Qui se cache sous les bandelettes millénaires de la momie de l’UQAM? Quel est le parcours de cet antique témoignage d’une civilisation éteinte? Bref retour sur Hetep-Bastet, un trésor mystérieux.
Momie Hetep Bastet
De la gloire à la chute…
En 1927, l’École des beaux-arts de Montréal (ÉBAM) envoie l’un de ses professeurs, le commandeur Émile Vaillancourt, en Égypte. Il doit acquérir auprès du musée du Caire du matériel artistique pharaonique, inspirant pour ses étudiants et valorisant pour le prestige de l’établissement. Sur les recommandations de l’homme politique Athanase David et de plusieurs ministres égyptiens, E. Vaillancourt est autorisé à choisir quelques pièces antiques qu’il expédie promptement au Québec.
la-patrie_14mai1927.jpg
Entre 1927 et 1969, année d’intégration de l’ÉBAM à l’UQAM, la précieuse momie reposant dans son sarcophage « occupe une place d’honneur dans le hall d’entrée » de l’ÉBAM, faisant la fierté de la direction et des professeurs selon un rapport interne de 1970.
Momie Hetep Bastet
Cependant, au printemps 1970, un mouvement de protestation étudiant mène à des actes de vandalisme dans l’ÉBAM. La momie en est victime. Projeté au sol, le sarcophage se brise et la paisible momie perd dans la tourmente ses pieds… et sa tête. L’institution ne disposant pas des ressources financières nécessaires aux restaurations, la momie mutilée est rassemblée et entreposée, avec son cercueil endommagé, dans les réserves de l’UQAM. Elle devient alors une véritable légende urbaine parmi la population estudiantine.
La renaissance d’Hetep-Bastet
Il faut attendre 1996 pour que la momie reçoive enfin la considération qu’elle mérite. Plusieurs restaurations sont entreprises pour consolider le sarcophage et quelques examens sont réalisés pour en apprendre davantage sur le corps momifié. Il est définitivement établi qu’il est celui d’une femme nommée Hetep-Bastet, d’après le nom figurant parmi les inscriptions hiéroglyphiques peintes sur le sarcophage brisé. L’origine et la datation de ce dernier sont fixées par comparaison stylistique à la région memphite au nord de l’Égypte sous la XXVIe dynastie (664-525 av. J.-C.). Les résultats des examens de 1997 démontreraient qu’Hetep-Bastet serait morte dans la soixantaine, probablement d’un abcès dentaire consécutif à une consommation excessive de bière.
Momie Hetep Bastet
Présente depuis 91 ans à Montréal, Hetep-Bastet est un témoin insoupçonné et malheureusement trop méconnu de l’histoire récente du Québec. Arrivée dans une période faste, elle traversa également des heures sombres, avant de retrouver aujourd’hui une parcelle de sa gloire passée.
Connue dès l’Ancien Empire (environ 2700-2200 av. J.-C.), la déesse Bastet, Bastis en grec, fut promue divinité protectrice par les pharaons libyens de la XXIIe dynastie (945-715 av. J.-C.) qui s’installèrent à Bubastis dans le nord de l’Égypte, ville dont Bastet était la divinité principale. Représentée sous la forme d’une femme à tête de chat, d’une chatte assise ou allaitante, Bastet était doublement vénérée, simultanément patronne de la joie, de la musique et de la danse et déesse protectrice du foyer, des femmes enceintes et des jeunes enfants. Pour favoriser ses réalisations divines, des dizaines de milliers de chats momifiés lui furent dédiés.
Hetep-Bastet (ḥtp-b3stt) signifie le « bienfait de Bastet ». Le nom de l’Égyptienne momifiée qui repose aujourd’hui au sein de l’UQAM indique qu’elle fut certainement liée au culte de cette divinité comme prêtresse, danseuse ou musicienne.
LYWOOD, Victoria (dir.). Hetep-Bastet, The Facial Reconstruction of the UQAM Mummy, Rencontre annuelle de l’Association canadienne d’anthropologie physique, Saskatoon, [En ligne], 2010, 2 p.
http://www.victorialywood.com/uploads/Lywood_et_al_2010_Hetep_Bastet_Pos...
MARSHALL, Amandine, et Roger LICHTENBERG. Les momies égyptiennes, La quête millénaire d’une technique, Paris, Fayard, 2013, 271 p.
NELSON, Andrew, et Andrew WADE (dir.). The UQAM Mummy – The Use of Non-Destructive Imaging to Reconstruct an Ancient Osteobiography and to Document Modern Malfeasance, Rencontre annuelle de l’Association canadienne d’anthropologie physique, Vancouver, [En ligne], 2009, 3 p.
https://ir.lib.uwo.ca/cgi/viewcontent.cgi?referer=https://www.google.ca/...
SELLIER, Guillaume. L’Égyptomanie à Montréal, 1840-2016, seeamtl.org,[En ligne], 2017.
http://www.sseamtl.org/2017_SELLIER_Egyptomanie_Mtl.pdf
ZIVIE, Alain, et Roger LICHTENBERG. « The cats of the Goddess Bastet », p. 106-119, in Salima IKRAM (ed.), Divine creatures, animal mummies in Ancient Egypt, Le Caire, AUC Press, 2015, 274 p.