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La Protection de la jeune fille au sein du Chaînon

29 mai 2023

Au milieu du XXe siècle, Le Chaînon a œuvré pour prévenir la déchéance des jeunes filles. Il a notamment accueilli, dans les gares et le port de Montréal, les nouvelles citadines démunies.

De 1938 à 1951, l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection (Le Chaînon depuis 1978) offre le service d’accueil aux gares et au port de Montréal. Le but est de sauvegarder l’âme des jeunes filles, de placer ces dernières, de les orienter et de les réadapter à une vie normale et chrétienne.

Contrer de possibles fléaux, en amont

« Nous sommes là jour et nuit afin de prendre sous notre protection toutes les jeunes filles qui ne connaissent pas Montréal. Nous faisons ainsi concurrence à ces individus louches qui sournoisement font la traite des blanches sur une haute échelle dans les gares, les ports et tous les endroits publics de notre grande ville. » — Yvonne Maisonneuve, fondatrice, 1940

Protection de la jeune fille

Deux wagons de train. Deux passagères marchent sur le quai avec leur valise. Une femme tend la main à une fille dans les escaliers du wagon, derrière elle, une fille est debout. Par une des fenêtres, on voit deux femmes sourire.
Archives Le Chaînon
À partir de la fin du XIXe siècle, de multiples campagnes internationales, conduites par diverses sociétés de bienfaisance, visaient la protection des jeunes filles et une lutte contre la « traite des Blanches ». Sans considération pour le racisme qu’elle recèle, cette expression était utilisée par comparaison avec la traite esclavagiste des Noirs. Mais entre la construction imaginaire du mythe de la « traite des Blanches », les rumeurs de diverses perditions et les nombreuses anecdotes dans les journaux, il est impossible de mesurer l’ampleur des véritables menaces qui cernaient les jeunes filles. Néanmoins, il demeure que certaines étaient très vulnérables, comme les jeunes campagnardes qui débarquaient seules en ville ou celles qui se retrouvaient sans logis et erraient dans les rues.

C’est dans le contexte de cette panique morale que fut créée en 1897, l’Association catholique internationale des œuvres de la protection de la jeune fille, à Fribourg, en Suisse. Approuvé par les autorités ecclésiastiques, le réseau de cette œuvre catholique et sociale s’étend rapidement de la Russie aux États-Unis, puis jusqu’en Amérique du Sud et en Afrique. En 1938, la fondatrice du Chaînon, Yvonne Maisonneuve, devient la fondatrice-directrice de la filiale au Canada. L’association internationale est alors active dans 36 pays. À Montréal, l’œuvre est connue sous le nom de « Protection de la jeune fille » et vise à offrir un service d’accueil rassurant et préventif à toutes les jeunes filles seules et pauvres, sans distinction de nationalité ou de religion. L’objectif est d’agir en amont des dangers, de prévenir les déchéances plutôt que de les guérir. L’œuvre vise donc à faire concurrence aux individus louches en ne laissant pas de jeunes filles succomber aux tentations de toutes sortes, puis devoir être hébergées par les maisons du Bon-Pasteur ou de la Miséricorde.

Propagande pour la sauvegarde de la jeune fille

Protection de la jeune fille 2

Affiche rose, vieillie, écriture à la dactylo.
Archives Le Chaînon
La Protection de la jeune fille s’implique dans deux défis de l’époque : inciter les jeunes filles à demeurer à la campagne et protéger celles qui malgré tout se dirigent en ville. Pour relever ces deux objectifs, la Protection de la jeune fille doit s’assurer d’être bien connue. Une des stratégies est l’établissement d’une correspondance rurale avec les curés de diverses paroisses afin qu’ils s’engagent à avertir l’œuvre de tout départ de jeunes filles pour la ville afin qu’elles puissent y être bien accueillies. Dans une lettre adressée à un curé en 1944, Yvonne Maisonneuve souligne : « Nous désirons porter à votre attention l’œuvre si bienfaisante de la Protection de la jeune fille, afin que vous puissiez la recommander à vos paroissiens. Notre plus grand désir est que toutes nos jeunes filles de la campagne demeurent dans leur foyer, ou du moins, dans leur environnement, plutôt que de venir courir les risques d’une grande ville, mais, puisqu’il y en aura toujours parmi elles qui viendront à Montréal, nous voulons les mettre, dès leur arrivée en ville à l’abri de la traite des blanches qui se pratique beaucoup plus qu’on ne saurait le croire. »

Ensuite, pour que les jeunes filles soient épaulées dans leur décision, des publications paraissent dans les journaux ruraux et de nombreuses pancartes portant le nom et l’adresse de la Maison d’accueil sont installées dans les paroisses des campagnes, les églises, les bureaux de poste et les gares. En ville, l’équipe d’Yvonne Maisonneuve déploie une somme de travail tout aussi considérable, notamment l’écriture de maintes lettres demandant des permissions de circulation et de libre accès aux ports et aux gares et celles d’afficher des pancartes. Les affiches sont installées à tous les endroits où l’on imagine qu’une jeune fille pourrait rechercher une protection ou en avoir besoin : toilettes des dames dans les gares, hangars des ports, restaurants, hôpitaux, stations de police, foyers, refuges, places publiques ainsi qu’orphelinats.

Un service d’accueil pour les voyageuses francophones

« Nous avons été averties qu’une jeune fille de la campagne arrivait en ville. Nous sommes allées à sa rencontre à l’arrivée du train et comme elle n’avait pas de parents à Montréal, nous l’avons dirigée à notre Association. » — Une représentante aux gares, 1942

Protection de la jeune fille 3

Plusieurs femmes sont face au comptoir de la Protection de la jeune fille. Drapeaux au-dessus.
Archives Le Chaînon
Plusieurs initiatives ont pour objectif d’aller plus loin que le simple affichage et d’offrir protection et élimination des dangers inhérents aux voyages des jeunes filles. C’est ainsi que le 1er juin 1940, l’organisme s’installe dans un kiosque à la gare Windsor et qu’un second est ouvert le 12 avril 1944 à la gare Centrale. L’arrivée de ces kiosques francophones aux côtés de ceux déjà bien établis de la société Travellers’ Aid cause quelques frictions. Malgré un départ ombrageux entre les deux communautés, à la suite d’échanges de lettres et de réunions avec des membres de chacun des organismes, une entente cible une étroite collaboration plutôt qu’une compétition entre œuvres sociales semblables. De plus, il était devenu évident que, s’il était normal que la Travellers’ Aid, anglaise et protestante, donne appui à ses compatriotes, un kiosque pour les jeunes filles et le public francophone était nécessaire. Afin de demeurer le plus neutre possible, il est conclu que la répartition des personnes qui tomberaient sous la juridiction de l’une ou l’autre association se ferait simplement sur la base de la langue, sans distinction de race ou de religion.

Pour assurer le service des gares et, le cas échéant, sortir les jeunes filles du pétrin, des conseillères dévouées et bien formées effectuent à tour de rôle des heures de garde aux kiosques, jour et nuit. Puisque l’œuvre charitable fonctionne par les dons reçus grâce à la Providence, ce sont les Associées, les femmes engagées et bénévoles de l’équipe de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, qui procurent le service et, en dernier recours seulement, des salariées sont engagées. Les conseillères se doivent d’être courtoises, réservées, de faire preuve de discrétion, car ce qui se passe et se dit au kiosque doit rester privé. Elles doivent également bien connaître les différents services à l’intérieur des gares, les rues de la ville, les œuvres catholiques et être en mesure de fournir les adresses des restaurants, refuges, gîtes, pensions, hôtels et foyers sécuritaires et recommandables. Finalement, il n’est pas question de laisser partir une jeune fille sans garantie qu’elle est en sécurité, les conseillères vérifient donc au téléphone les disponibilités dans ces endroits. Et quand elles sont prévenues de l’arrivée d’une jeune fille, elles vont l’accueillir directement à la descente du train. De plus, les conseillères sont présentes sporadiquement dans les ports et, grâce à l’octroi d’un libre accès, elles se font un devoir d’accueillir et de diriger en sécurité les jeunes filles à l’arrivée des principaux bateaux venant surtout de Gaspésie et de Beauce.

Le service des gares s’étend également aux filles de la ville et à toutes personnes dans le besoin. Parfois, il s’agit de simplement prêter assistance aux personnes âgées en les conduisant à leur train ou taxi ou en leur trouvant un gîte dans les maisons de secours. Les pauvres femmes séparées de leur mari ayant plusieurs enfants sont orientées à l’Aide à la femme ou à l’Assistance publique. Des personnes plus démunies peuvent également être amenées par les agents de police et, si nécessaire, elles sont confiées à la Cour juvénile.

La Maison d’accueil et le service de placement

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Deux hommes sont debout devant un comptoir, derrière lequel deux femmes sont debout. Les deux femmes portent un chapeau. Écriteau sur le comptoir : « Protection de la jeune fille ». Au loin, une femme à un comptoir parle au téléphone.
Archives Le Chaînon
Lorsque toutes les options sont vérifiées et qu’il n’y a aucun endroit sécuritaire et disponible pour les jeunes filles, elles sont logées et nourries gratuitement à la Maison d’accueil de l’œuvre Notre-Dame-de-la-Protection sur la rue De La Gauchetière, située près des gares. La Maison comprend 75 pièces, et l’accueil se fait de jour comme de nuit. Si les demandes sont trop nombreuses, les corridors sont transformés en dortoirs. Les bénéficiaires sont accueillies le temps qu’elles soient en mesure d’assurer leur subsistance de façon recommandable. Pour les aider à atteindre cet objectif, l’œuvre offre différentes formations, notamment des cours d’enseignement ménager et d’art culinaire; un bureau de placement au sein de la Maison permet de leur fournir de bons emplois à des conditions avantageuses. L’intention est de réaliser le placement chrétien dans des familles respectables. Afin d’être sûr de l’atmosphère morale où respireront les protégées, des références sont prises auprès des dames chez qui elles seront placées, et des fiches permettent de suivre chaque cas individuellement. Dans les années 1940, une infirmière, alors nommée « garde-malade », assure le suivi des jeunes filles mineures ainsi que celui des cas difficiles.

Malgré tous les bénéfices et l’aide apportée à de nombreuses jeunes filles par le service aux gares et aux ports, il soulève certaines questions. Le nombre de bénévoles nécessaires aux kiosques disperse le travail des Associées et le coût des petits salaires met une pression sur le budget déjà très maigre de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection. De surcroît, le service implique l’obligation d’accueillir des membres de l’Église ou des bénéficiaires plus âgées, ce qui détourne l’objectif principal de l’œuvre d’Yvonne Maisonneuve de ne servir que les personnes les plus démunies et sans ressource. Ces motifs font en sorte que c’est avec soulagement qu’est accueilli, le 1er novembre 1951, le transfert des postes d’accueil aux gares aux Équipières sociales, une association fondée en 1941 par Marie-Jeannette Bertrand, docteure en sciences sociales. Le groupe, composé de jeunes laïques, s’occupe de diverses œuvres sociales catholiques.