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La rivière des Prairies au cœur de l’histoire montréalaise

01 octobre 2018
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Coulant entre Montréal et Laval, la rivière des Prairies a longtemps été un accès vers le nord et une source d’hydroélectricité. Mais elle a toujours constitué une limite à franchir.

Si le fleuve Saint-Laurent est sans conteste le cours d’eau qui a le plus influencé l’histoire de Montréal, la rivière des Prairies n’est pas en reste. Ses rapides n’ont pas empêché les navigateurs de s’y aventurer et les ingénieurs d’y aménager de multiples ponts ainsi qu’une centrale hydroélectrique.

Une rivière tumultueuse

Rivière des Prairies 1935

Vue aérienne de la centrale hydroélectrique de la Montreal Island Power Co. sur la rivière des Prairies, vers 1935.
Hydro-Québec. H2/01225_ch59.
Véritable colonne vertébrale de l’archipel de Montréal, la rivière des Prairies rappelle aux habitants de la métropole, surtout ceux du nord, qu’ils sont de vrais insulaires. Ce cours d’eau décharge tumultueusement les eaux du lac des Deux Montagnes vers le Saint-Laurent.

La rivière est demeurée pendant longtemps une voie de navigation importante, bien que difficile, pour les Premières Nations, les coureurs des bois ou les draveurs. Depuis l’embouchure de la rivière, il faut remonter quatre rapides pour accéder au lac des Deux Montagnes. Ce qui n’est pas sans danger. En 1615, l’un des compagnons malouins de Samuel de Champlain, François des Prairies, puis, en 1625, le récollet Nicolas Viel et son compagnon français au surnom huron « Ahuntsic » se noient dans les rapides. Les noms donnés à la rivière des Prairies, au village Sault-au-Récollet et au quartier Ahuntsic rappellent leur mémoire.

Au tournant du XXe siècle, on songe à construire un canal reliant Montréal à la baie Georgienne, en Ontario! En empruntant l’ancienne voie de la traite des fourrures par la rivière des Outaouais, le canal projeté aurait débouché au lac des Deux Montagnes et ensuite mené à la métropole par le fleuve ou la rivière des Prairies. Mais le potentiel économique de la rivière se révèlera d’une autre façon.

Une centrale controversée

Projet de canal 1907

Carte du projet de canal entre la baie Georgienne et Montréal, 1907.
Archives de la Ville de Montréal. VM066-5-P095.
Avant le XXe siècle, la force motrice des rapides permet la construction de moulins à scier le bois et à produire la farine. Dès 1910, des compagnies privées d’hydroélectricité souhaitent utiliser le courant de la rivière pour aménager une centrale. Mais les municipalités et les riverains craignent les effets d’un pareil projet. En plus d’inonder les terres agricoles, la centrale réduira la navigation et accentuera la pollution due aux eaux d’égout alors déversées par plusieurs canalisations dans la rivière des Prairies.

Devant la difficile entente avec les parties concernées, le directeur du service hydraulique de la Montreal Island Power Co., Arthur Amos, choisit « d’ignorer les objections du projet ». Son objectif premier est d’obtenir l’aval du gouvernement provincial. Avec l’appui du ministère des Terres et Forêts, la compagnie fera ensuite face à ses détracteurs et à leurs demandes. Menée dans le plus grand secret, l’opération a aussi pour but d’éviter la montée les prix des terrains qui doivent être expropriés et inondés par la centrale.

Comme les eaux d’égout rejetées dans la rivière des Prairies pourraient devenir stagnantes à cause de la construction d’une centrale, les autorités gouvernementales demandent à la Montreal Island Power Co. de consulter les municipalités pour trouver une solution. La construction d’une station d’épuration étant jugée trop dispendieuse, un plan est proposé pour regrouper les sorties des eaux usées dans un collecteur unique, qui se déverserait loin de la centrale.

Une compagnie d’hydroélectricité s’impose

Rivière des Prairies inondation

Cette photographie d’Harry Sutcliffe montre l’inondation du 12 décembre 1932 sur le boulevard des Prairies (vers l’est) à Laval-des-Rapides.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
La Montreal Island Power Co. obtient en 1923 l’autorisation d’aller de l’avant avec son projet. Le gouvernement est alors convaincu que la nouvelle centrale amènera un développement industriel dans le secteur. Selon les façons de faire de l’époque, un bail emphytéotique permet à la Montreal Island Power Co. d’utiliser le débit de la rivière des Prairies pour une somme annuelle de 6000 dollars pour les 60 années suivantes. Ce qui fera dire au riverain Émile Martineau que « la compagnie s’empare de la rivière » dans une lettre envoyée au directeur du Service hydraulique de la compagnie.

Un sentiment de malaise s’installe au sein de la population à la suite de l’annonce de la signature de l’accord entre le gouvernement et la Montreal Island Power Co. en 1923. Le projet étant reporté de plusieurs années, les riverains restent dans l’incertitude et peu informés. L’inquiétude renaît en 1928 avec le début des travaux. Terminée en 1930, la centrale au fil de l’eau est aménagée à la hauteur de l’actuel parc nature de l’île de la Visitation.

Toutefois, les eaux capricieuses de la rivière des Prairies ne réagissent pas comme l’avaient prévu les ingénieurs de la compagnie. Les résidants doivent composer avec les inondations printanières accrues par la présence de la centrale qui bloque le fort débit de la rivière. Afin de ne pas compromettre la production d’électricité, la compagnie refuse d’ouvrir davantage les vannes d’évacuation lors des périodes de crues comme le voudraient les citoyens. En colère, les riverains inondés poursuivent la Montreal Island Power Co. à de nombreuses reprises, notamment après l’important embâcle du 12 décembre 1932. La situation vécue le long de la rivière des Prairies reflète le climat de tension de l’époque. Les populations locales se montrent de moins en moins tolérantes à l’égard des compagnies privées d’électricité aux pratiques parfois controversées. Ce sont ces tensions, entre autres, qui amènent la création d’Hydro-Québec en 1944.

Les inondations sont toujours un sujet d’actualité. Bien que la centrale aide à mesurer le niveau et le débit des eaux, sa capacité de rétention reste limitée en cas de fortes crues. Dotée de son architecture Art déco d’origine, la centrale de la Rivière-des-Prairies est toujours en opération. Il est aujourd’hui possible de la visiter.

Le pont Pie-IX, brièvement renommé Le Caron

Pont Pie-IX

Le pont Pie-IX lors de la finition des travaux en 1938.
Ministère des Transports du Québec
Difficile de reconnaître la première version du pont Pie-IX, qui s’élève splendidement sur des arches dites « à pilette en acier », dessinées par le professeur de Polytechnique, S. A. Beaulne. Bien que le pont soit financé par le gouvernement pendant la crise, on reproche à la firme Dufresne Construction Co. d’avoir engagé très peu de chômeurs de Montréal-Nord. Toutefois, les résidants de part et d’autre de la rivière voient avec satisfaction les travaux complétés le 5 décembre 1937. Portant initialement le nom Pie-IX, le pont est nommé deux ans plus tard en l’honneur du père Joseph Le Caron, l’un des premiers missionnaires ayant célébré une messe chez les Hurons dans les débuts de la Nouvelle-France. Il reprend le nom de Pie-IX en 1967, car il se raccorde au boulevard du même nom. Le pont a connu plusieurs réfections majeures. Les arches ont disparu lors des travaux de 1965 à 1971, car les ingénieurs des années 1930 n’avaient pas prévu l’engouement des Montréalais pour l’automobile. Six voies de circulation sont donc aménagées sur ce pont où circulent aujourd’hui 60 000 véhicules quotidiennement.

Ainsi la rivière des Prairies a marqué l’histoire montréalaise. D’abord considérés comme un obstacle, les rapides ont révélé une importante force motrice permettant l’établissement de moulins à farine et à bois, puis d’une centrale hydroélectrique. Construit comme cette dernière dans les années 1930, le pont Pie-IX enjambe le tumultueux cours d’eau. Aujourd’hui, il est emprunté par des milliers d’automobilistes de la grande région métropolitaine.

Cet article a été écrit avec la collaboration de la Société d’histoire et de généalogie de Montréal-Nord. Le texte est paru dans la chronique « Montréal, retour sur l’image », dans Le Journal de Montréal du 7 juin 2015. La section sur la centrale de la Montreal Island Power Co. a été enrichie pour la publication dans Mémoires des Montréalais en 2018.

Références bibliographiques

DAGENAIS, Michèle. Montréal et l’eau, Montréal, Boréal, 2011. 306 p.

GUIARD, Jean-Paul. « Le Pont Pie-IX », [En ligne], Société d’histoire et de généalogie de Montréal-Nord, janvier 2014. (Consulté le 16 mars 2018).
http://www.shgmn.org/pont%20pie-IX.pdf

COMMUNAUTÉ MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL, COMMISSION DE L’AMÉNAGEMENT, « Portrait des inondations de 2017 sur le territoire métropolitain […] », Septembre 2017, [en ligne] http://cmm.qc.ca/fileadmin/user_upload/documents/20170915_Inondations201...