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Le théâtre et le cinéma à Montréal entre 1895 et 1915

29 janvier 2016
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L’histoire des « lieux d’amusement » montréalais illustre l’instauration d’une industrie du spectacle particulièrement dynamique et changeante, à l’image d’un public curieux et sensible aux audaces.

Théâtre - Théâtre Strand, 1915

Façade du Théâtre Strand de Montréal en 1915.
1915, Théâtre Strand, angle des rues Mansfield et Sainte-Catherine Ouest, Montréal, QC, 1915 (?), Musée McCord, MP-0000.2327.402.4.
Montréal possède un riche passé théâtral et cinématographique. Depuis plus d’un siècle, sa population fréquente avec plaisir les nombreuses salles de théâtre et de cinéma, les parcs « d’attractions » et autres « lieux d’amusement » de la ville. Le public montréalais a des goûts très éclectiques. Il est curieux, avide de nouveautés, sensible aux audaces. Il découle de cette attitude l’instauration d’une industrie du spectacle particulièrement dynamique et changeante. L’histoire des « lieux d’amusement » en est une magnifique illustration. À côté des grands théâtres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, on trouvait une multitude de petites scènes, souvent éphémères, où se rassemblait un public bon enfant pour rire, pour pleurer, pour chanter, avec des artistes qu’il chérissait.

Montréal avait une curieuse caractéristique. Ville majoritairement francophone, elle faisait néanmoins partie du vaste réseau de tournées nord-américaines dont le centre était New York et, plus précisément, Broadway. Par son importance démographique, Montréal avait le statut de one-week-stand dans le circuit des tournées, c’est-à-dire que les troupes séjournaient une semaine dans la ville, y présentant leur spectacle six jours d’affilée, parfois deux fois par jour. Ce statut permettait à la ville de recevoir les plus grosses productions de Broadway. Les grands théâtres de Montréal disposaient de tout l’équipement et de l’espace requis pour de tels spectacles. Ainsi, les spectateurs ont pu assister à des courses de chevaux (sur tapis roulants), à des effondrements et des explosions, à des naufrages et des combats. Ils ont même vu passer des trains et des avions sur scène!

Montréal, ville branchée

Théâtre - affiche d'un spectacle

Affiche d’un spectacle mettant en scène Ellen Terry au Lyric Theatre de Londres au milieu des années 1910.
1914-1918, Lyric Theatre, Ellen Terry's Bouquet, Bibliothèque et Archives Canada, no. d'acc. 1983-28-200.
Le statut fort respectable de one-week-stand avait d’autres avantages. Montréal recevait régulièrement les plus grands artistes de la scène européenne qui entreprenaient des tournées en Amérique du Nord. Ces artistes étaient aussi bien des étoiles de la scène lyrique ― Adelina Patti ― que des tragédiens shakespeariens de Londres ― Ellen Terry, Henry Irving ― ou des vedettes parisiennes, dont Coquelin, Réjane, Mounet-Sully et la légendaire Sarah Bernhardt.

L’intégration de Montréal au marché du théâtre nord-américain permettait ainsi au public local de suivre et de vivre les derniers développements du théâtre occidental. Montréal était une ville branchée! Mais cette intégration posait de graves problèmes. En assistant fréquemment, et en grand nombre, à des spectacles américains, les francophones montréalais participaient à leur propre assimilation linguistique. À la fin du XIXe siècle, cette situation devenait suffisamment alarmante pour que les forces vives de la collectivité francophone mettent tout en œuvre pour favoriser l’éclosion d’une activité théâtrale professionnelle francophone à Montréal. En l’espace de quelques années, des dizaines de scènes francophones, animées par des artistes européens et canadiens-français ont ainsi vu le jour sur Saint-Laurent et dans la partie francophone de la ville. Les deux plus célèbres d’entre elles sont celles du Monument-National et du Théâtre National.

Succès du cinématographe

La fin du XIXe siècle connaît d’autres bouleversements dont les répercussions sur le patrimoine bâti sont considérables. Quand, en 1896, le cinématographe émigre en Amérique, Montréal est l’une des premières villes du continent à en faire l’expérience. Et quelle expérience! Les Montréalais apprécient tellement le nouvel « art » que des entrepreneurs ne tardent pas à investir dans la construction de vastes salles spécialisées, conçues pour la projection des « vues animées ». Alors qu’à Paris, Londres et New York, le cinéma était encore présenté dans des espaces modestes, aménagés pour la circonstance, Montréal s’ouvrait à l’ère des « scopes » ― le Ouimetoscope, le National Biograph, le Nationoscope ―, véritables précurseurs des movie palaces qui, 10 ans plus tard, allaient émerger en nombre dans le paysage urbain d’Amérique. Montréal était ainsi la première ville du monde à posséder des salles de cinéma de plus de 1000 sièges!

Avec la première vague d’immigrants juifs, apparurent des salles de théâtre yiddish. Tout à côté se multipliaient les scènes bilingues, parfois trilingues (yiddish), où se mêlaient indifféremment des francophones, des anglophones et des allophones, amateurs de spectacles drôles et légers, parfois érotiques. Le boulevard Saint-Laurent devenait ainsi le lieu privilégié du burlesque montréalais.

Prospérité du spectacle montréalais

Théâtre - National Biographe

Façade du National Biograph en 1910.
La Presse, 29 mars 1910.
La vitalité du théâtre et du cinéma montréalais, entre 1895 et 1915, se manifeste autant par la variété que par le nombre d’établissements répertoriés. On en compte plus de 400 pour la période! Bien sûr, il n’est pas rare qu’une salle ou une scène change de nom, mais il n’en reste pas moins que, globalement, on peut estimer à près de 150 le nombre de lieux ayant abrité une scène professionnelle ou une salle de projection dans ce qu’on peut appeler le premier « âge d’or » du spectacle montréalais. Qu’en reste-t-il aujourd’hui? Et dans quel état? À côté de la sauvegarde tardive du Monument-National ou de la rénovation récente de l’ex-Gayety’s ― actuel Théâtre du Nouveau Monde (TNM) ―, combien de salles importantes ont disparu, combien sont devenues méconnaissables, combien d’autres survivent dans un anonymat incompréhensible?

Une chose est indéniable. Ce qui survit de l’activité théâtrale et cinématographique de la période 1895-1915 ne rend guère compte de la remarquable vitalité de l’époque qui a fait de Montréal une métropole si singulière!

Cet article est paru dans le numéro 39 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008. Il a été rédigé par Jean-Marc Larrue et Jean-Pierre Sirois.