de traces visibles des ruisseaux du cœur de la ville, depuis longtemps canalisés. Une infime portion de la source de la rivière Saint-Pierre, située à Montréal-Ouest, a toutefois échappé à sa transformation en égout. Quant au ruisseau Raimbault, son embouchure a été préservée et intégrée au parc du même nom, situé dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville. On retrouve également quelques segments du ruisseau Provost, près de sa source, dans le cimetière Mont-Royal et dans différents secteurs d’Outremont.

Les ruisseaux montréalais encore à ciel ouvert se trouvent essentiellement aux extrémités de l’île. Dans l’est, on peut observer quelques résidus du ruisseau de la coulée Grou, du ruisseau Pinel, de même que du ruisseau Molson, près de son embouchure, à l’est de la rue Dickson. Une partie considérable du ruisseau De Montigny a également été préservée, près de son embouchure dans l’arrondissement Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles. Dans le parc-nature portant son nom, on peut notamment contempler une série de cascades.

Dans l’ouest, des ruisseaux d’envergure coulent toujours, tel le ruisseau Bertrand, qui prend sa source près de l’Aéroport international Montréal-Pierre-Elliott Trudeau pour traverser le parc-nature du Bois-de-Liesse et se jeter dans la rivière des Prairies, dans l’arrondissement Pierrefonds-Roxboro. Plus à l’ouest, la rivière à l’Orme coule sur plusieurs kilomètres à découvert le long du chemin de l’Anse à l’Orme, avant de se jeter dans la rivière des Prairies, au parc-nature de l’Anse-à-l’Orme. Du côté du lac Saint-Louis, le ruisseau Meadowbrook, à Beaconsfield, les ruisseaux Denis et Terra-Cotta, à Pointe-Claire et le ruisseau Bouchard, à Dorval, coulent, en tout ou en partie, à l’air libre.

Références bibliographiques

DAGENAIS, Michèle. Montréal et l’eau : Une histoire environnementale, Montréal, Boréal, 2011, 306 p.

FOUGÈRES, Dany. « Des eaux indésirables : Montréal et ses eaux de surface, 1796-1840 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 60, no 1-2, 2006, p. 95-124.

LACROIX-COUTURE, Frédéric. « Environ 82 % des ruisseaux disparus à Montréal », Journal Métro, 25 novembre 2006.
https://journalmetro.com/actualites-outremont-mont-royal/1055893/environ-82-des-ruisseaux-disparus-a-montreal/

RAMET, Pierre. « Les faces cachées d’un quartier », Continuité, no 76, 1998, p. 18-22.

ROBERT, Mario. « « Chronique Montréalité no 18 : Brève histoire des ruisseaux de Montréal », Archives de Montréal, 3 novembre 2014, 3 novembre 2014.
http://archivesdemontreal.com/2014/11/03/chronique-montrealite-no-18-breve-histoire-des-ruisseaux-de-montreal/

TISON, Marie. « Sur la trace des derniers ruisseaux de Montréal », La Presse, 20 juillet 2019.
www.lapresse.ca/voyage/quebec-et-canada/quebec/201907/19/01-5234449-sur-la-trace-des-derniers-ruisseaux-de-montreal.php

Rivières perdues, documentaire réalisé par Caroline Bâcle et produit par Katarina Soukup, Catbird Films, 2012.