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Les concerts radiophoniques montréalais : de la salle de danse au salon!

03 février 2020
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Avant l’essor de la musique préenregistrée, les stations de radio montréalaises s’invitent aux grands concerts et soirées dansantes de la métropole pour diffuser du contenu en direct.

Concerts radiophoniques

Le chef d’orchestre Jean Deslauriers au pupitre de l’Orchestre des concerts symphoniques de Montréal, lors d’un concert commandité par la compagnie Dow et radiodiffusé par la station radiophonique de CBC à Montréal
BAnQ. Fonds Conrad Poirier. P48,S1,P23333.
Au courant des années 1920, la musique diffusée sur les ondes est principalement jouée en direct : les studios de radio ressemblent plutôt à des studios d’enregistrement. Orchestres et musiciens célèbres vont visiter ces studios et gagner en popularité. La musique classique et les musiques de danse se démocratisent. Plus besoin de s’habiller chic et de débourser de gros montants pour en écouter! D’autant plus que près de 40 % des ménages montréalais possèdent un récepteur radio à la fin de la décennie, un chiffre qui passe à 85 % en 1941. 

Les stations de radio vont aussi enregistrer à l’extérieur de leurs studios : elles s’invitent dans plusieurs salles et cabarets de la métropole pour diffuser en direct des concerts et des soirées de danse. Ces établissements où l’on peut sortir danser se multiplient à Montréal, passant de 6 en 1914 à 32 en 1947. L’arrivée de la radio s’accompagne donc d’un important foisonnement culturel dans la métropole : les divertissements liés à la musique deviennent plus accessibles que jamais. Toutes les classes sociales y gagnent!

Danser dans les grands hôtels… ou dans le confort de son salon

Orchestre de radio de la brasserie Dow

Carte postale montrant deux rangées de musiciens. On peut lire « Orchestre de radio de la brasserie Dow irradiant chaque mardi, jeudi et samedi par l’intermédiaire des postes CFCF et CKAC.
BAnQ. Notice 0004082627.
La haute société montréalaise occupe une place de choix dans l’essor culturel montréalais des années 1920. Friands des styles musicaux en vogue à l’époque, comme le tango, la valse et le foxtrot, les bourgeois de la métropole se réunissent dans de nombreux établissements pour se divertir. Les grands hôtels et restaurants deviennent des lieux de prédilection : on y offre des soupers dansants, accompagnés d’orchestres et de musiciens de renom.

Les stations de radio vont en profiter pour diffuser en direct ces concerts : CFCF enregistre par exemple à l’hôtel Mont-Royal; CKAC, à l’hôtel Windsor; CHYC, au Ritz-Carlton de Montréal. On va aussi enregistrer dans les restaurants à la mode comme le Bagdad Café ou le Cosy Grill, situés tous deux sur la rue Sainte-Catherine. Ces collaborations sont telles que la plupart des stations montréalaises font concorder leurs horaires avec celui des différents établissements. À partir d’environ 21 h 30, qu’on soit dans une salle de bal ou dans son salon, la soirée dansante peut commencer.

À titre d’exemple, voici ce que propose la station CKAC pour la soirée du samedi 2 août 1930, telle qu’elle est rapportée dans le journal Le Devoir. À 18 h, le bulletin de nouvelles et le bulletin météorologique sont suivis d’une brève présentation du programme de la soirée. On commence par faire jouer des disques de la maison de disques américaine Columbia Records entre 18 h 10 et 19 h. Après une brève interruption pour traiter de la condition des routes, à 19 h 15, l’orchestre de danse de la station joue quelques morceaux. À 20 h, on peut entendre le pianiste de renommée internationale Rex Battle jouer en direct de l’hôtel Royal York de Toronto. L’ensemble musical de la station CKAC reprend ensuite les ondes vers 21 heures, et la soirée se termine avec une retransmission en direct de la soirée dansante de l’hôtel Windsor.

À la Brasserie Frontenac et au Monument-National

Brasserie Frontenac

Illustration de périodique montrant la brasserie Frontenac.
BAnQ. Albums Massicotte. Notice 0002730561.
D’autres soirées festives se déroulent à l’époque à la Brasserie Frontenac, au coin des voies De Gaspé et Marmier (boulevard Rosemont). La station CKAC y installe dès 1923 une sorte de studio-satellite : on y enregistre une série de concerts donnés les samedis soir dans la salle du restaurant de la brasserie. La population ouvrière du quartier est invitée à venir y manger, y danser et profiter du spectacle. Heure Frontenac, sur les ondes comme sur place, attire de nombreux adeptes.

La radio s’invite aussi au Monument-National, situé sur le boulevard Saint-Laurent près de la rue Sainte-Catherine. De 1921 à 1941 s’y tiennent les Veillées du bon vieux temps, organisées et créées par Conrad Gauthier. Ces soirées regroupent une poignée d’artistes folkloriques souvent snobés par la haute société montréalaise de l’époque. On compte parmi eux Ovila Légaré, Eugène Daigneault et Mary Travers, dite La Bolduc, qui y fait ses débuts. Plusieurs de ces événements sont conçus expressément pour être diffusés sur les ondes de CKAC. À en juger par les journaux de l’époque et les programmes qui y sont publiés, monsieur Gauthier et ses musiciens se retrouvent assez souvent dans les studios de la station. La longévité des Veillées du bon vieux temps témoigne aussi de sa grande popularité.

L’essor de la musique folklorique et des chansons originales canadiennes-françaises s’explique en partie par la situation démographique de la métropole. Entre 1880 et 1920, la population passe d’environ 140 000 habitants à près de 600 000. Ces nouveaux arrivants proviennent en grande partie de régions rurales du Québec et s’installent en périphérie, dans des quartiers ouvriers alors en forte croissance. Amenant avec eux chansons et traditions, ils deviennent un nouveau public cible pour les radios commerciales.

La Seconde Guerre mondiale et les grandes vedettes du disque

Radio - P48,S1,P23359

Deux animateurs lors de l'enregistrement d'une émission radiodiffusée. Nous apercevons aussi sur scène un petit ensemble avec chef d'orchestre et pianiste.
BAnQ. Fonds Conrad Poirier. P48,S1,P23359.
Au courant des années 1930 et 1940, les stations de radio laissent une plus grande place aux musiques sur disque. Les technologies d’enregistrement s’améliorent et certains restaurants et hôtels commencent à se méfier de la publicité à double tranchant qu’offre l’enregistrement en leurs murs : les gens se déplaceront-ils ou préfèreront-ils rester à la maison sans débourser le moindre sou?

Le disque permet aussi de faire jouer la musique de grandes vedettes internationales sans avoir à attendre leur concert. À Montréal, les stars américaines et françaises dominent les ondes dans les années 1930. Toutefois, la Seconde Guerre mondiale annonce un changement de cap majeur dans le paysage radiophonique de la métropole. Coupées des importations de disques français, les stations de radio se tournent vers les chanteurs populaires locaux. Jean Lalonde (1914-1991) et Lucille Dumont (1919-2016) deviennent les plus grandes vedettes montréalaises de la décennie. La revue Radiomonde, créée en 1939, leur consacre d’ailleurs de nombreuses pages. C’est le début du star system de la métropole!

Merci à Alain Dufour de la Société québécoise des collectionneurs de radios anciens d’avoir contribué à la vérification du contenu de cet article.