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Les comités de logement à Montréal : au cœur des luttes citoyennes

14 juin 2021

Engagés dans la défense des droits des locataires montréalais, des comités logement se forment au début des années 1970 pour préserver le droit à un logis.

Comités de logement

Une cinquantaine de personnes sont assisses sur les escaliers devant l’hôtel de ville de Montréal, pancartes à la main.
Bernard Vallée, collection privée
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Montréal connaît un important problème de logement. Alors que les soldats reviennent de la guerre, de nombreuses familles de vétérans se retrouvent à la rue. Il faudrait construire 16 400 logements immédiatement et 50 000 de plus dans un horizon rapproché pour résoudre la situation. La ligue des vétérans sans logis voit le jour et passe à l’action.

Un groupe de plus de 80 familles de vétérans sans logement occupent près de 80 bâtiments à différents moments au cours des années 1946 et 1947. Parmi ces lieux, des maisons de jeu clandestines et des baraquements militaires servent d’habitations temporaires. Le problème du logement, qui était déjà bien présent avant la guerre, ne fait que s’aggraver. Le prix des loyers grimpe et les familles nombreuses sont victimes de discrimination. Si l’histoire des familles de vétéran fait grand bruit, et que ces dernières sont relogées par le gouvernement, la crise du logement ne fait que s’accroître dans les années qui suivent alors que Montréal se modernise.

La rénovation urbaine et les expropriations

Après la Seconde Guerre mondiale, le maire de Montréal, Jean Drapeau, rêve de moderniser la ville et fait la promotion de nouveaux projets urbains. Entre 1950 et 1974, plus de 28 000 logements sont détruits dans le cadre de projets de rénovation urbaine. Alors que plusieurs autres quartiers sont aussi menacés, le Red Light, le Faubourg à m’lasse et Goose Village disparaissent en grande partie, ce qui mène, pour eux seuls, à l’expropriation de 10 000 personnes. Pendant cette période, près de 150 000 personnes sont expulsées dans la ville. Pour justifier ces démolitions, on invoque l’insalubrité des habitations et la nécessité de moderniser la ville en vue de grands projets d’envergure internationale, comme l’Exposition universelle et les Jeux olympiques. La construction d’autoroutes, de ponts, du métro et de nouveaux immeubles bouleverse la vie de milliers de citoyens. Les conséquences pour les résidants expropriés sont grandes alors que des quartiers entiers sont menacés de disparitions et que des Montréalais perdent leur milieu de vie.

En réponse à ces démolitions, et à d’autres enjeux entourant le logement, des comités se mettent en place dans les quartiers populaires afin de défendre les ménages les plus vulnérables. Ils luttent contre la destruction des quartiers ou les expulsions, pour un plus grand respect des droits des locataires à des habitations salubres et contre les hausses de loyer. Parmi ces comités, le Comité logement Saint-Louis est créé en 1974 lors de la mobilisation contre un projet immobilier entre le square Saint-Louis et la rue Sherbrooke. Il milite pour promouvoir un aménagement urbain harmonieux et pour protéger les droits des locataires.

Des mobilisations marquantes : de Milton Parc à Angus

Manifestation rue de l'Esplanade

Une vingtaine de personnes manifestent sur le trottoir, devant des appartements.
Bernard Vallée, collection privée
Des mobilisations d’envergure s’organisent dès le début des années 1970 pour prévenir la démolition d’habitations. Elles se multiplient dans les années suivantes et marquent les esprits, contribuant à sensibiliser les Montréalais à la situation du logement. Dans les années 1970, les citoyens et citoyennes du quartier Milton-Parc, un secteur patrimonial de maisons victoriennes en pierre près de l’Université McGill, luttent contre la démolition de 1000 logements en vue de la construction d’un nouveau développement immobilier. Les résidants rassemblés parviennent à sauver plus de 750 logements. En 1979, le groupe s’engage dans la création d’un important projet de coopératives d’habitation en rénovation, alors le plus vaste en Amérique du Nord. Cette mobilisation permet aux citoyens du quartier de revenu moyen ou modeste d’habiter un appartement dans ces résidences victoriennes situées au centre-ville de Montréal.

À quelques rues de là, en août 1975, un groupe de citoyens soutenu par le Comité logement Saint-Louis occupe 49 logements de la rue Saint-Norbert pour empêcher leur démolition. On trouve parmi eux des élus du Rassemblement des citoyens de Montréal, alors dans l’opposition à l’Hôtel de Ville. L’administration de Jean Drapeau veut démolir le terrain pour aménager une cour de voirie municipale. Après un mois d’occupation, le 29 août, les habitations sont démolies. Si la mobilisation n’est pas parvenue à arrêter cette destruction, les démolitions ralentissent toutefois dans la ville dans les années qui suivent. Quelques mois plus tard, un groupe de citoyens de l’est de la Petite-Bourgogne parvient à empêcher un projet de démolition similaire.

Pendant la même période, une autre lutte pour le logement est menée dans le quartier des anciennes usines Angus. Le déclin des activités de production de l’entreprise dès la fin des années 1950 avait mené à la vente des terrains de l’entreprise à la firme immobilière Marathon en 1974. Deux ans plus tard, l’entreprise annonce la construction du plus grand centre commercial de l’est du Canada, ainsi que de bureaux et d’habitations luxueuses. Le Comité logement Rosemont s’engage dans une mobilisation pour obtenir l’abandon du projet. La vaste coalition réunie par le Comité logement exige la construction de plus de 2200 logements, dont une majorité de logements sociaux. Après une douzaine d’années d’actions collectives qui comprend, entre autres, un plan d’urbanisme citoyen et la première consultation publique montréalaise, les militants parviennent à leurs fins et, en 1992, alors que les dernières parties des ateliers Angus ferment leurs portes, plus de 2900 logements sont disponibles, dont 40 % sont des logements sociaux.

Ces groupes communautaires engagés dans la lutte pour le droit au logement dès les années 1970 sont pour la plupart toujours actifs en 2020. Loin d’être résolue, la crise du logement est toujours d’actualité. Vingt-trois comités logement existent à Montréal en 2020. Le Comité logement Rosemont milite toujours pour le logement social et a par exemple obtenu la construction de 91 logements sociaux sur le site de l’ancien hôpital Bellechasse en 2009 et de 179 logements sociaux sur le site de l’ancienne usine Norampac en 2015. Le Comité logement Saint-Louis, devenu le Comité logement du Plateau Mont-Royal, poursuit sa lutte contre l’embourgeoisement, afin de conserver la mixité sociale du quartier. La Communauté Milton Parc poursuit son engagement dans le quartier, tant dans les domaines de l’éducation populaire, de l’aménagement que de l’action citoyenne, et s’investit particulièrement dans la reconversion des édifices de l’ancien Hôtel-Dieu.

S’unir pour agir globalement

Comités de logement 2

Une cinquantaine de personnes sont assises ou debout, de dos, dans une salle. Une affiche, sur laquelle on peut lire « Luttons pour le droit au logement », est suspendue au plafond.
Bernard Vallée, collection privée
Si les premières associations de logement sont surtout locales et mènent des luttes au cas par cas lorsque des menaces d’expulsion surgissent, des organismes nationaux sont créés à la fin des années 1970. En 1977, le Regroupement pour le gel des loyers rassemble sept comités logement. Plusieurs campagnes de revendications pour le gel des loyers sont lancées entre 1978 et 1980. Cette année-là, le groupe est renommé le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec pour refléter son engagement plus large dans plusieurs questions liées aux droits des locataires, par exemple pour la construction de HLM, pour l’accès à la justice des locataires, contre la discrimination, l’insalubrité et pour la protection du parc locatif. La pénurie de logements, au début des années 2000, est au cœur des préoccupations de l’organisme, ainsi que la conversion d’appartements locatifs en copropriétés et la lutte contre l’embourgeoisement.

Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) est quant à lui créé en 1978, pendant un colloque populaire réunissant plusieurs groupes communautaires à Montréal. Ces groupes ne veulent plus uniquement réagir aux conséquences de la rénovation urbaine, mais veulent créer un rapport de force qui leur permettra de modifier les politiques à la source de ces problèmes. Parmi ses premiers objectifs, l’organisme veut préserver les loyers bas dans les quartiers populaires pour y maintenir la population résidante et milite pour la réalisation de rénovations aux conditions des habitants de ces quartiers. L’organisme place rapidement la lutte pour le logement social au cœur de son action. En 1997, le FRAPRU milite pour la création du programme Accès Logis, qui doit permettre de financer de nouveaux logements sociaux, puis pour son financement alors qu’il est souvent menacé dans les années qui suivent. La crise du logement qui se dessine et la construction de logements sociaux sont les priorités de l’organisme dès le début des années 2000.

Pendant la crise sanitaire de la COVID, le Front d’action populaire en réaménagement urbain et le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec défendent les personnes sans logis qui n’ont d’autres options que de s’installer dans des camps de fortune. Les organismes militent pour la signature d’une entente entre les gouvernements provinciaux et fédéraux pour le logement social et abordable.

Merci à Bernard Vallée pour la relecture de cet article.

Références bibliographiques

BERGERON-GAUDIN, Jean-Vincent. « “Unité! Solidarité! Pour faire plier l’État!”, La lutte pour le gel des loyers (1978-1980) », À bâbord!, revue sociale et politique, no 78, février-mars 2019.
https://www.ababord.org/Unite-Solidarite-Pour-faire-plier-l-Etat-La-lutt...

FRONT D’ACTION POPULAIRE EN RÉAMÉNAGEMENT URBAIN (FRAPRU). Quarante ans au Front. Seule la lutte paie!, 2019.
https://www.frapru.qc.ca/wp-content/uploads/2019/03/Brochure40eFRAPRU.pdf

HELMAN, Claire. The Milton-Park Affair. Canada’s Largest Citizen-Developer Confrontation, Montréal, Véhicule Press, 1987, 183 p.

LAFFERIÈRE, Suzanne, et Bernard VALLÉE. « De la prospérité à l’incertitude : les usines Angus à Rosemont », Cap-aux-Diamants, no 54, été 1998, p. 10-13.
https://id.erudit.org/iderudit/7944ac

REGROUPEMENT DES COMITÉS LOGEMENT ET ASSOCIATIONS DE LOCATAIRES DU QUÉBEC. 40 ans de luttes au RCLALQ, 1978-2018, Montréal, 2018.
https://rclalq.qc.ca/wp-content/uploads/2019/07/40ans-de-luttes-du-rclalq-pour-le-droit-au-logement.pdf

VALLÉE, Bernard. « Le mouvement des squatters d’après-guerre. Prélude aux luttes urbaines », À bâbord!, no 25, été 2008.
https://www.ababord.org/Prelude-aux-luttes-urbaines

VALLÉE, Bernard. « Contre la barbarie, rue Saint-Norbert » À bâbord!, no 74, avril-mai 2018.
https://www.ababord.org/Contre-la-barbarie-rue-Saint-Norbert

VALLÉE, Bernard. « Le Comité logement Saint-Louis », Montréal, [inédit], 2017.

VALLÉE, Bernard, et CENTRE DE FORMATION POPULAIRE. Une brève histoire de l’éducation populaire. Colloque du 15 et 16 novembre 2018, Centre Saint-Pierre (1212, rue Panet), Montréal, 2019.
http://lecfp.qc.ca/wp-content/uploads/2018/11/Histoire-Éducation-populaire-à-Montréal_diaporama_CFP_2018_BVprésentation-compressed-2.pdf