À l’époque de cette photo, les années 1960, les néons de la rue Saint-Hubert rivalisent avec ceux de la Sainte-Catherine. Rien ne destinait à un tel succès ce bout de rue, au nord du boulevard Rosemont. Son histoire a commencé bien plus tôt, dans les années 1820, aux portes du Vieux-Montréal, lorsque le marchand Lacroix a donné un terrain pour l’ouvrir. Avec le déploiement du chemin de fer et du tramway, les Canadiens français montent vers le nord, plusieurs s’établissant dans la paroisse Saint-Édouard, un quartier mieux connu aujourd’hui sous le surnom de « Petite-Patrie », en souvenir du téléroman de l’écrivain Claude Jasmin. Signe du peuplement rapide du quartier, on y construit en 1910 le bain public Saint-Denis. En 1922, la United Amusements, dirigée par le Montréalais d’origine grecque George Ganetakos, construit le théâtre Plaza, un palace décoré par le réputé Emmanuel Briffa. Peu à peu, la rue devient une populaire artère commerciale. Pour les Montréalais, encore aujourd’hui, la rue Saint-Hubert, c’est celle de La Petite-Patrie et nulle autre!
Une résiliente centenaire
Comment deviner que plusieurs commerces toujours actifs sur Saint-Hubert y ont commencé leur longue histoire il y a plus de 50 ou 100 ans? Évidemment, les rôtisseries Saint-Hubert, dont Hélène et René Léger ouvrent le premier restaurant en 1951, amorcent une série d’innovations qui assure le succès de la rue. Leur service gratuit de livraison à domicile avec leurs voitures coccinelles de couleur jaune égayent la ville, alors que leur ritournelle publicitaire « Dring, dring, dring! Que désirez-vous? » fait chantonner des millions de Québécois. Mais il y a eu bien d’autres agents de réussite : le magasin de fourrures d’Élizabeth Labelle en 1910, la quincaillerie de la famille Lambert en 1912, la mercerie des frères Donat et Stephen Sauvé en 1923, la boutique de photo de Léo Laurent Lozeau en 1927, la librairie Raffin en 1930, la boutique d’instruments de musique Marazza en 1959, le Roi du Smoked Meat de monsieur Kligman dans les années 1960, Italmoda en 1961 et bien d’autres. Résiliente, la Saint-Hubert!
La marquise des trottoirs
Voyant arriver les centres commerciaux de banlieue, les commerçants fondent une association en 1954, faisant naître la « Plaza St-Hubert ». Ils gagnent leur pari d’en faire un centre commercial à ciel ouvert. On y magasine, on y mange, on s’y divertit, on y passe du bon temps, on y cherche ses beaux habits, chaussures et robes de mariage et…on y flirte! Le quizz télévisé Dix sur dix, animé par le populaire animateur Réal Giguère, la fait connaître de tous les Montréalais.
Et cette fameuse marquise? C’est en 1984, pour améliorer l’expérience des clients, que la Ville de Montréal dote la rue d’un auvent de verre et de métal de 1,2 kilomètre, comme on le faisait dans d’autres villes. Leur clientèle traditionnelle s’étant déplacée vers les banlieues, les commerces s’adaptent aux besoins de la population immigrante latino-américaine, haïtienne et asiatique, puis à celle des jeunes urbains qui s’installent dans le secteur. Nouveaux clients, nouveaux commerces : Petit Medley, Queue de cochon, Gainzbar, Montréal Plaza, Belle et Rebelle…
Cet article est paru dans la chronique « Montréal, retour sur l’image », dans le Journal de Montréal en 2013 et dans le livre Promenades historiques à Montréal, sous la direction de Jean-François Leclerc, les Éditions du Journal, 2016, 240 pages.