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La communauté sourde de Montréal et ses institutions

22 mai 2019
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Au milieu du XIXe siècle sont créés les premiers établissements consacrés à l’éducation des sourds à Montréal. Il en émergera une dynamique communauté, ayant une langue et une culture distinctes.

Institution des Sourdes-Muettes

Vaste bâtiment de pierres, de cinq étages, sur un terrain comprenant plusieurs arbres.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Les débuts de l’éducation des sourds à Montréal sont étroitement liés à l’œuvre de l’évêque de la ville, Ignace Bourget. Cherchant à ce que l’Église catholique joigne le plus grand nombre de personnes possible afin de leur enseigner les préceptes de la foi catholique, monseigneur Bourget manifeste un intérêt pour les personnes sourdes, largement laissées pour compte.

À l’invitation de monseigneur Bourget, l’abbé Irénée Lagorce fonde en 1848 une première école à Montréal. D’abord installée sur la rue Brock, au Pied-du-Courant, elle déménagera successivement à divers endroits, avant de s’installer de façon durable, en 1850, sur la rue Saint-Dominique, à Saint-Louis-du-Mile-End. Lagorce rejoint ensuite les Clercs de Saint-Viateur, accordant à cette congrégation la prise en charge de l’école, qui prendra le nom d’Institution des Sourds-Muets. En 1856, elle accueille un jeune homme sourd d’origine alsacienne du nom de Jean-Marie-Joseph Young qui, pendant près de 50 ans, assurera sa direction. Ayant acquis une expertise didactique spécialisée en France, Young parvient à donner un véritable essor à la jeune institution.

Comme la non-mixité est de mise dans la grande majorité des écoles au XIXe siècle, on sent vite le besoin de créer un organisme dédié à l’éducation des sourdes. C’est à sœur Marie-de-Bonsecours, des Sœurs de la Providence, que l’évêque Bourget confie le mandat de fonder une telle école. D’abord installée en 1851 à Longue-Pointe, l’école requiert vite ses propres locaux. Après une relocalisation temporaire à l’hospice Saint-Joseph, l’école, devenue l’Institution des Sourdes-Muettes, s’installe définitivement en 1864 sur un vaste terrain situé à l’angle des rues Saint-Denis et Cherrier. Un complexe comprenant plusieurs édifices y est construit, auquel de multiples annexes s’ajouteront au fil des ans.

Deux institutions aux programmes et méthodes distincts

Institution des Sourds-Muets 1868

Deux hommes en habits religieux entourés de six enfants.
Musée McCord. I-30751.1.
Alors que le programme éducatif à l’Institution des Sourds-Muets est en grande partie orienté vers le développement d’habiletés manuelles, celui des filles repose davantage sur la gestion de l’économie domestique, conformément aux rôles sociaux alors attendus pour chaque genre. Dans les deux écoles, on instaure dans les années 1880 un volet strictement oral, en séparant les élèves en deux groupes distincts : d’un côté, les élèves de la méthode « mimique » et de l’autre les « parlants ». Non seulement sont-ils placés dans des classes différentes, mais chaque groupe dispose de sa propre salle de récréation. Au Québec, la langue des signes, inspirée des langues des signes française et américaine, en est encore à ses balbutiements, et les éducateurs préfèrent miser sur l’enseignement de la langue orale, dans l’optique de permettre aux sourds de fonctionner dans un monde où domine la langue parlée.

Ne disposant pas d’un complexe comparable à celui de son pendant féminin, l’Institution des Sourds-Muets souffre de l’exiguïté de ses locaux. C’est pourquoi les Clercs de Saint-Viateur font l’acquisition, en 1913, d’un vaste terrain, à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue De Castelnau, sur lequel un nouvel édifice sera érigé. Toutefois les religieux et les élèves n’y emménagent qu’en 1921. Une nouvelle construction, abritant les ateliers, est ensuite inaugurée en 1926 derrière l’immeuble principal.

Dans la première moitié du siècle, les deux institutions connaissent leur âge d’or. Le nombre de pensionnaires augmente sans cesse, et les services offerts se diversifient. De plus, l’État québécois intervenant de façon croissante en éducation et dans le soutien aux populations vulnérables, les institutions bénéficient d’investissements gouvernementaux de plus en plus importants. Parallèlement, les sourds et les sourdes commencent de leur côté à jouer un rôle de plus en plus actif, et mettent sur pied des réseaux associatifs depuis ces institutions d’éducation.

Intégration des enfants sourds dans les commissions scolaires

Institution des Sourds-Muets

Vaste bâtiment de pierres, de cinq étages, avec une imposante entrée comprenant un grand escalier et des colonnes.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
À partir des années 1960, l’interventionnisme croissant de l’État mènera toutefois au démantèlement de la plupart des pensionnats destinés aux personnes handicapées à la faveur de la création de commissions scolaires régionales. Le milieu de vie familial est de plus en plus valorisé comme milieu de vie naturel de l’enfant. Pour les enfants sourds, seuls les établissements des villes de Montréal et de Québec offraient jusqu’alors la possibilité de faire des études. Ainsi, une grande proportion des pensionnaires des deux institutions venait de l’extérieur de la ville et souvent de régions passablement éloignées. Le gouvernement québécois ayant choisi de privilégier l’intégration des enfants sourds au sein des commissions scolaires de l’ensemble du Québec, les institutions montréalaises consacrées à l’éducation des sourds verront leurs effectifs diminuer substantiellement.

Les deux institutions sont toujours davantage forcées à concentrer leurs activités sur l’enseignement et moins sur les services offerts aux sourds adultes. Face à ces différents changements structurels, elles sont appelées à collaborer de plus en plus étroitement. On cherche alors à mettre progressivement fin au chevauchement des services afin de fusionner les deux écoles.

En septembre 1974, la nouvelle polyvalente Lucien-Pagé, située sur le boulevard Saint-Laurent, ouvre ses portes et accueille une première cohorte d’élèves sourds. L’intégration des élèves sourds dans le système d’éducation courant conduit à la fermeture définitive, en 1975, de l’Institution des Sourdes-Muettes. L’édifice est ensuite acheté par le gouvernement québécois qui lui attribuera une nouvelle affectation sous le nom de Centre Berri. Réunissant les services des deux anciens organismes, l’Institution des Sourds-Muets devient centre de réadaptation et portera temporairement le nom d’Institut des Sourds de Montréal.

L’enseignement secondaire y cesse complètement en 1975. L’établissement s’oriente alors vers son mandat de réadaptation en s’occupant d’une clientèle scolaire difficile ou impossible à intégrer dans le secteur courant en raison de besoins spéciaux. En 1981, le cours primaire quitte définitivement l’établissement pour s’installer à l’école Gadbois. Le bâtiment est rendu à la congrégation des Clercs de Saint-Viateur qui y héberge des associations et organismes communautaires. Au tournant des années 2010, l’édifice est acquis par un promoteur immobilier qui le convertira en condominiums.

Les sourds militent pour leur reconnaissance

Si l’interventionnisme de l’État précipite le déclin des deux institutions, la communauté sourde montréalaise connaît au même moment une grande vitalité. La fusion des institutions féminine et masculine permet ainsi aux sourds et aux sourdes de joindre leurs réseaux. Des sourds et des sourdes mettent alors sur pied diverses associations. De plus, comme les Sœurs de la Providence avaient privilégié une langue des signes principalement inspirée de la langue des signes américaine alors que la langue des signes des Clercs de Saint-Viateur s’inspirait surtout du modèle français, une standardisation s’impose. C’est ainsi que la langue des signes québécoise (LSQ) prend véritablement forme. Inspirés du mouvement de revendication des sourds américains, alors en pleine effervescence, des sourds et des sourdes du Québec militent activement pour la reconnaissance de la LSQ et de la culture sourde.

Désormais établissement public, l’Institut des Sourds s’oriente vers de nouvelles fonctions en établissant des programmes spécialisés. Il emménage en 1983 dans le centre de réadaptation sur la rue Berri, dans les locaux de l’ancienne Institution des Sourdes-Muettes. Il adoptera la même année le nom d’Institut Raymond-Dewar, du nom d’un jeune leader de la communauté sourde, décédé tragiquement la même année.

Le nouvel institut a pour mandat d’assurer à toute personne ayant une déficience auditive le développement maximal de son potentiel et de son autonomie afin qu’elle puisse s’intégrer dans la société. Au fil des ans, l’Institut Raymond-Dewar développera ses programmes, notamment de recherche et de formation, dépassant ainsi un simple rôle d’établissement régional prestataire de services. Depuis 2015, l’installation Raymond-Dewar est intégrée au CIUSSS (Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Références bibliographiques

PERREAULT, Stéphanie D., et Sylvie PELLETIER. L’Institut Raymond-Dewar et ses institutions d’origine : 160 ans d’histoire avec les personnes sourdes, Québec, Septentrion, 2010, 431 p.

BLAIS, Marguerite. La culture sourde : quêtes identitaires au cœur de la communication, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006, 316 p.

DESROSIERS, Jules. « La LSQ et la culture sourde québécoise », dans DUBUISSON, Colette, et Marie NADEAU (dir.), Études sur la langue des signes québécoise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1993, p. 153-174.

PERREAULT, Stéphane-D. « La naissance des communautés sourdes à Montréal entre 1880 et 1920 », dans WALLOT, Jean-Pierre, Pierre LANTHIER et Hubert WATELET (dir.), Constructions identitaires et pratiques sociales, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa et Centre de recherche en civilisation canadienne-française, 2002, p. 147-162.